Controverse sur la gestion de la « manne » pétrolièr

L’exécutif a pris le pari de relancer, cette année, la production pétrolière et gazière, avec l’arrivée de nouveaux investisseurs et la signature de nouveaux contrats aux côtés des producteurs déjà en activité. Cependant, l’impact des hydrocarbures sur le budget de l’État est sujet à caution.

 

Le lancement de plusieurs projets d’exploitation pétrolière et gazière (lac Kivu) augure de bonnes perspectives, selon le ministre des Hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena. Qui pense que la mise en service, le 10 février, de la nouvelle unité de production offshore par la compagnie Perenco Rep Sarl (bassin côtier) est un « jour nouveau qui marque la relance de la production pétrolière en République démocratique du Congo ». D’après lui, Perenco, « petite société française » travaillant dans les champs abandonnés, est en train de quitter cette zone des petites sociétés. Avec la réparation d’anciens puits, dont certains datent de 40 ans et avec le nettoyage d’autres puits vieux de plus ou moins 10 ans, et bien sûr avec l’acquisition du rig Nuada, explique-t-il, la société va produire mieux que jusque-là.

Dans certains milieux, on rit sous cap. On argue que ce n’est pas avec 5 000 barils/jour supplémentaires que l’on va relancer la production pétrolière en RDC. Bien sûr que non, concède le ministre des Hydrocarbures. Il souligne que le gouvernement ne mise pas uniquement sur la seule production de Perenco car Il y a du pétrole partout en RDC, laisse-t-il entendre. « Mais il faut commencer quelque part, même timidement ».

Aimé Ngoy rappelle la démarche : doter d’abord le pays d’un cadre légal qui fixe les normes dans le secteur et adhérer à l’organisation africaine des producteurs de pétrole (APO). Cela a été fait avec la promulgation de la loi 15/012 du 1er août 2015, qui met la RDC en « ordre de bataille ». « D’autres opérateurs vont commencer bientôt leurs activités, dans les lacs Kivu et Tanganyika, dans la cuvette centrale, surtout Total dans le Graben Albertine, dit-il. Dans les jours qui viennent, on va bien comprendre que le mot relance a tout son sens ».

Dans certains milieux politiques, voire de la société civile, les déclarations du ministre des Hydrocarbures ne sont qu’« optimisme béat ». Du coup, le vieux débat sur les retombées de l’exploitation minière et pétrolière est réchauffé. Ce débat porte essentiellement sur l’impact de la production des industries extractives au pays sur la population qui continue de vivre dans la pauvreté. En janvier, l’ONG ACAJ a donné de la voix en demandant « l’annulation » de la convention offshore n°175 accordée à Perenco à cause de son « caractère léonin ». ACAJ juge cette convention « illégale » parce qu’« elle préjudicie les intérêts de la RDC et de la population ».

Le débat ne fait qu’enfler depuis le 10 février, après l’inauguration de la nouvelle unité de production de Perenco à Muanda. Par exemple, cette question : combien de barils produit véritablement Perenco ? Ou : combien rapporte réellement les hydrocarbures au Trésor public ? Ou encore : quid du programme gouvernemental 2012-2016 ? Quid de la collaboration avec l’Angola ? Autant de questions qui sont sans réponses pour l’instant mais qui ramène à une réalité : la bataille des chiffres. Selon le ministre des Hydrocarbures, Perenco n’est pas à Muanda depuis 45 ans, les puits qu’elle a forés en onshore produisent au total autour de 20 000 barils/jour et pas plus.

Pourtant, le gouvernement Matata avait pris l’engagement d’amener la production de 25 000 à 225 000 barils/jour en 2014, grâce à la collaboration de l’Angola pour le partage de la production offshore de 400 000 barils/jour. Pourquoi cela n’a-t-il pas été réalisé ? Que va gagner l’État avec la relance de la production pétrolière autour de 30 000 barils/jour, comparé à l’Angola (actuellement 1.6 millions de barils/jour, seuil fixé par l’OPEP, au lieu de 2 millions) et au Congo Brazzaville (prévisions de 300 000 barils/jour en 2018) ?

La part du secteur dans le budget

Le code des hydrocarbures fait obligation aux sociétés pétrolières et gazières de déclarer leurs recettes de production dans le Journal officiel ou dans un site officiel du gouvernement. Dieu seul sait si cette disposition légale est respectée stricto sensu. Soit. Dans le budget pour l’exercice 2018, la part du secteur des hydrocarbures (Perenco Rep, Lirex, MIOC) est de quelque 272 milliards de francs, soit quelque 170 millions de dollars. Comme en 2017 ! Tenez : au premier semestre de 2017, les recettes des hydrocarbures étaient déjà à quelque 100 millions de dollars, selon les relevés de recouvrement de la Direction générale des impôts (DGI), de la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et des participations (DGRAD) et de la Direction générale des douanes et accises (DGDA). On n’a pas encore les données du second semestre de 2017, quand on sait qu’il y a embellie sur les cours du pétrole à l’international.

Le gouvernement comptait rétrocéder quelque 101 milliards de francs, soit environ 1 million de dollars, au Kongo-Central. Pourtant, la constitution a consacré le principe de la retenue à la source des 40 % des recettes nationales réalisées en province. On reproche souvent à l’État de méconnaître les droits dus à la province sur l’exploitation pétrolière au large de Muanda. La gestion de la « manne » pétrolière est l’un des rares points sur lesquels la classe politique Ne Kongo et la mouvance de la société civile sont d’accord.

Par ailleurs, le ministère des Hydrocarbures a levé l’option de réévaluer les recettes pétrolières, notamment les royalties (actuellement à 28.1 milliards de francs), les dividendes onshore (10.7 milliards de francs) et offshore (29 milliards). Les experts du gouvernement recommandent qu’on prenne en compte dans les calculs des revenus pétroliers de l’État la production journalière, le cours moyen, la décote, le niveau des charges déductibles de 40 % ainsi que le régime fiscal par convention pétrolière. Ou encore d’intensifier le recouvrement de la taxe rémunératoire annuelle, de la taxe d’implantation et de pollution auprès des pétroliers producteurs, ainsi que l’activation du bonus de production.

Outre les pétroliers producteurs, l’État avait également dans son viseur les sociétés importatrices et commerciales opérant en RDC. La DGDA a notamment reçu mission de procéder, sans délai, au marquage moléculaire des produits pétroliers… Sans compter les missions d’encadrement et de suivi de la mobilisation des recettes (DGRAD et ministère)… Bref, de l’avis des experts, l’État peut gagner davantage. Si et seulement si…

C’est dire que la production pétrolière suscite des doutes sur l’honnêteté des pétroliers producteurs. Le gouvernement leur a demandé de travailler sur la base du « principe de sincérité et de vérité des chiffres ». Les recettes des pétroliers producteurs représentent tout de même 30 % en moyenne des recettes du budget de l’État. Cependant, les sociétés PERENCO, MIOC, LIREX, etc. n’atteignent plus leurs assignations depuis quelques années. Elles avancent que le bassin côtier est trop étroit (37 km) et le champ pétrolifère y est 20 fois plus petit (potentiel estimé à 180 millions de barils).