Comment vivre au Cameroun sans groupe électrogène ?

Traversée d’une Afrique bientôt électrique. Témoignage de Philippe, habitant de Yaoundé, qui nous éclaire sur les délestages et le moyen de vivre (quand même) allumé.

Dans de nombreux pays d’Afrique, les distributeurs d’électricité pratiquent le « délestage », plongeant sans prévenir les habitants de quartiers entiers dans le noir. Ici, le quartier de Kangemi, dans la banlieue de Nairobi. (Crédits : Matteo Maillard)

Au Cameroun, rares sont les nuits sans coupure d’électricité. À Yaoundé, la capitale, une balade en soirée suffit à convaincre. Perché sur l’une des sept collines de la ville, on peut voir les pâtés de maison, parfois des quartiers entiers, s’éteindre. Ce sont les fameux délestages. Les coupures volontaires du distributeur qui privent d’énergie une partie des consommateurs, pour quelques heures, voire quelques jours, afin d’éviter la saturation du réseau et son effondrement.

En cause, la production énergétique du Cameroun qui n’a pas réussi à suivre la croissance de la population. Selon une étude récente de l’International Energy Agency (IEA), pour 22,7 millions d’habitants, le Cameroun produit 113,5 mégawatts (MW). À titre de comparaison, la Roumanie, avec une population équivalente, produit 306,7 MW.

« Tout le voisinage bourdonne »

Si vous vivez dans un quartier populaire de Yaoundé, vous ne comptez plus le nombre de repas terminés dans le noir ou à la bougie, les fins de match manquées à la télé. Pour prévenir ces désagréments quotidiens, de nombreux commerces, restaurants, bars, hôtels, boîtes de nuit et de plus en plus de foyers ont investi dans des groupes électrogènes. Le « générateur », comme on le nomme aussi, est devenu un objet indispensable pour la classe moyenne supérieure. En ville, de nombreux magasins sont exclusivement consacrés à leur vente tout comme un secteur entier du marché central de Yaoundé. Renyuwang, King Max, Super Tiger, Astra Korea, Birla, Tager China ou Yamaha sont les marques asiatiques qui se concurrencent. Il y en a au diesel ou à essence, de toutes les tailles et de tous les prix, de 65 000 à 980 000 francs CFA (99 euros à 1 490 euros).

C’est dans l’un de ces magasins que Philippe a acheté le sien. Philippe est père de famille, officier dans la marine camerounaise et, pour des raisons de sécurité, ne donnera pas son vrai nom. « J’ai un grand générateur à la maison depuis trois ans. Ce n’est qu’il y avait moins de délestages avant, mais je voulais attendre pour acheter un modèle précis qui coûtait son prix et je n’avais pas suffisamment d’argent. 650 000 francs CFA, mais il les vaut ! Il est automatique, s’enclenche dès que la lumière s’éteint et il est assez puissant pour alimenter toute la maison pendant plus de vingt-quatre heures. Il ne m’a jamais fait défaut. Dans la maison nous avons six chambres et nous sommes huit, mes enfants, ma femme et ma belle famille ».

« Quand je fais le plein de 30 litres, je peux tenir un mois. Un litre de gasoil coûte environ 600 francs CFA (0,91 euro). Je dépense près de 20 000 francs CFA par mois. Nous avons des appareils électroniques qui consomment : un frigo, un congélateur, une machine à laver. Je vis dans un quartier résidentiel tranquille près de l’aéroport de Nsimalen. Mes voisins sont nombreux à avoir des générateurs. Ainsi quand vous arrivez dans le quartier pendant une coupure vous ne vous en rendez pas compte. Tout est éclairé par les groupes électrogènes. Seul le bruit peut vous mettre la puce à l’oreille. Le mien est trop bruyant. C’est à peine si on s’entend parler. Je l’ai donc mis dans un local à l’extérieur, dans le jardin. Ce n’est pas totalement insonorisé mais les bruits sont un peu étouffés. Il n’empêche que notre sommeil reste perturbé. Heureusement nous avons encore beaucoup d’arbres, donc le quartier ne sent pas l’essence. Mais le bruit est inévitable. Tout le voisinage bourdonne en cas de coupure. C’est une cacophonie ».

Eclairer des obsèques au générateur

« Nous sommes tellement habitués aux coupures que l’on ne se rappelle même plus de la durée de la dernière. Parfois, elles touchent toute la ville. Il arrive que sur les sept jours de la semaine, nous ayons trois jours de coupure. Elles ne sont pas permanentes cela dit. Ça peut partir et revenir plusieurs fois dans une journée. Par contre, il y a des quartiers où les gens font trois à quatre jours complets sans aucune électricité. Je ne sais pas comment la compagnie choisit les zones à délester. Bon, dans la capitale, plusieurs jours de coupures ininterrompues, c’est plutôt rare. Mais dans l’arrière du pays, il arrive que pendant une à deux semaines, il n’y ait pas d’électricité. J’ai même dû amener mon générateur au village pour éclairer les obsèques de ma belle-mère ». « Quand j’étais jeune, il y avait moins de coupures. Elles se sont intensifiées au début des années 1990. Il n’y a pas eu de prévision pour adapter les installations électriques à la croissance de la population. Après la crise économique de 1987, les jeunes sont montés vers la capitale pour trouver du travail car les matières premières cultivées dans les régions rurales ne se vendaient plus sur les marchés.