LE RAPPORT de Transparency International 2020 publié le 28 janvier 2021 place la République démocratique du Congo en 170e position sur 180 pays étudiés dans l’indice de perception de corruption. La RDC régresse donc de deux rangs par rapport au classement de 2019. Ce rapport a pour unique but d’inciter les gouvernements à déclencher les réformes systématiques afin d’améliorer la gouvernance. Vu sous cet angle, des analyses avancent que « les autorités de la RDC ne jugent pas bon de s’attaquer à la corruption ».
Depuis plusieurs décennies, le pays est tombé dans un marigot politique, ce qui bloque les efforts surtout de la société civile pour s’attaquer aux causes profondes de la corruption. En 2009, les évêques catholiques ont appelé le peuple congolais à une catharsis et réclamé que l’année 2010 soit déclarée « année nationale de lutte contre la corruption ». Convaincus que la corruption est le principal frein au développement du pays. Tout est dans le discours mais rien de concret dans les faits. Les organes gouvernementaux chargés de traduire en actes les ambitions des institutions du pays sont eux-mêmes les plus corrompus.
Politique spectacle
Dans ce cas, difficile de faire des progrès dans la lutte contre la corruption. La RDC est depuis longtemps aux prises avec la corruption, mais la mise en œuvre de mesures visant à réprimer efficacement les actes répréhensibles s’avère une tâche difficile. Pourquoi la campagne anti-corruption ne marche pas ?
Très souvent, la lutte contre la pieuvre à longs bras s’apparente à une politique spectacle, dont l’effet demeure toujours de surface. Sans réelle volonté politique, difficile de venir à bout de mauvaises pratiques qui gangrènent l’administration et la justice, avaient constaté les évêques catholiques en 2009.
Pourtant, une année auparavant, on aurait dû être sceptiques quand le président Joseph Kabila a lancé la campagne anti-corruption XXL baptisée « Tolérance zéro ». Cette campagne a été relancée en 2010. Et dans ses deux versions, aucun objectif n’a été atteint. Pourtant, elle avait suscité tant d’espoirs auprès de la population, notamment dans la première version avec des sanctions présidentielles de révocation et/ou suspension contre les mandataires dans les entreprises publiques et les fonctionnaires accusés de corruption.
Emmanuel Luzolo Bambi, alors ministre de la Justice et des Droits humains, était instruit par le cabinet du président de la République d’ouvrir des informations judiciaires contre les magistrats et les fonctionnaires révoqués et/ou suspendus. Dans le cadre de cette opération « manu pulite », le procureur général de la République avait demandé la levée de l’immunité parlementaire en vue de poursuites contre des députés soupçonnés de corruption.
Concussion et prévarication
Des patrons des entreprises privées qui avaient bénéficié de marchés publics, notamment pour la réhabilitation des routes, étaient également sur la sellette… Avouons-le, l’opération manu pulite avait défrayé la chronique dans la capitale car il y a longtemps qu’on avait vu ça dans le pays. Mais cela a laissé un arrière-goût d’amertume d’autant plus que les personnes interpellées pour corruption ont été remis en liberté. Les organisations de la société civile s’en offusquèrent. Quant à elle, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) dénonçait la politique de deux poids deux mesures du parquet général, qui laissait en liberté les ministres et autres autorités présumés et ne s’en prenait qu’aux seuls entrepreneurs.
Dans sa phase I, la campagne de tolérance zéro a surtout visé les hauts responsables politiques ayant géré le pays depuis 2001, soupçonnés de concussion et de prévarication. Le gouvernement avait reçu mission par-dessus tout de mettre en place de nouvelles procédures afin de lutter efficacement contre la corruption dans les milieux politiques et d’affaires. En 2010, quand la campagne est entrée dans sa phase II, son argumentaire choc « Fini la recréation, les prisons vont être remplies » avait déjà perdu de sa sève.
On s’est vite aperçu que la corruption est un système en RDC. Et de ce fait, la lutte anti-corruption ressemble fort au combat de Don Quichotte contre les moulins à vent. Un combat difficile à mener étant donné la relation à l’argent public, les pratiques et les liens qui se sont progressivement tissés entre administrations publiques, justice et privés.
L’une des caractéristiques majeures de la corruption en RDC est la mauvaise gestion généralisée par les élites politiques au pouvoir. Celles-ci profitent de leur position de force pour élever leur train de vie au détriment de la majorité. Dans un tel contexte, les fonctionnaires, les agents de l’État, dont les magistrats censés incarnés la lutte anti-corruption, « vivent » de l’État.
Conséquence : chaque année, entre 10 et 15 milliards de dollars – soit le triple du budget national – partent en fumée, rien que du fait de la fraude fiscale… C’est la révélation choc d’Emmanuel Luzolo Bambi, fraîchement nommé conseiller du chef de l’État en charge de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, en 2015. Il y a un problème quand le même Luzolo Bambi déclara, le plus officiellement du monde, que « la corruption est devenue endémique en RDC et qu’il faut l’arrêter ». Est-ce un aveu d’impuissance ou un réel engagement politique pour juguler ce fléau ? Des afro-pessimistes font un lien entre le niveau général de la pauvreté de la population et la corruption. Mais il y a des « petits » pays, comme le Malawi et le Rwanda, qui réalisent des scores enviables en matière de lutte contre la corruption.
Volonté politique
Mais comment arrêter la corruption en RDC quand on sait que ce qui a été fait auparavant, n’a pas encore donné des résultats escomptés ? Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a fait de la lutte contre la corruption une affaire personnelle. Il aborde le problème en termes d’« enjeu national ». Les organisations de la société civile demandent à voit et à juger à l’œuvre.
En 2010, le gouvernement avait décidé de mettre en œuvre pas moins de 45 mesures pour lutter contre la corruption (codes minier et forestier, ITIE, processus de Kimberley…). Pour la majorité des investisseurs, les processus d’attribution des marchés publics, par exemple, demeurent encore trop peu transparents et sont encore un terrain propice pour le développement de la corruption et du trafic d’influence.
Des rapports des ONG sur la corruption en RDC ne laissent entrevoir aucun progrès en matière de lutte anti-corruption. Au contraire, ils dénoncent le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire qui fait que même les gens qui sont attrapés la main dans le sac peuvent s’en tirer à très peu de frais. La question de l’indépendance de la justice (sic !) reste posée. La population en général et les entrepreneurs en particulier font très peu confiance au système judiciaire. Il y a quelques années, les sociétés, tout comme l’État lui-même, étaient systématiquement condamnés à des lourdes amendes à chaque fois qu’elles étaient en procès contre les tiers devant les cours et tribunaux.
À l’époque, bien des sociétés ont été forcées de fermer, dépitées par des décisions de justice. En son temps, la FEC avait dénoncé cet « acharnement » des juges sur les sociétés, qui avait l’air de tout sauf de l’indépendance de la justice. Certains chefs d’entreprises sont allés jusqu’à accuser des juges de corruption et de complicité avec les avocats. Regardons les choses en face : les gens souhaitent une répression de la corruption, et le but ultime est de servir le peuple.