Diamant du Kasaï : 100 ans d’exploitation pour rien

La réalité devant nos yeux révolte. De tous les pays nantis de plus grands gisements diamantifères au monde, la RDC est le seul où la production industrielle n’ait pas amélioré la qualité de vie. Colonisé, le pays exportait toutes ses matières premières ; souverain, il continue à perpétuer le modèle colonial d’économie extravertie. Pouvons-nous l’accepter plus longtemps ? Cette question trouve place juste entre la conscience et le développement.

MBUJI-MAYI, « la capitale mondiale du diamant » (sic !) est une ville sinistrée, au propre comme au figuré. Et que dire de son appendice, Tshikapa ? On entend beaucoup parler, ce dernier temps, de relance ou redressement de la Minière de Bakwanga (MIBA) en situation de quasi faillite. Et on attend beaucoup de la vitalité de la MIBA pour contribuer au dynamisme et à l’équilibre de l’économie nationale ainsi qu’au bien-être social.
Mais on s’interroge très peu sur comment prendre des initiatives, innover, investir,
créer des emplois, se montrer compétitif, vendre et développer les villes et les milieux ruraux. En 100 ans d’exploitation du diamant du Kasaï, la République démocratique du Congo n’est pas parvenue à améliorer la qualité de vie des populations, particulièrement au Kasaï, ni à en redistribuer équitablement les revenus sur l’ensemble du territoire national.
En 1960, nos pères de l’indépendance auraient dû être sceptiques sur les possibilités de poursuivre le modèle économique colonial et attacher plus d’importance aux aspirations sociales et aux incertitudes du développement. En effet, le modèle économique colonial n’avait pas du tout conçu l’industrie minière du pays comme le moteur de la société en développement, c’est-à-dire une société qui épargne le capital, l’investit en équipements, en matières premières et en actions de formation.

Au contraire, le Congo fut pour la Belgique un réservoir de matières premières.
Grâce à sa colonie, la Belgique était le premier producteur mondial de diamant mais aussi de cobalt, de radium, de copal, etc. Les richesses minières et agricoles du Congo avaient engendré en Belgique de nouvelles branches d’industrie et de nombreux emplois.
Par exemple, dans la ville d’Anvers, le secteur du diamant emploie directement 6500 personnes et 26 000 autres dans les activités connexes. Anvers demeure le centre de négoce de diamants le plus important du monde. Environ 84 % du négoce de diamant dans le monde passe par là. Aujourd’hui, les diamants bruts du Kasaï continuent à y être exportés, vendus mais les profits ne sont pas réinvestis au pays. Par conséquent, l’industrie ne s’est pas développée.

La théorie du complot
Depuis 1960, les dirigeants du pays n’en sont pas venus à comprendre que le modèle colonial d’économie extravertie, c’est-à-dire l’exportation tous azimuts des matières premières à l’état brut, était historiquement situé et adapté à une
situation tout à fait différente de la situation locale et des contraintes sociales. On sait aujourd’hui, d’après des études économiques sérieuses, produites d’ailleurs en Occident, que l’Afrique, particulièrement l’Afrique subsaharienne, a été placée dans une coupe réglée pour assurer la prospérité des pays développés.
L’Afrique a été spécialisée dans la production des matières premières et des produits agricoles de base. C’est ainsi qu’à cause de ses nombreuses ressources naturelles, notamment minières, le continent africain continue à jouer le rôle clé de fournisseur de matières premières. Et c’est bien clair que la cause principale du sous-développement du continent africain est la colonisation.
L’Europe, les États-Unis et maintenant la Chine feront tout ce qu’il faut pour maintenir l’Afrique, surtout l’Afrique subsaharienne, dans son état de pauvreté actuel. Ce n’est pas un hasard s’il y a une forte concentration des pays les moins avancés ou PMA en Afrique centrale, et surtout dans la communauté bantoue. Sur la cartographie de la misère dans le monde, pour reprendre l’expression de Bob Tumba Matamba, 33 pays sur les 47 listés sont des pays africains dont la RDC.
Les statistiques sont parlantes en ce qui concerne les exportations en provenance
d’Afrique subsaharienne. On en retiendra utilement que même si les pays africains
gagnent des exportations de leurs matières premières du point de vue du commerce mondial, leurs économies restent pourtant fragiles. En termes de valeur globale du commerce international, 5 % seulement sont transférés vers le continent.
En réalité, de tous les immenses produits de base qu’ils produisent, les pays africains ne gagnent rien du tout.
Il est donc absolument vital pour la survie de l’Europe, des États-Unis et de l’Asie
(la Chine en tête) de maintenir l’Afrique subsaharienne dans cet état de pourvoyeur patenté de matières premières dont ils ont besoin. Rien d’étonnant que par rapport à d’autres pays à faible revenu, les pays africains soient très dépendants de leurs matières premières.
C’est une situation qui écartèle le continent africain au carrefour de l’histoire,
mieux de la mondialisation, et qui l’installe dans cet écartèlement. Or, l’écartèlement est un supplice du Moyen-Âge européen qui n’a rien à voir avec le développement. Mettre en pièces un condamné, en le faisant tirer aux quatre membres par quatre forts chevaux, ne saurait développer l’intéressé.
N’oublions pas qu’un grand philosophe, Hegel, a qualifié l’Afrique en une sentence célèbre comme « le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’Histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit ». Oui ou non, en sommes-nous là aujourd’hui ?
D’autres études économiques, aussi sérieuses que les autres, mettent en évidence le fait que les Africains ne pensent pas s’en sortir, au contraire. Mais il s’agit de les en empêcher à tout prix, car s’ils s’éveillent et commencent à réagir, le niveau de vie en Europe, aux États-Unis et en Asie va en prendre un sacré coup. Et donc, pas question de laisser les Africains s’émanciper tant qu’il n’y aura pas encore d’autre alternative.

Conscience et développement Produire les matières premières et les produits agricoles de base ne mène nulle part. Sans une véritable industrialisation, les pays d’Afrique subsaharienne ne peuvent pas prétendre au développement. Pire, sur les trois dernières décennies, il y a une tendance à la désindustrialisation en termes de valeur globale. La production manufacturière n’y représente qu’à peine 17 %.
La RDC est un exemple parfait de désindustrialisation en Afrique subsaharienne.
Tenez : en 1960, il y avait 6 500 unités manufacturières recensées par le ministère
de l’Économie nationale et de l’Industrie. Vingt ans plus tard, il n’en restait plus que 1 800 unités. En 2010, il n’y avait plus que 110 industries au pays, et il n’y restait plus que 95 unités manufacturières en 2019. Or, la faillite du secteur industriel peut être à l’origine du déclin d’une économie.
Lorsqu’on parle d’industrialisation, c’est l’extraction des ressources minières qui
est la plus importante. Elle est entretenue non pas pour permettre à la RDC de s’industrialiser et à commercialiser des produits manufacturiers mais pour maintenir le pays dans une situation d’économie extravertie et d’hyper-dépendance.
L’idéologie ambiante dont des élites occidentales et les institutions financières
internationales sont complices consiste à faire croire aux Africains que ce n’est pas la faute des autres s’ils sont aujourd’hui pauvres. Heureusement, bien des intellectuels africains commencent à prendre conscience. Pour Joseph Ki-Zerbo, être conscient, c’est se sentir ou savoir quelqu’un qui dirige son existence vers telle ou telle fin ; c’est disposer d’un modèle personnel de son monde. La conscience, c’est l’existence responsable.
Que la colonisation soit à l’origine de la pauvreté de l’Afrique, presque personne n’en doute plus. Mais cela n’explique pas tout. Il est aussi démontré que les Africains peuvent s’organiser par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Cela apparaît de plus en plus clairement lorsqu’on prend le cas de quelques pays autour de nous.
En matière d’exploitation du diamant, le Botswana démontre que de grandes choses sont possibles, puisqu’elles ont été déjà réalisées, selon la maxime des scholastiques (suite)