De l’eau à Goma : Mercy Corps a échoué

Jean Paul Lumbulumbu fait fort dans la revendication. L’élu provincial de Lubero exige désormais la fermeture de la société Congo Maji Sarl et des explications : pourquoi les bornes fontaines promises par l’ONG britannique ne sont-elles pas disponibles dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu ?

ON EN EST encore là ! « Bornes fontaines : Goma souffre de manque d’eau suite aux manœuvres négatives de Mercy Corps et Congo Maji », tel pourrait être le titre d’une tribune libre de Jean Paul Lumbulumbu Mutanaya, le vice-président de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu. Depuis une année bientôt, il est sur la brèche, exigeant la construction et la livraison des 90 bornes fontaines promises à la population de Goma par l’ONG britannique Mercy Corps, dans le cadre du programme Imagine qui est arrivé à terme.

Usant de ses prérogatives de député, il a adressé une question écrite au ministre provincial en charge des Ressources hydrauliques, début mars. « Je cherche tout simplement à comprendre pourquoi Mercy Corps a conditionné l’accord de construction des bornes fontaines à la cession préalable en sa faveur par le gouvernement provincial et la Regideso de la gestion, l’exploitation et la commercialisation de l’eau dans la partie nord de Goma. Ensuite, pourquoi ce contrat a été conclu en violation de la loi sur la passation des marchés publics », se défend Jean Paul Lumbulumbu des critiques visant à le décourager.

Mise sous pression par le député Lumbumbu, Mercy Corps a voulu montrer patte blanche, en souhaitant une visite sur le terrain avec Jean Paul. Question de se rendre compte de l’évolution des travaux. Mais le député de Lubero campe sur sa position : « De la création de la société Congo Maji Sarl à la société Entreprise For Impact (E4i), en passant par la transformation en société unipersonnelle et le transfert de parts sociales, plusieurs manœuvres frauduleuses ayant échappé au contrôle du gouvernement provincial n’étaient pas de nature à favoriser la gestion transparente du programme Imagine. » 

Manque de transparence

Il fallait s’y attendre, déclare Jean Paul Lumbumbu : « J’avais prévenu que le manque de transparence dans la gestion du volet eau du programme Imagine, exécuté par Mercy Corps et sa société fictive Congo Maji aurait des conséquences sur le partenariat public-privé entre le gouvernement provincial du Nord Kivu et la Regideso. » 

Le 26 février 2021, David Angoyo Rutia, le directeur provincial, et Mutombo Mbalanga, le chef de division de la Regideso du Nord-Kivu, cosignent une correspondance adressée au directeur général de la Regideso à Kinshasa. Ils alertent sur la « difficulté de fonctionnement de Congo Maji ». La correspondance fait suite à l’avis de redressement du 15 février 2021 de la Direction provinciale des impôts qui somme Congo Maji de payer 726 149 494 FC dans les quinze jours. Faute de quoi, les comptes de la société chez Equity Bank seront scellés.

La direction provinciale de la Regideso au Nord-Kivu craignait que cela n’affecte le paiement des factures d’eau pour les bornes fontaines gérées par Congo Maji.

Bien plus, elle avertit le siège que Congo Maji est en « mauvaise position vis-à-vis de son actionnaire E4I, qui décline sa responsabilité et a tendance à se retirer sous prétexte de la maladie de Covid-19 par la fermeture de ses activités en RDC ».

Et selon des indiscrétions, fait remarquer la direction provinciale, E4i, actionnaire unique de Congo Maji, aurait écrit aux autorités nationales et à Mercy Corps de la cessation de ses activités. Au départ, la société E4i a tenté de se faire passer pour une ONG locale, Pole Institute. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, la direction provinciale a suggéré de remplacer Congo Maji par un autre « prestataire de services moins problématique qui ne pourra pas subir l’influence négative de Mercy Corps et E4i, d’une part, ainsi que la pression du ministre provincial des Ressources hydrauliques, d’autre part ».  

Entretemps, Mercy Corps aurait résilié le contrat avec la société CENEAS chargée de la construction des bornes fontaines. Au total, 90 nouvelles bornes fontaines devraient être construites depuis novembre 2020. Dans le cadre du programme Imagine financé à hauteur de 65 millions de dollars, il est prévu l’approvisionnement en eau potable pour lutter contre les maladies hydriques dans les villes de Goma Bukavu à travers 300 bornes fontaines à partir de 2014. 

D’après plusieurs témoignages, seulement quelque 36 bornes fontaines sont disponibles dans la ville de Goma.

À Goma comme à Kinshasa, c’est la crédibilité des ONG internationales qui est de plus en plus remise en cause. On se fait la conviction que Congo Maji, puis E4i, n’est qu’une « société écran » pour dissimuler des transactions financières. Congo Maji a été créée avec un capital de 25 000 dollars, et pour passer rapidement à 300 000 dollars. La société E4i qui n’a ni personnel ni bureau en RDC, aurait bénéficié de 3 millions de dollars pour payer des consultants internationaux et ses dirigeants, du reste membres de Mercy Corps.

Audit financier

Le 20 novembre 2020, la haute direction de la Regideso avait écrit (lettre DG/SG/DJA/4484/2020) au représentant de Congo Maji à son siège de Goma. En concerne : Organisation de l’audit contractuel et financier du contrat de collaboration entre la Regideso S.A et Congo Maji Sarl. La Regideso regrette que les séances de travail avec sa délégation à Goma, début octobre 2020, n’aient abouti à rien à cause du « problème lié à la validation du mandat de représentation de Congo Maji » à cette rencontre.

« L’apparition fortuite de l’Entreprise For Impact, considérée comme tiers au partenariat entre parties, constitue une violation manifeste aux dispositions de l’article 20, alinéa 2 du contrat de collaboration signé par les deux parties le 31 août 2018. En effet, conformément à la disposition précitée, le prestataire a l’obligation de demander l’accord de l’exploitant pour la nomination ou le remplacement du personnel clé. Tel n’a pas été le cas », a écrit la haute direction de la Regideso…

La Regideso attendait que Congo Maji lui communique au plus tard le 30 novembre 2020 le nom de la personne habilitée à la représenter et à l’engager valablement, ainsi qu’à lui transmettre les derniers statuts de la société Congo Maji Sarl. Cela, pour permettre les deux parties à reprendre les travaux d’harmonisation et de validation des termes de référence de l’audit dont le lancement devait intervenir en décembre dernier. Dépasser ce délai, « la Regideso tirerait les conséquences de droit qui s’imposent, car il ne sera pas question de tolérer un quelconque dysfonctionnement susceptible d’impacter négativement sa noble mission de donner de l’eau potable à la population de la ville de Goma », conclut la haute direction de la Regideso.

Ce n’est pas tout. Cette dernière a également écrit (lettre DG/SG/DJA/4491/2020) à la même date du 20 novembre au directeur du programme Imagine basé à Goma. En concerne : le partenariat entre la Regideso et Congo Maji. En clair, la Regideso se plaint du « dysfonctionnement constaté depuis un certain temps au niveau de la gouvernance » de ce partenariat. « Nous avons constaté une certaine confusion au niveau des acteurs chez notre partenaire. Ce désordre est entretenu principalement par un groupe d’expatriés dont le rôle n’a jamais été clarifié dès le départ. Cependant, ce sont eux qui, en réalité, exercent de l’emprise au sein de la société Congo Maji, ce avec la bénédiction de certains cadres du programme Imagine et de Mercy Corps. » Une véritable charge d’accusation en règle, c’est le moins que l’on puisse dire.