Diamant du Kasaï : 100 ans d’exploitation pour rien (suite)

Le Botswana est cité comme modèle à suivre pour les autres pays africains producteurs de diamant. Grâce à sa gouvernance démocratique, efficace et honnête, ce pays arrive à tirer chaque année plus de deux milliards de dollars de sa production des diamants, et 70 % des revenus (80 % des exportations, 38 % des recettes budgétaires et 23 % des les recettes douanières) vont directement dans le Trésor public pour soutenir son développement.
Alors que la première mine de diamant du pays a été découverte en 1967, soit une année après son indépendance, le Botswana en est devenu aujourd’hui le premier producteur en Afrique et le deuxième dans le monde, après la Russie.
Les dirigeants de ce pays ont fait fi des recommandations de la Banque mondiale
et du Fonds monétaire international (FMI), en prenant directement des participations dans le capital des entreprises du secteur du diamant. Ils ont imposé à De Beers, la société sud-africaine, la plus grande entreprise de diamant au monde, un partenariat public-privé pour l’exploitation des mines de diamant. De ce partenariat est née la joint-venture Debswana sur le modèle économique de partage équitable de la production. L’État reçoit 85 % des revenus du diamant et De Beers 15 %. En fait, il détient 10 % de De Beers en plus de ses 50 % dans
Debswana.
Outre la délocalisation des activités à Gaborone, les dirigeants du pays ont également imposé à De Beers la création de la Diamond Trading Company Botswana (DTCB), devenue aujourd’hui le plus grand centre mondial du tri et de la valorisation des diamants. L’impact de l’industrie du diamant sur le développement du pays est indéniable grâce à une exploitation responsable.
Le Botswana est en train d’écrire son histoire. En seulement cinq décennies d’exploitation du diamant, il est passé de pays plus pauvre à un pays au revenu moyen supérieur. Les recettes d’exportation sont réinvesties dans la réalisation
des infrastructures, dans les soins de santé et dans l’éducation pour impacter le
développement économique. Par exemple, chaque enfant voit sa scolarité payée par l’État jusqu’à l’âge de 13 ans.
Malédiction des ressources ?
À son accession à l’indépendance en 1966, le Botswana était plus pauvre que la
RDC. Il a mis en place une vigoureuse vision de l’économie intégrée axée sur la transformation des produits d’exportation : bœufs, cuivre et diamants. Ce pays s’est engagé dans la lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Il a pris des mesures d’incitation aux investissements. Par exemple, des impôts peu élevés et stables pour les sociétés minières, le libre-échange, etc. Au Botswana, le diamant est le moteur de la croissance et un atout pour le développement du pays.
En RDC où se trouvent les plus grandes réserves de l’Afrique, le diamant est exporté depuis 1922. Anvers, le centre d’échanges et de commerce du diamant, demeure encore le couloir naturel de l’export des diamants du Kasaï. En un siècle
d’exploitation du diamant, la RDC n’a même pas construit une école de bijouterie ni de la taille de diamants.
Peut-on évoquer la fameuse théorie de la malédiction des ressources naturelles pour justifier nos difficultés de développement économique ? Malgré ses ressources en abondance, la RDC figure sur la liste des pays les plus pauvres de la planète. Elle est à la queue dans le classement des pays selon l’Indice de
développement humain (IDH). Le PIB par habitant n’a jamais franchi le seuil de 2 dollars.
En 1960, la RDC, la RCA et le Botswana avaient tous un PIB par habitant de 1,5 dollar. En 2019, le PIB par habitant de la RCA est tombé à 0,57 dollar, celui de la RDC est resté le même, tandis que celui du Botswana a boosté est passé à 20
dollars. Bref, 60 ans après les indépendances, la RDC et la RCA se sont appauvries alors que le Botswana créait des richesses.
Africain déraciné
Du coup, le Botswana donne la leçon de la conscience historique à beaucoup de pays africains. Selon Joseph Ki-Zerbo, « la conscience historique se pose en s’opposant à l’idéologie ambiante ». Elle n’est pas à confondre avec la volonté politique que l’on entend souvent de la part de nos dirigeants, ni un immense état
d’âme amorphe, une sorte de conscience en l’air. « C’est la co-responsabilité à l’égard du développement ».
La conscience historique suppose une histoire vécue, surtout quand elle a été imposée de l’extérieur. Comment assumer nos responsabilités à l’égard de la colonisation, ce passé qui semble à jamais aboli ? Comment répondre du passé et le reprendre à notre compte ? Beaucoup de peuples, chinois, japonais, sud-coréen, européen et autres, nous ont démontré que cela est possible.
Qui dit développement, dit projection et prospective. Et il n’y a pas de terme qui
se marie mieux avec développement que le terme conscience. En effet, on ne développe pas, on se développe. Conscience et histoire sont faites aussi pour se marier. Toute conscience de soi et pour soi ne peut s’inscrire que dans une trame historique.
Par exemple, avant 1960, la conscience africaine était surtout nationaliste, antagoniste dans l’espace contre le colonisateur. Mais de plus en plus cette conscience africaine devient conflictuelle, antagoniste à l’intérieur du corps social lui-même, et cela au moment où certains dirigeants continuent à désigner à l’extérieur le responsable de tous les maux.
Qui sommes-nous aujourd’hui ? Que voulons-nous devenir ? Le présent est entre nos mains comme la seule réalité, mais qui, d’une part, meurt et d’autre part, jaillit comme passé et futur imminents. Le présent est tout, mais il n’est rien. C’est en tout cas un outil qui peut forger l’avenir, lieu de tout dessein collectif. L’Africain déraciné d’aujourd’hui investit à 100 % dans le présent, sans regard sur le passé, sans augurer de l’avenir, porté qu’il est par tous les courants du jour, par les vents dominants.
Le suicide en silence
L’extraversion peut être suicidaire, ne serait-ce que par la consommation béante de créations ou de surproductions des autres (produits alimentaires transformés, véhicules, équipements divers, etc.) qui sculptent jour après jour le profil de nos âmes. En échange, nous transférons les éternels produits bruts qui suffisent de moins en moins à assurer notre survie. Les produits primaires comptent pour plus de 85 % de la valeur des exportations africaines.
Bien des pays africains se polarisent d’emblée sur la question des moyens de rattraper les pays riches, et par là de « s’en sortir » sans avoir même envisagé parfois les questions préalables : qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ?
D’où les impasses structurelles que l’on constate dans bien des cas aujourd’hui.
À quoi bon d’emboucher la trompette de la rupture si l’on campe avec corps et bagages dans le camp que l’on récuse verbalement ?
Aucun pays africain aujourd’hui n’a une surface économique valable sans la pratique de l’intelligence économique, en tant qu’outil de compréhension de réorganisation des économies des pays tiers, indispensable à la définition de stratégies industrielles adaptées, réactives et performantes. En effet, l’histoire
marche sur deux pieds : la nécessité et la créativité.
Le plus urgent, c’est de s’assigner des buts, d’inventer le futur et de le concrétiser par la volonté politique. Celle-ci d’ailleurs ne doit pas être l’affaire des seuls politiciens, mais aussi de tous les groupes responsables et conscients, en tant que société civile. La volonté politique n’est pas un « deus ex machina » qui viendrait monter pour nous un scénario de salut.
Soyons francs et reconnaissons que si l’on donnait notre pays à certains pays américains, asiatiques et européens, ils le transformeraient rapidement en une superpuissance. Or, objectivement, les ressources matérielles et humaines sont là pour le faire nous-mêmes pour nous-mêmes.