Financer l’Afrique, c’est investir pour l’avenir

Pour l’entrepreneur zimbabwéen Strive Masiyiwa, le continent a le potentiel pour devenir l’un des leaders mondiaux sur le front du climat.

Lors de l’inauguration de la nouvelle centrale solaire sénégalaise, à Bokhol, en octobre 2016. (Crédits AFP)

Les Africains sont de grands entrepreneurs et des champions de l’innovation, et cela dans tous les domaines. Il suffit de se rendre sur un marché africain pour s’apercevoir de cette ingénuité qui saute aux yeux. Cependant, les entrepreneurs, quels qu’ils soient, comptent sur les investissements, et c’est souvent là que le bât blesse en ce qui concerne l’Afrique. Obtenir des fonds s’avère souvent difficile, aussi bien pour les petits commerçants qui veulent ouvrir un compte en banque que pour les entreprises qui sollicitent un prêt en vue de se développer. Les pays africains comptent eux aussi sur les investissements. Aujourd’hui, ils ont tout particulièrement besoin de capitaux pour pouvoir s’adapter aux effets du changement climatique et prendre part à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Objectif annuel de 100 milliards de dollars

Le changement climatique ajoute un caractère d’urgence aux besoins en capitaux existants, que ce soit en matière d’infrastructure, d’agriculture, de santé et d’éducation. La ratification historique de l’Accord de Paris à l’issue des négociations sur le climat, en décembre 2015 à la COP21, prévoit ce type d’investissement. Les pays développés se sont ainsi engagés à lever 100 milliards de dollars (93 milliards d’euros) par an entre 2020 et 2025, et à définir un nouvel objectif encore plus ambitieux pour la période qui suivra. Lors des négociations de la COP22, qui ont lieu cette année en novembre, à Marrakech, il est primordial que les pays développés finalisent la « feuille de route » qui permettra d’atteindre cet objectif annuel. Cela concerne avant tout les principaux émetteurs de gaz à effet de serre : les États-Unis (15 % des émissions en 2014), l’Union européenne (9,6 %), la Russie (5 %) et le Japon (3,6 %).

Le versement de ces 100 milliards de dollars soulève toutefois un problème. En effet, la définition des « pays développés » remonte à la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1992. La Chine en est par conséquent exclue, alors qu’elle est aujourd’hui, et de loin (29,6 %), le plus gros émetteur au monde. La Chine, le Brésil et d’autres économies émergentes devraient eux aussi contribuer de façon signifiante au financement climatique et honorer les autres engagements pris en matière de changement climatique à l’échelle mondiale. Les 100 milliards de dollars dédiés au financement climatique constituent en réalité un investissement. Les pays partenaires doivent en effet investir en Afrique pour faire perdurer les avancées qu’ils ont déjà contribué à mettre en place. La Chine, qui est un investisseur majeur dans de nombreux pays africains, doit tout particulièrement veiller à protéger ses investissements.

À l’échelle mondiale, le financement climatique en faveur de l’Afrique représente un investissement pour l’avenir. Les émissions du continent africain ne représentent aujourd’hui qu’une part négligeable du total mondial. Mais c’est en Afrique que se concentrera presque exclusivement la croissance démographique mondiale de ces cinquante prochaines années. C’est pourquoi l’Afrique et ses partenaires financiers doivent garantir une croissance à faible intensité de carbone. Loin d’être un récipiendaire passif des fonds fournis par les pays riches, le continent dispose du potentiel requis pour se positionner comme leader mondial sur le front du climat. L’Africa Progress Panel, dont je suis membre, l’a clairement démontré dans son rapport 2015 intitulé « Energie, population et planète : saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l’Afrique ».

Les pays africains savent qu’au XXIe siècle, leur croissance doit s’appuyer sur les énergies renouvelables, et les progrès accomplis en ce sens sont déjà considérables. Les délégués présents à la COP22 n’auront d’ailleurs pas à chercher bien loin pour trouver des exemples : le Maroc est en train de construire à Ouarzazate la plus grande centrale au monde de production d’énergie solaire concentrée. D’autres centrales de production d’énergie solaire et éolienne ont également vu le jour en Afrique du Sud, en Ethiopie, au Ghana, au Kenya et au Rwanda.

Le continent africain a besoin de sources d’énergie à faible émission de carbone, non seulement pour faire en sorte que sa croissance soit à l’épreuve du changement climatique, mais aussi pour étendre l’accès aux énergies modernes, sachant que les deux tiers des Africains n’ont pas l’électricité.

« Energies renouvelables décentralisées »

La conception, le financement et la construction de grandes centrales électriques sont un processus de longue haleine, tout comme l’extension de l’accès au réseau pour atteindre les zones les plus reculées. C’est pourquoi de nombreux Africains choisissent de se tourner vers des solutions hors réseau, notamment l’énergie solaire. Selon les prévisions, les systèmes hors réseau ou les mini-réseaux devraient concerner 70 % des 315 millions de personnes qui auront accès à l’électricité dans les zones rurales d’Afrique d’ici à 2040.

D’après ce scénario, au moins 300 millions de personnes seront cependant toujours privées d’électricité en 2040. En outre, seuls 3 % des capitaux internationaux dédiés à l’action climatique sont consacrés à ces « énergies renouvelables décentralisées ». Cet écart illustre clairement le triple défi auquel vont devoir faire face les délégués de la COP22. Nous devons nous montrer plus ambitieux, agir sans tarder et adopter une perspective à long terme. En termes d’ambition, l’engagement commun en faveur d’une révision régulière des objectifs climatiques mondiaux représente l’une des réussites majeures de l’Accord de Paris. La COP22 doit maintenir et renforcer cette pression. Le fait est que beaucoup se demandent si les 100 milliards de dollars correspondant au financement de l’action climatique seront suffisants. Pour certains experts, ce chiffre serait plutôt de 400 milliards.

Nous devons quoi qu’il en soit agir sans tarder, car, chaque mois, de nouvelles preuves scientifiques montrent que les effets du réchauffement climatique sont plus graves et plus immédiats que ce que nous avions anticipé. Un financement en faveur de l’action climatique doit être accordé dès maintenant aux pays en développement afin que ces derniers puissent s’adapter au plus vite aux effets du changement climatique que nous allons subir très bientôt. Pour cela, les participants à la COP22 vont devoir finaliser le nouveau plan de travail permettant aux pays concernés d’obtenir une compensation pour les « pertes et dommages » imputables au changement climatique. Enfin, il importe d’adopter une perspective à long terme, car cela ne concerne pas que nous et nos enfants : il s’agit d’un investissement en faveur de toutes les générations à venir. Le moment venu, nous serons jugés, non pas sur les promesses que nous faisons (ou les excuses que nous trouvons), mais bel et bien sur les actions entreprises dès aujourd’hui.