REGARDEZ comme nous sommes beaux ! C’est l’enseignement général que l’on peut tirer de l’ensemble des affiches qui pavoisent encore les rues, les grandes artères, les maisons et les édifices, notamment à Kinshasa, à quelques jours de la fin de la campagne électorale.
Il ne suffit pas, sur une affiche, de poser pour croire avoir conçu une publicité particulièrement adaptée à la campagne électorale. Cette mise en scène sommaire n’est pas fracassante, en termes de communication politique, explique un spécialiste. Pourtant, sur la plupart des affiches ou banderoles de campagne, on a vu les candidats à la présidentielle et à la députation (nationale ou provinciale), trop bien sapés (costume-cravate bien nouée), bien coiffés et bien rasés. Des posters souvent traités à l’ordinateur pour donner un effet d’éclat, à côté des slogans à vous couper le souffle.
La primauté de l’image
L’image joue un rôle important en Afrique, pour la simple raison que la majorité des populations africaines ne savent ni lire ni écrire. L’importance de l’image dans la communication ou la publicité est donc primordiale. En effet, soulignent le même spécialiste, on peut lire dans les images une description implicite des mentalités. C’est dire que l’image dans la communication ou la publicité porte des messages conscients et inconscients, au-delà des contraintes de marketing.
La publicité dispose de plusieurs vecteurs : l’image fixe, l’image mobile, le son et l’écrit. Comme on peut le constater, beaucoup de candidats ont misé sur l’image dans l’affiche. Sans doute pour des raisons d’impact visuel. Une belle image, ça capitalise au sein de l’électorat féminin et des jeunes, qui sont plus attirés par la beauté physique, le charme que par tout autre élément du décor. On l’a vu, l’écrit ou le texte est réduit au seul nom, celui-ci tendant à céder la place à un emblème iconique ou à un logo. L’écrit se réduit aussi au slogan (« Papa social », « L’homme nouveau », « Avocat du peuple », etc. Sur les affiches et banderoles, les uns revendiquent leur expérience pour gagner le vote des électeurs. Les autres revendiquent le changement pour se faire élire, car ils estiment que le pays a besoin de renouveau. Bref, tous prétendent qu’ils sont les hommes qu’il faut pour le bien-être des Congolais. C’est leur droit légitime, certes. Mais des gens que nous avons interrogés sur l’impact de ces affiches ont unanimement exprimé leur étonnement en voyant ces affiches et banderoles : « Ils nous montrent comment ils sont beaux, en bonne santé… et riches. Et nous ? Allons-nous voter encore pour les enrichir ? ». « Mais où est notre place sur ces affiches ? »…
Simplicité et efficacité
Le test que nous avons réalisé à Kinshasa a porté sur un échantillonnage représentatif des électeurs probables : cadres moyens et supérieurs, commerçants, transporteurs, étudiants, femmes, fonctionnaires, chômeurs, etc. Selon les résultats de ce test, trois affiches dépouillées de slogan mais au message – étonnamment – plus clair sortent du lot. Elles cultivent, chacune à sa manière, l’esprit du travail, mieux l’engagement qui va dans le sens des aspirations populaires.
L’une met en exergue la (re)construction du pays. C’est l’affiche de Ndombasi Bakini, candidat député. On le voit en cache-poussière, s’appuyant sur une pelle à côté des matériaux de construction. L’autre montre Martin Fayulu Madidi, candidat président de la République, en chemise-cravate, retroussant les manches (Pour un Congo digne et prospère). L’autre enfin, c’est celle d’Emmanuel Ramazani Shadari, candidat président de la République, que l’on voit en costume-cravate avec en toile de fond un champ des légumes à perte de vue (Poursuivre l’émergence). Ces trois affiches suggèrent que ces hommes ont choisi le thème du travail pour le développement du pays comme message politique subliminal à faire passer dans l’opinion publique. Par ailleurs, tous les candidats ont opté soit pour un gros plan (le cadrage qui montre le visage d’un ou plusieurs acteurs), soit le plan américain ou le plan rapproché (le cadrage qui montre le personnage à mi-cuisses), soit le plan moyen (le cadrage où le personnage est en pied et les objets en entier dans un décor). Dans la communication par l’image, la direction du regard a une double signification : le destinateur du message cherche à entrer dans la peau du personnage et regarde le destinataire pour matérialiser l’adresse ou le message qu’il dirige vers lui (destinataire).
Donc, le choix du gros plan ou du plan américain sur un homme en costume-cravate, encadré de slogan : « Papa social », « Trop, c’est trop… », « Avocat du peuple », etc. est classique. Il a l’avantage de ne pas viser un public déterminé, donc restreint. Or, n’oublions pas que la réussite en Afrique de certaines publicités pour des marques de cigarettes ou de bières tient à l’utilisation des créneaux comme le sport et la musique pour les grandes campagnes.
La place du graphisme
Mais ce n’est pas la seule voie. Des recherches au plan du graphisme ont abouti, par exemple, à illustrer un événement en s’inspirant du dessin des petits créateurs, très chargé, foisonnant même. Quoi qu’il en soit, plutôt que de croire adapter à moindre frais, avec une recherche nulle, mieux vaudrait laisser la publicité telle qu’elle est. Pourtant, le dessin lui confère une part d’exotisme toujours accrocheur. Telle ne semble pas être l’option de la plupart des candidats qui ont versé dans les slogans.
C’est aussi un autre moyen de viser l’universalité. D’une virulence extrême, le slogan a emprunté à des expressions, à des adages, à des mots… Alors qu’il se réduit le plus souvent au seul nom de la personne ou de la marque. Aussi bien est-ce surtout le graphisme qui fonctionne comme un signe de reconnaissance, pour permettre à celui qui ne sait pas lire de reconnaître, pourtant, la publicité dans cette langue. C’est important car, si de plus en plus de gens savent lire en Afrique, il y a encore de nombreux analphabètes fonctionnels qui ont désappris à lire et à qui on ne peut imposer un pensum publicitaire.
Le nom, c’est gagner ou perdre
Nommer une personne ou une chose, c’est la faire être. Choisir une bonne appellation, c’est augmenter la force de frappe. Donc, marquer, c’est gagner. « Dis-moi comment tu t’appelles, je te dirai qui tu es. » C’est aussi l’une des règles d’or du marketing. Un bon nom, une bonne marque, est en effet un capital précieux pour le succès.
Nommer les personnes ou les choses est une habitude vieille comme le monde. Depuis la genèse où « Dieu appela la lumière Jour et les ténèbres Nuit ». Mais nommer une personne ou un parti politique est aussi devenu une arme capitale, comme l’est un produit ou une société dans l’univers concurrentiel d’aujourd’hui.
Une vingtaine de noms, plus de 10 mille candidatures ont été déposées à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), respectivement pour la présidentielle et la députation. Par leur nombre qui donne le tournis, elles traduisent la propension pour la politique, sensée être le lieu où l’on peut s’enrichir rapidement sans cause.
Mais la simple évocation du nom du candidat peut faire décider de son sort. Exemple à l’appui, c’est ce qu’ont démontré Marcel Botton, économiste et président de Nomen (une des premières sociétés mondiales de création de marques) et Jean-Jack Cegarra, professeur de marketing et fondateur d’Acronyme (une association pour le développement de la marque et du marketing).
Inventer un nom de marque n’est cependant pas chose facile. Pas de place pour l’arbitraire ou la pure fantaisie. « L’appellation doit être motivée », expliquent-ils. Souvent aussi le reflet d’une évolution linguistique, nommer a surtout trois fonctions : se faire connaître, se démarquer, persuader. Élément d’identification, le nom ou la marque est aussi un outil, « un passeport pour entrer en communication ». Ramené à notre contexte électoral, on a vu les candidats se revendiquer de l’opposition ou de la majorité ou encore indépendant.
L’idéal consiste à donner au nom la puissance d’un slogan. Mais à l’inverse de celui-ci, qui s’exprime à travers une phrase, « le mot a peu de temps ». Il lui faut donc trouver son rythme en une, deux, trois ou quatre syllabes. Le mot doit être « précis dans sa désignation et imprécis dans son évocation ». La symbolique des voyelles et des consonnes joue ici un grand rôle : Lamuka, FCC, etc.
De plus, le nom peut aussi devenir un label de qualité. Et l’histoire a montré qu’un nom ou une marque, doté d’une notoriété exceptionnelle, pouvait même quelques fois entrer dans le langage courant. Alphonse Godillot, fabricant de chaussures pour l’armée, le préfet Poubelle, ou « Frigidaire » en sont des exemples.
D’autres composantes figuratives peuvent venir renforcer « sa force de frappe ». Ce peut être un logotype qui met l’accent sur la typographie et la calligraphie, un emblème pour marquer l’origine ou l’appartenance ou plus généralement le design.