UN PANEL de 1 596 ménages a été constitué à partir de l’échantillon de l’enquête sur les conditions de vie des ménages de Kinshasa réalisée en 2018. L’Institut national de la statistique (INS) explique que « ces ménages ont été choisis selon la méthode des quotas afin de respecter la représentativité des ménages de Kinshasa ». Il s’agit des ménages disposant de contacts téléphoniques dont les numéros ont été collectés lors de l’enquête. Un questionnaire spécifique a été élaboré à cet effet pour collecter les informations auprès des ménages du panel. L’enquête a utilisé l’approche CATI ou l’enquête par téléphone assistée par ordinateur pour respecter la distanciation sociale.
L’INS précise que le panel sera suivi chaque mois, et la collecte des données s’effectuera sur les deux dernières semaines de chaque mois. Pour le mois de juin, il ressort qu’en l’espace de deux ans, la population a augmenté à Kinshasa. La taille moyenne de ménage est passée de 6,0 en 2018 à 6,4 en juin 2020. Les ménages ayant accueilli de nouveaux membres représentent 35,4%.
Les résultats de l’enquête
Selon le suivi de la situation des ménages par l’Institut national de la statistique (INS), la quasi-totalité des ménages (99,7 %) de la ville de Kinshasa sont informés de l’existence de la pandémie de Covid-19. En effet, 99 % des ménages connaissent au moins une des mesures barrières contre la propagation du virus. L’état d’urgence ainsi que les restrictions de déplacement à l’étranger comme dans le pays sont les moins connus de toutes les mesures.Les mesures préconisées par le gouvernement pour réduire la contamination au Covid-19 sont en grande partie pratiquées par les ménages kinois. Plus de 9 ménages sur 10 ont pris l’habitude de se laver les mains plus souvent que d’habitude et ont évité les gestes de salutation basés sur le contact physique. Près de 9 ménages sur 10 (88 %) sont plus ou moins inquiets de la maladie avec 68,5 % des ménages beaucoup plus inquiets de la présence de la maladie dans le pays.
Seulement 11 % des ménages n’ont pas pu se procurer des médicaments pour cause de rupture de stock au cours de deux dernières semaines précédant l’enquête. Depuis que les écoles sont fermées, les enfants de près de la moitié des ménages (47 %) ne bénéficient d’aucune activité éducative.
Par ailleurs, près de la moitié des chefs de ménage (49,4 %) ont travaillé au cours de 7 derniers jours précédant l’enquête.
La moitié de ces chefs de ménages n’ont pas pu exercer leur activité pour des causes directement liées à la pandémie de Covid-19. Après la mi-mars 2020, 10,5 % des ménages ont déclaré avoir des membres qui ont perdu leur emploi. Depuis mars jusqu’aux deux dernières semaines de juin 2020, plus de 80 % des ménages ont déclaré n’avoir pas manqué d’acheter des produits alimentaires à cause de la rupture des stocks.
Pour faire face à la hausse des prix, les ménages ont réduit le nombre de repas pris par jour pendant le confinement comparé à la situation d’avant la pandémie. En effet, 20 % des ménages ont réduit leur consommation alimentaire à un repas par jour faisant passer la proportion de 8,4 % à 28,6 %. La grande majorité des ménages de la capitale ne sont pas satisfaits de leur vie actuelle. Il n’est pas exclu que ce phénomène soit exacerbé avec l’arrivée de la pandémie en République démocratique du Congo, d’autant plus que Kinshasa en est l’épicentre. Cependant, plus d’un tiers des ménages sont optimistes quant à l’amélioration de leur bien-être dans les six prochains mois.
Emploi et revenu
Les économies des pays d’Afrique subsaharienne fortement dépendantes du secteur informel pourraient être considérablement impactées par la crise sanitaire. Le secteur informel africain à l’instar de la République démocratique du Congo est composé des travailleurs précaires et de petites et très petites entreprises dont les conditions de vie des employés et dirigeants dépendent entièrement des activités journalières.
Selon l’Union africaine (UA), près de 20 millions d’emplois sont menacés par la pandémie de coronavirus sur le continent africain. En RDC, le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures visant à garantir la sécurité des travailleurs face au risque de licenciement abusif pour cause de Covid-19.
Près de la moitié des chefs de ménage (49,4 %) ont travaillé au cours des 7 derniers jours précédant l’enquête. La tendance est sensiblement la même quel que soit le sexe du chef du ménage. La moitié de ces chefs de ménages n’ont pas pu exercer leur activité pour des causes directement liées à la pandémie de Covid-19. Il s’agit respectivement du confinement de la commune de Gombe (32,3 %), de la fermeture temporaire des activités (15,8 %) et la réduction du personnel (3,1 %).
On note que 63,7% des chefs de ménages qui n’ont pas travaillé pendant la période de référence, effectuaient une activité avant mi-mars. Ces chefs de ménage opéraient principalement dans les branches d’activité suivantes : commerce (18,9 %), administration publique (15,5 %) et éducation (10 %).
Par ailleurs, les chefs de ménage qui ont exercé leurs emplois au cours de la période de référence sont à 54,8 % à leur propre compte, 15,8 % employés par des ménages, 14,9 % employés de l’administration publique et 9,3 % employés de grandes entreprises privées. Les femmes sont principalement à leur propre compte (62 %) ou travaillent pour des ménages (24 %).
À cause du type d’activité exercé par les chefs de ménage de Kinshasa et des mesures du gouvernement en lien avec l’emploi, un peu plus de trois quarts des chefs de ménage interviewés (77,9 %) ont pu se rendre sur leurs lieux de travail ou travailler à domicile comme d’habitude au cours des deux semaines précédant l’enquête.
La moitié (52,2 %) de ceux n’ayant pas pu se rendre sur leurs lieux de travail n’ont pas pu bénéficier de leur paiement pendant la période de confinement. Il s’agit principalement des travailleurs pour compte propre et de ceux travaillant chez d’autres ménages. L’on note également que 24,6 % et 23,2 % ont été respectivement totalement ou partiellement payés.
Les mesures mises en place par le gouvernement ont affecté négativement les travailleurs au cours de la période de référence. Il s’agit principalement du confinement (68 %), le fait de rester à la maison (25 %), les fermetures des activités non essentielles et des marchés (17,3 %) ainsi que des écoles et universités (10 %).
Le confinement a plus affecté les activités de commerce (35 %), de transport (13 %), de construction (11 %) et de l’administration publique (8 %) au cours des deux semaines avant l’enquête. Les femmes chefs de ménage (80 %) ont été plus affectées négativement par les mesures de confinement que les hommes (65 %).
Entreprise familiale
Après la mi-mars, 10,5 % des ménages ont déclaré avoir des membres qui ont perdu leur emploi. Les ménages dirigés par des femmes ont été disproportionnellement affectés par la perte d’emploi, puisque 15 % d’entre eux ont vu leurs membres perdre leurs emplois contre 9 % chez les hommes. Dans 69 % des cas, un seul membre du ménage a perdu son emploi. Toutefois, on note que dans 13 % des cas, il s’agit de plus de trois personnes. Les raisons à la base de cette perte d’emploi sont essentiellement le confinement (71,0 %), l’arrêt de l’activité (27,3 %), la réduction du personnel (10,3 %) et la maladie (6,0 %).
Aussi, depuis mi-mars, très peu de personnes ont pu contracter un emploi à Kinshasa. En effet, seuls 3,2 % des ménages ont déclaré avoir un membre qui a contracté un nouvel emploi depuis l’annonce de l’état d’urgence.
Depuis le début de l’année 2020, environ 29,1 % des ménages ont exploité une entreprise familiale principalement dans les secteurs du commerce (75,7 %), de l’agriculture (12,4 %) et des services personnels (5,8 %). Ces entreprises sont à 84,1 % fonctionnelles. Respectivement 73,8 %, 18,0 % et 6,1 % des ménages ont déclaré que le revenu de leurs entreprises a baissé, est resté le même ou a augmenté. Par contre, 15,9 % des ménages ayant des entreprises non fonctionnelles ont évoqué les raisons de faillite (44,4 %), de confinement (40,1 %), de baisse de l’activité (24,0 %) ou d’autres mesures gouvernementales (21,5 %).
Les transferts reçus par les ménages comme appui régulier ou occasionnel ont été identifiés comme canal de transmission de la crise et potentielle cause de paupérisation en Afrique. Au cours de la période marquée par le Covid-19, les transferts reçus des proches ou amis ont baissé. En comparant la période mars-avril et les deux semaines avant l’enquête, on observe une chute du nombre de ménages qui ont reçu des transferts. En effet, la proportion des ménages est passé de 24,3 % à 16,3 % au cours de la période. Comme pressenti, la baisse ne concerne pas seulement le nombre de ménages mais aussi les sommes perçues, avec la raréfaction des transferts. Environ 58,1 % des ménages ont déclaré que ces transferts ont diminué, tandis que 75,6 % des ménages ont déclaré avoir reçu moins fréquemment ces transferts. Ces baisses seraient liées aux effets néfastes du Covid-19.
Depuis mars, 15,6 % des ménages ont déclaré avoir reçu des aides en espèces ou en nature du gouvernement, des partenaires au développement et des organismes religieux. Les proportions sont les mêmes indépendamment du genre du chef de ménage. Par ailleurs, 75 % des bénéficiaires de ces aides ont déclaré que celles-ci sont restées constantes tandis que 20 % ont trouvé plutôt que l’aide a diminué. Ces aides étaient constituées essentiellement des denrées alimentaires pour 28,6 % des ménages et des transferts d’argent directs pour 18,3 % des ménages.
Les mesures sanitaires mises en place par le Gouvernement congolais pourraient avoir un impact négatif sur les revenus de la population, la production et les prix des denrées alimentaires de première nécessité, causant la baisse de la disponibilité et de l’accès à l’alimentation et aggravant ainsi la situation nutritionnelle déjà très préoccupante en RDC. Conscient de cela, le gouvernement a mis en place des mesures économiques et sociales en faveur des ménages pour soutenir la demande de produits de première nécessité.
À Kinshasa, l’annonce du confinement avorté de la ville en mi-mars a provoqué en l’espace de quelques jours une hausse généralisée des prix des produits alimentaires. La population craignant de se retrouver à court d’aliments a pris d’assaut les marchés et supermarchés. La forte demande, conjuguée aux spéculations sur la durée du confinement, a entrainé des ruptures temporaires au niveau de quelques produits.
Les résultats de l’enquête confirment que les mesures gouvernementales mises en place pour soutenir la demande a permis à plus de 80 % des ménages de ne pas expérimenter des ruptures de stocks des produits classés de première nécessité par le ministère de l’Économie nationale. Depuis mars jusqu’aux deux dernières semaines de juin 2020, plus de 80 % des ménages ont déclaré n’avoir pas manqué d’acheter les produits alimentaires à cause d’une rupture des stocks.
Bien que les produits de consommation courante soient restés disponibles malgré les conditions difficiles liées au transport durant cette période, les commerçants se sont servis des prix comme variables d’ajustement. On note aussi que de mi-mars à la période de l’enquête, le franc congolais a perdu près de 10 % de sa valeur face au dollar américain. La hausse des prix a été ressentie pendant le confinement en moyenne par 85,9 % de ménages.
Comme anticipé, près de 57 % des ménages ont fait des stocks d’au moins un des produits alimentaires de première nécessité depuis le début de la pandémie. La nature périssable de certains produits ainsi que les exigences de conservation n’ont pas permis à certains ménages de faire des stocks. Les produits alimentaires secs ont été les plus stockés par les ménages. Il s’agit des huiles végétales (34 %) et de palme (32 %), du haricot (22 %), du riz (35 %), des farines de maïs (43 %) et de manioc (37 %).
Insécurité alimentaire
La hausse des prix des denrées alimentaires consécutive à la pandémie s’est traduite auprès des ménages kinois par un changement des habitudes de nutrition. En pareille situation, il est normal que les ménages mettent en place des stratégies d’adaptation basées souvent sur la réduction de la fréquence ou de la quantité des repas. Les ménages ont réduit le nombre de repas pris par jour pendant le confinement comparé à la situation d’avant la pandémie. En effet, 20 % des ménages ont réduit leur consommation alimentaire à un repas par jour faisant passer la proportion de 8,4 % à 28,6 %. Quatre fois plus de ménages dirigés par des femmes ont réduit leur fréquence de consommation alimentaire à un repas par jour contre trois fois plus pour les ménages dirigés par des hommes.
Près de 6 ménages sur 10 ont maintenu leur consommation alimentaire à deux repas par jour. La chute est encore plus importante lorsqu’on observe les ménages qui consommaient trois repas par jour avant la pandémie. Aussi, le nombre de ménages qui consommaient moins d’un repas par jour a triplé. Tous les ménages semblent avoir adopté les mêmes mécanismes de survie.
Pendant cette période de Covid-19, la situation de l’insécurité alimentaire est restée inquiétante au regard des déclarations faites par les ménages. La grande majorité des ménages, soit 84 %, est inquiète de ne pas avoir suffisamment de nourriture. En plus de la réduction de la fréquence de consommation de repas, 79 % des ménages ont réduit la quantité de nourriture consommée par jour. Ceci est d’autant plus alarmant que généralement ce sont les enfants considérés comme n’étant pas productifs qui en subissent les conséquences.
En effet, 76 % des ménages ont déclaré ne pas avoir pu consommer de la nourriture saine et nutritive au cours de la période. Ce type de pratique affaiblit le système immunitaire et rend la population plus vulnérable aux maladies; ce qui constitue un grand risque pour le système sanitaire du fait de la pandémie et des autres maladies qui sévissent dans la capitale.