Coronavirus : Kinshasa entre doutes et angoisses

Les Kinois sont-ils convaincus par le grave danger que représente la pandémie et par la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement ? Les hôpitaux sont-ils mobilisés pour accueillir les patients Covid-19 ? Sur le terrain, qu’en dit-on ? Quelles seraient les conséquences d’un passage aux stades 2 et 3 de la pandémie ? Sondage de confiance.

LES remontées du terrain font désormais état d’un sentiment d’anxiété qui commence à envahir la population. Le danger est perçu désormais comme réel, notamment au vu des images des cadavres entassés venues d’ailleurs que l’on regarde sur les réseaux sociaux et à la télévision. 

Mais aussi au su du nombre galopant de cas de contamination au Civd-19 dans le pays. Plus de 134 cas confirmés déjà. 

Les gens commencent à être désemparés de plus en plus dans la ville. Ils ont l’impression que les autorités ne font rien pour prendre toute la mesure de la pandémie et que les personnels de santé, craignant pour leur vie, ne se mobilisent pas pour guérir les patients Covid-19 et stopper la propagation de la pandémie dans le pays. 

Hypocondriaques

À travers son témoignage relayé par les réseaux sociaux, Vidiye Tshimanga Tshipanda, le conseiller du chef de l’État, a tiré la sonnette d’alarme afin que les mesures d’information soient prises et invité donc à se mobiliser à véhiculer la bonne information. 

D’autres personnalités fustigent la « gestion politique chaotique » et la « communication désastreuse »…

Des milliers de Kinois commencent à se détourner des idées reçues. Ils s’auscultent au jour le jour, oscillant entre le désarroi, la colère et l’angoisse. Beaucoup suivent de près l’évolution des connaissances sur le virus. En proie à un moindre symptôme (une grande fatigue, une toux et des maux de gorge), ils appellent un médecin. Bref, ils se surveillent. 

Du coup, ils deviennent plus hypocondriaques que Woody Allen. « C’est vraiment une sensation étrange de se demander si on est malade ou si c’est psychologique », a confié un sexagénaire. « On a peur de mourir », a déclaré une mère de 7 enfants. Les plus âgés ou vulnérables craignent de voir leur état se dégrader brutalement. « Le plus dur n’est pas de savoir si on l’a ou pas, c’est de ne pas savoir si cela ne va pas s’aggraver dans l’heure qui vient. Cela génère beaucoup d’angoisse, on a peur de mourir », témoigne un cadre supérieur. 

Les jeunes (20-40 ans) s’inquiètent moins pour eux-mêmes, ne redoutant pas d’être une menace pour leur entourage. Malgré toutes les précautions préconisées, dont se laver les mains régulièrement, respecter la distance sociale de 1 m, etc., ils jouent au faux héros, certains se retrouvent à avoir peur de tuer leurs parents, un proche âgé, un collègue ou un conjoint à la santé fragile. « Jusqu’à présent, le coronavirus c’est abstrait, pour la majorité des jeunes qui occultent le risque, reconnaissent-ils. 

Avec le risque de propagation exponentielle de l’épidémie, l’insouciance fait place à une angoisse, fait remarquer un médecin. « Les gens sont désemparés. Ils appellent pour tout. L’un s’inquiète d’avoir 36,7 °C de température, un autre d’avoir le nez qui coule, un troisième de ne pas réussir à ouvrir sa bouteille de bain de bouche, y voyant le signe d’une soudaine faiblesse physique », affirme ce médecin. Une vendeuse se désole de voir encore beaucoup de gens se promener dans la rue et au marché sans le moindre souci. Dans les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, WhatsApp… c’est la folie !  

Au-delà des messages sanitaires classiques, des entreprises ont pris des dispositions beaucoup plus draconiennes pour se protéger du coronavirus. Fermetures de siège, réorganisation des salles, service minimum rotatif, etc.  Ici, les agents ont été prévenus de plus recevoir des clients au bureau, là-bas, les rendez-vous se font désormais pour l’essentiel par téléphone ou internet. Mais certains ne font pas dans la dentelle. Une société a carrément renvoyé les employés chez eux ! Bref, les entreprises et les administrations ne veulent prendre aucun risque. Elles ont demandé à faire du télétravail. 

À ce stade, il est pratiquement impossible de tracer un tableau d’ensemble de la confiance de la population face à la crise sanitaire car, globalement, les résultats diffèrent fortement selon les publics et les milieux concernés. Ainsi, affirmer avec certitude que la confiance est en hausse, en baisse ou qu’elle reste à un niveau plus ou moins constant peut masquer toute la palette des nuances liées au sexe, à l’âge ou à des variables socioéconomiques. Par ailleurs, et ne l’oublions pas, un gouffre sépare celles et ceux qui occupent des postes à responsabilité du grand public.

Ce rapide sondage réalisé par les rédactions de Business et Finances permet de se faire une idée de l’état général actuel de la confiance de la population de Kinshasa. Alors qu’une mesure de confinement total de la ville par intermittence pendant trois semaines a été vite retirée pour éviter une déflagration sociale dans la capitale, il y a deux semaines, voilà que l’autorité urbaine revient à la charge avec une autre mesure de confinement, cette fois-ci de la commune de Gombe, pendant deux semaines, à la demande de la cellule de riposte au Covid-19, à partir du lundi 6 avril. Il s’agit de freiner la propagation du virus en procédant au dépistage.

Cette décision d’isolement de Gombe, considéré comme l’épicentre du Covid-19 à Kinshasa et dans le pays, expliquent des spécialistes, correspond au stade 2 et fait penser à l’imminence d’un passage au stade 3. Certes, le stade 2 fait peu de doute dans la population car le virus ne circule pas encore activement comme en Europe ou aux États-Unis. Mais c’est un choix, soulignent-ils, qui aurait de nombreuses conséquences sur le quotidien des Kinois, même si les mesures de confinement (suspension des transports en commun, restriction des rassemblements, fermetures d’écoles, des commerces, des supermarchés, etc.) seront prises au cas par cas et de façon progressive.

Selon les mêmes spécialistes, le confinement total qui est correspond au stade 3 de l’épidémie pourrait avoir un impact insoupçonné sur la vie quotidienne des Congolais. Ce stade, disent-ils, devrait être atteint d’un jour à l’autre, au gré de l’évolution de la propagation. Le stade 3 correspond à l’épidémie proprement dite: le virus circule activement et est transmissible sur tout le territoire. Une fois ce stade atteint, il ne s’agira plus de freiner la propagation du virus comme au stade 2, où Kinshasa se trouve, mais d’en atténuer les effets.

Arsenal de réponses

Cela passe, d’une part, par d’éventuelles restrictions des rassemblements et des déplacements, et, d’autre part, par une réorganisation complète du système de soins. Au stade 3, les activités collectives seront fortement impactées. Pour faire face à l’épidémie, les autorités s’appuient sur un arsenal de réponses. Pour autant, un passage au stade 3 ne veut pas dire que de telles mesures seront prises d’un coup et de la même façon partout dans le pays. Elles seront probablement progressives et décidées au cas par cas, selon les endroits et la progression de l’épidémie. 

Sur le terrain, les Kinois pensent que le passage au stade 3 n’équivaudrait pas à « arrêter le pays ». Par ailleurs, le stade 3 entraînera la mobilisation complète du système sanitaire hospitalier (médecins, infirmières, etc.). Mais aussi dans le domaine de la vie quotidienne, des actions pour éviter des pénuries : surveillance des prix et de la disponibilité des produits et maintien d’un approvisionnement alimentaire et de produits de première nécessité.