Distribution : pourquoi la guerre des prix va continuer

Présenté ce mercredi en Conseil des ministres, le projet de loi censé rééquilibrer les relations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs ne suffira pas à éteindre la bataille des promotions. Car l’argument prix reste décisif pour la majorité des consommateurs, et les distributeurs disposent toujours d’un puissant pouvoir de négociation.

 

Le gouvernement veut enrayer la guerre des prix dans les supermarchés. Des « prix injustement bas », soulignait Emmanuel Macron lors des Etats généraux de l’alimentation (EGA). Le refrain est connu. Les grandes enseignes ne paient pas les produits alimentaires qu’ils revendent à leur juste valeur. Les agriculteurs, eux, vendent au-dessous de leurs prix de revient et sont acculés à la misère, voire au suicide. Un projet de loi a été présenté ce mercredi pour enrayer cette pratique. On peut se poser la question de son efficacité

Le constat a été partagé. Une charte de bonne conduite a même été signée pour faire régner « l’esprit des EGA » dès les négociations commerciales 2017-2018. «  Les distributeurs ne respectent pas la charte  », s’étranglait toutefois en début de semaine la FNSEA, tout en déversant du lisier sur le seuil des magasins bretons.

Le choc Nutella

Deux jours auparavant, la promotion d’Intermarché sur le Nutella (1,41 euro contre 4,70 euros habituellement) montrait le mauvais exemple. Mais les bousculades que cette « mégapromo » a provoquées montrent mieux qu’un long discours que le prix cassé demeure la porte d’entrée préférée des consommateurs. Certains ont fait du phénomène une analyse économico-marxiste sur fond de paupérisation des territoires. La réalité est autre. «  Les pauvres aiment les rabais, les riches les adorent », disent les professionnels du discount. Le poids des soldes et des promotions dans le prêt-à-porter féminin est passé de 33 % à 45 % de 2008 à 2016. Le succès des ventes privées confirme cet appétit pour les bonnes affaires.

Les experts répliquent que les consommateurs privilégient désormais le rapport qualité-prix. Les chiffres du bio explosent. Et 90 % de la croissance des produits de grande consommation vient des PME. Mais il ne faut pas s’y tromper : le client réinjecte dans le bio les économies faites sur le Nutella. Le prix bas finance la meilleure alimentation. Sur cette ligne constante du prix, Leclerc est devenu le premier épicier de France. Autre illustration : en novembre dernier, avec une seule opération promotionnelle « anniversaire », Carrefour a regagné 0,3 point de part de marché. «  La compétitivité prix est un impératif », a répété Alexandre Bompard lors de la présentation de son plan stratégique . Il prévoit d’y injecter une bonne part des 2 milliards d’économies qu’il a annoncées.

Un effet « drive »

Il faut dire que la concurrence entre les enseignes est plus féroce que jamais. Longtemps, les Carrefour, Leclerc, Auchan, Casino et autres ont constitué un oligopole protégé par les règles d’urbanisme commercial. Le « drive », d’abord, a bousculé cette rente. Leclerc s’est jeté sur ce format non réglementé pour attaquer les zones de ses concurrents. L’e-commerce a ouvert un autre front. Amazon et Cdiscount ont commencé par laminer les rayons non alimentaires. Ils attaquent aujourd’hui l’épicerie. Par tradition, les nouveaux entrants attaquent le marché en cassant les prix.

La concurrence est si rude que la guerre des prix pourrait durer jusqu’à ce que l’une des enseignes tombe au champ d’honneur du discount ! La nouvelle loi permettra-t-elle de sortir de cette logique mortifère ? Le niveau des promotions sera limité de façon arbitraire à 35 % du prix et à 25 % des volumes. Le seuil de revente à perte sera remonté de 10 %. Deux remèdes, dit-on, au cancer des prix bas. La rémission n’est toutefois pas certaine.

Déplacement du champ de bataille

Les distributeurs compenseront probablement la limitation des promotions par un élargissement de leur politique de « prix bas tous les jours ». En théorie, tous les produits vendus à prix coûtant augmenteront de 10 %, mais les distributeurs ne pourront pas assumer cette méga-inflation soudaine devant leurs clients. Pour compenser certaines hausses, les enseignes baisseront les prix sur des produits vendus aujourd’hui plus cher. Le champ de bataille va se déplacer. Et les acheteurs des grandes enseignes vont globalement être tentés de négocier encore plus durement qu’aujourd’hui !

Je veux bien donner des hausses aux agriculteurs mais pas aux multinationales.

Les enseignes ont besoin de conserver une bonne image prix, parce que la montée en gamme vers des produits sains et locaux va différencier leur offre. Seuls les produits dits psychologiques, les produits des grandes marques, le Coca-Cola et le… Nutella, serviront encore de repères comparatifs aux consommateurs. La pression exercée sur ces multinationales sera d’autant plus forte que leur place dans les linéaires va diminuer au profit de la nouvelle offre. Carrefour a annoncé une baisse de 15 % du nombre de ses références. «  Je veux bien donner des hausses aux agriculteurs mais pas aux multinationales  », déclarait Michel-Edouard Leclerc ce mercredi sur BFMTV. Les grandes marques (Nestlé, Ferrero…) n’ont d’autre choix pour écouler leurs stocks que d’accepter les conditions des acheteurs.

Rien de sûr pour les agriculteurs

Au final, il n’est pas certain que l’atmosphère soit demain plus détendue dans les box de négociation. Ni même que la hausse du seuil de revente à perte ruisselle jusqu’aux agriculteurs ! Ceux qui suivent la montée en gamme de l’offre bénéficieront de contrats pluriannuels avantageux. Pour les autres, les plus nombreux, le train des augmentations, s’il y en a, passera par le filtre des marges des enseignes puis par le péage des industriels…

Un autre effet pervers pointe à l’horizon du législateur. La future loi prévoit d’inverser l’ordre de la construction des prix. C’est le producteur qui proposera d’abord son tarif. Cela paraît une évidence. Mais quand le producteur présentera sa grille tarifaire, la négociation ne fera que commencer. Et l’acheteur conservera la liberté de ne pas acheter. Il pourra même s’approvisionner sur les marchés mondiaux si la production française n’est pas compétitive. Il est décidément encore trop tôt pour dire que la guerre des prix n’aura plus lieu