Beaucoup d’Américains qui ont fait cette année le voyage à Davos rasaient les murs dans le Congress Center de la petite station des Alpes suisse. Cette année, la montagne n’est pas magique et c’est ce sentiment d’incertitudes, ou plutôt de fin des certitudes qui a dominé les quatre jours du Forum économique mondial. Même Klaus Schwab, le fondateur, était ébranlé. Présentant l’intervention de Theresa May, le Premier ministre britannique, il a cru bon de rappeler que, né avant la dernière guerre, il espérait ne pas voir le monde répéter les erreurs des années trente.
Réfugiés digitaux
Symboliquement, un grand mur des réfugiés présentait, en permanence, dans le grand hall du centre des congrès où se déroulent la plupart des 400 conférences la carte des migrations de 2016. Migrants de guerre (Syrie, mais aussi Afrique sahélienne), migrants économiques, migrants climatiques, demain peut-être même «réfugiés digitaux», selon l’expression du patron de Salesforce, Marc Benioff, un des géants de la technologie américaine. Si on ne fait rien, le « gap », entre ceux qui sortiront gagnant de la révolution technologique et les autres, qui perdront leur emploi, va aller croissant. Et la suite, on la connaît, si on ne donne pas d’emploi aux jeunes que l’on forme, ce sera la révolution.
Perdu dans la transition, Lost in transition, à l’image des héros du film de Sophia Coppola dans un Tokyo déshumanisé, l’homme de Davos cherche donc des réponses à des questions qu’il se pose depuis des années. Le Brexit suivi de l’élection de Donald Trump ont réveillé les consciences des Global Leaders. Et cela a mis le Forum économique mondial sens dessus dessous. Xi Jinping, le président chinois, obligé de prendre la tête du combat pour défendre la liberté du commerce, c’est un peu le monde à l’envers. Jo Biden, le vice président des Etats-Unis pour encore 48 heures, s’est presque excusé de l’élection de Donald Trump et a appelé à la « résistance » contre les forces de la désintégration, notamment en Europe, et à défendre « nos valeurs démocratiques ». « Mon espoir est que le prochain président des Etats-Unis va honorer et assurer notre responsabilité historique »… Jo Biden a tiré la sonnette d’alarme, allant jusqu’à accuser la Russie de Poutine de vouloir l’effondrement du monde libéral pour imposer un monde où les pouvoirs autocratiques dominent.
Un pouvoir fort de plus en plus réclamé
Une statistique à ce sujet fait froid dans le dos. Elle émane de la World Value Survey qui montre qu’une proportion croissante des populations réclament un pouvoir fort qui ne s’embarrasse pas de l’avis des parlements : près de 70% des gens partagent cette croyance en Russie, 60% en Inde, 50% en Turquie, plus de 30% en Chine et… aux Etats-Unis. Dans la dernière enquête du Cevipof, un organisme de recherche lié à SciencesPo, la proportion des Français qui sont favorables à un pouvoir fort monte à 49% (et 17% ne verraient aucun inconvénient à une prise du pouvoir par l’armée !). Bref, derrière la crise de la mondialisation se cache bien la crise de la démocratie et c’est pour cela que l’ombre de Donald Trump a fait planer un mauvais karma sur Davos cette année. Démondialisation, effacement du leadership américain, montée des puissances régionales, tout cela est lié. Dans une étude rendue publique à Davos, le Crédit Suisse a établi trois scénarios pour le libre-échange. La fin de la globalisation, assortie d’une probabilité de 10%, la poursuite de la globalisation (35%) et le plus probable (55%) l’entrée dans un monde multipolaire avec une globalisation ralentie. Un nouvel ordre mondial se mettrait en place, dont la stabilité dépendra des règles et des institutions nouvelles à inventer. Exposé à de nombreux risques – mesures protectionnistes, guerre des devises, erreur d’une banque centrale dans le pilotage de la politique monétaire, conflits géopolitiques locaux, soutenabilité de la dette en cas de remontée des taux et de l’inflation-, ce monde nouveau devra répondre aux inquiétudes des perdants de la mondialisation. Pour se sauver, la mondialisation devra être plus inclusive, s’attaquer aux déséquilibres sociaux, lutter contre les inégalités et répondre aux attentes des populations de trouver des emplois.
Période de repli
Dans ce nouvel ordre mondial, les réflexes nationaux voire nationalistes et les rapports de force régionaux seront plus fréquents. Il sera difficile de faire respecter les accords internationaux (commerce, climat) et la tentation sera forte pour que chaque région, voire les pays dominants, cherchent à imposer leur façon de procéder, craint l’économiste de Crédit Suisse, Michael O’ Sullivan. « Brexit, Trump, fin de l’accord transpacifique : 2016 restera dans les mémoires comme l’année où la mondialisation s’est essouflée », écrit-il. Toutes les institutions de la mondialisation, comme la Banque mondiale, l’OMC, voire l’OTAN, risquent de se voir mise en cause dans cette période de repli.
La conclusion, de l’économiste de Crédit Suisse comme du forum de Davos 2017, c’est donc que si l’on ne veut pas revenir à 1913 ou aux années trente, il convient de chercher des solutions plus pondérées que l’arrêt radical de la mondialisation. Ce qui nous sauve, c’est que les deux géants, Chine et Etats-Unis se tiennent par la barbichette, de créancier à débiteur. Mais le monde d’avant, dans lequel les pays avancés ont délocalisé les emplois, en Chine et ailleurs, au grand bénéfice des classes moyennes des pays émergents et du big business des grandes multinationales, principalement américaines.
Inclusif, le mot synthèse
Dans le monde de Trump, a souligné Jack Ma, le patron d’Alibaba, qui a rencontré le président élu dans sa tour à New York, et a raconté cette visite à Davos, « pariez sur le small business, les PME, l’agriculture, tout ce qui crée des emplois non délocalisables ». Pour Jack Ma, la globalisation inclusive, c’est la bonne solution et, selon lui, il faut laisser un peu de temps à Donald Trump. C’est « un businessman pragmatique. Il ne veut pas d’une guerre commerciale avec la Chine ».
Inclusif, voilà donc le mot synthèse de ce forum de Davos. On l’a entendu à toutes les sauces : globalisation inclusive, technologies inclusives, villes inclusives. Pour paraphraser un célèbre slogan publicitaire, c’est l’idée que « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » qui domine et, après tout, pourquoi ne pas essayer.