Coulisses du pouvoir C’est quoi d’être riche aujourd’hui dans le monde

Les super-riches du monde ont davantage gagné que les autres et l’économie en 2019. Dans un entretien pour Challenges, Elias Ghanem, le vice-président Financial services Fintech de la société de conseil CapGemini, dévoile les conclusions du dernier World Wealth Report, son étude sur les riches dans le monde en 2020.

DES RÉSULTATS qui confirment ceux du palmarès des « 500 Fortunes » que Challenges a publié le même jour, le mercredi 8 juillet : en 2019, les riches se sont enrichis plus vite que l’économie. Et les plus riches d’entre eux davantage que les autres… Quelles leçons tirées ? Malgré la crise économique provoquée par le confinement, le patrimoine des 500 premières fortunes de France ne s’est pas effondré. Au contraire. À 730 milliards, il n’a jamais été aussi élevé. Mieux, pour la première fois, un actionnaire – Bernard Arnault – passe la barre des 100 milliards de patrimoine, faisant de lui la troisième personne la plus riche du monde. 

Challenges : Être riche, aujourd’hui, dans le monde, qu’est-ce que cela veut dire ?

Elias Ghanem : Cela veut dire posséder plus de 3 millions de dollars d’avoirs financiers. Cela représente une population totale de près de 20 millions de personnes (19,6 exactement), en hausse de 8 % par rapport à 2018. À comparer, surtout, aux 12 millions que nous avions identifiées en 2012.

Ch. : Comment a évolué leur fortune ?

E. G. : En 2019, la production mondiale (autrement dit la richesse créée sur l’ensemble de la planète) a augmenté de 2,3 %. Une croissance plutôt bonne, mais qui est bien inférieure à celle du patrimoine de ceux que nous appelons les HNWI, les High net Worth individuals, qui détiennent donc plus de 1 million de dollars d’avoirs chacun. Leur fortune cumulée a en effet augmenté de 8,8 %. Et le total de leur fortune cumulée plafonne à 74 000 milliards de dollars, contre 68 100 milliards un an auparavant.

Ch. : Comment expliquez-vous cette progression, presque quatre fois supérieure à celle de l’économie mondiale ?

E. G. : Elle s’explique par deux phénomènes : les stimuli apportés par les Banques centrales américaine et européenne, qui ont injecté dans l’économie des centaines de milliards. Ces injections ont dopé les cours de Bourse. Il y a eu ensuite la très bonne santé de la Tech, qui a favorisé les zones qui sont motrices dans ces domaines: les États-Unis et l’Europe.

Ch. : Cela veut dire que l’Asie est restée à la traîne ?

E. G. : Eh oui! Pour une fois, l’Asie, où l’immobilier est un constituant très important de la richesse, est restée derrière, avec une hausse de 7,9 %. L’an dernier, la richesse a augmenté de 11 % aux États-Unis et de 8,8 % en Europe, alors que l’Asie était, depuis 2012, la zone où la richesse progressait le plus vite.

Ch. : Tous les riches ont vu leur patrimoine progresser aussi vite ?

E. G. : Non, et c’est là une des surprises de cette étude: le patrimoine de la petite fraction des « Riches parmi les Riches » a beaucoup plus progressé que celui du reste des 20 millions des HNWI que nous avons recensés.

Ch. : De combien ?

E. G. : Nous classons ces 20 millions de personnes en trois catégories inégales. D’abord, les « Riches next door » (les « Riches d’à côté »), dont la richesse va de 1 à 5 millions de dollars. Ils sont 17 millions et représentent l’écrasante majorité (90 %) de cette population. Leur patrimoine, lui, n’a progressé que de 8,8 %. 

Ensuite viennent les Mid-Tier Millionaires (les « Millionnaires du milieu », dont la fortune est comprise entre 5 et 30 millions de dollars) : ils sont 1,8 million et ont vu leur patrimoine progresser de 8,9 %. Et enfin, il y a la couche d’au-dessus, le top de la richesse, les UHNWI (Ultra-high net worth Individuals, les personnes ultra-Riches, dont le patrimoine est supérieur à 30 millions de dollars). Ils ne sont que 183 400, soit 0,9 % de nos 20 millions de riches, mais ils ont vu leur patrimoine progresser de 9,1 %.

Ch. : Comment expliquez-vous cette différence ?

E. G. : Par la structure de leur patrimoine: les très très riches, très investis en actions, ont davantage profité de la hausse des marchés boursiers que les autres. Comme le montre, d’ailleurs, la structure de détention de notre population de 20 millions de personnes. En 2018, les actions représentaient 25,7 % des avoirs. En 2019, ils en représentaient 30 %.

Ch. : Votre étude porte sur des données jusqu’à février 2020. C’est-à-dire que vous avez en quelque sorte « raté » l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les patrimoines des plus riches. Pouvez-vous malgré tout estimer cet impact ?

E. G. : Cette crise a redessiné la dynamique de création de richesse. En faveur notamment de la santé et de la Tech. À titre d’exemple, l’application Zoom, qui a tant servi pour maintenir le contact entre les équipes des entreprises pendant le confinement, et qui est opérée par quelques dizaines de personnes, vaut aujourd’hui davantage que l’ensemble des compagnies aériennes américaines.

Ch. : Mais globalement, pouvez-vous mesurer un impact chiffré ?

E. G. : Nous aurons une idée de son impact en février 2021, pour notre prochaine étude. Tout ce qu’on peut dire, c’est que nous estimons que l’impact de la pandémie sera sans doute un recul de 6 à 8 % des patrimoines jusqu’à avril dernier. Ensuite, c’est encore trop flou pour oser faire des prévisions!