A l’heure où les vacances se terminent pour les footballeurs qui reprennent ces jours-ci l’entraînement, le ballon rond français se demande encore à qui va véritablement profiter la nouvelle guerre du foot.
Depuis qu’en 2015 SFR a déclenché les hostilités en déboursant plus de 100 millions d’euros par an pour mettre la main sur les droits de diffusion dans l’Hexagone des matchs de la prestigieuse Premier League anglaise , les coûts du ballon rond ont enregistré une incroyable inflation.
En 2017, l’opérateur ¬contrôlé par Patrick Drahi a en effet marqué un deuxième but en s’emparant, pour plus de 1 milliard d’euros sur trois ans , des droits des compétitions européennes organisées par l’UEFA, dont l’incontournable Ligue des champions. Une belle prise mais à un prix trois fois supérieur à ce que payaient jusque-là Canal+ et beIN Sports réunis.
Flambée
La flambée est telle que la Ligue de football professionnel (LFP) s’interroge maintenant sur l’opportunité de lancer au plus vite la vente aux enchères des droits du championnat français de Ligue 1 pour les saisons à partir de 2020-2021.
Le raisonnement de l’institution dirigée par Didier Quillot est simple : si l’UEFA a obtenu trois fois plus, la Ligue 1, qui constitue le plus grand feuilleton sportif tricolore, peut, elle aussi, espérer au moins doubler la mise et dépasser ainsi largement le milliard d’euros de recettes télé par an !
Canal+ et beIN Sports devraient tout faire pour tenter de bloquer la route à SFR, qui, lui, ne pourra prétendre bénéficier d’une offre de foot véritablement attractive s’il ne propose pas au moins une des affiches hebdomadaires du championnat de France.
La guerre du foot
Et si SFR continue de dépenser sans compter, la LFP fait le pari que, en dépit de sa volonté de ne pas participer à cette fuite en avant, Orange sera contraint de se lancer à son tour dans cette course à l’armement. Soit directement en achetant des droits, soit indirectement en aidant Canal+ à contrer l’offensive de SFR.
Simplement, le plus dur n’est jamais de commencer une guerre. C’est de la terminer en ayant une chance raisonnable de l’emporter. Or la guerre du foot qui a été déclarée semble partie pour faire bien plus de perdants que de gagnants. Les premiers perdants risquent paradoxalement d’être les opérateurs.
Certes, à court terme, disposer de droits « exclusifs » permettra peut-être à SFR de conquérir de nouveaux abonnés.
L’opérateur, qui perd encore des clients, n’a pour l’instant pas prouvé que son pari dans le foot anglais était de nature à séduire.
L’offensive de BT en Grande-Bretagne
Peut-être qu’en dépensant encore plus que les 500 millions par an qu’il a déjà mis sur la table et en offrant plus séduira-t-il plus ?
En Grande-Bretagne, BT a fait un tel pari et cette offensive dans les ¬contenus lui aurait permis de regagner des abonnés. Mais, pour rentabiliser son investissement qui pourrait dépasser le milliard d’euros par an, SFR ne devra-t-il pas, comme BT l’a fait de l’autre côté de la Manche, augmenter ses prix ou se résigner à laisser distribuer par d’autres opérateurs ses chaînes sportives à des foyers qui ne sont pas directement clients de ses services télécoms ?
Dans le premier cas, en étant plus cher, il risquerait de faire fuir une partie de ses clients et, dans le second, en perdant l’exclusivité de ses programmes, l’investissement dans les contenus ne profiterait pas fo rcément à son métier d’opérateur. Encore plus dangereux : si sa stratégie s’avérait toutefois payante, il courrait bien évidemment le risque de provoquer une riposte de la part d’Orange.
Un pari loin d’être tenable
Les droits continueraient donc de grimper, mais, au final, les opérateurs qui sont prisonniers d’une guerre des prix feraient augmenter leurs coûts sans avoir l’assurance de pouvoir augmenter globalement leurs recettes. Pour les chaînes payantes comme Canal+ ou beIN Sports, qui sont désormais concurrencées par des opérateurs télécoms aux poches profondes, cette explosion des coûts est encore plus mortifère.
Si elles ne sont plus en mesure de proposer des matchs de foot, les chaînes le savent, elles sont sans doute condamnées à mourir. Canal+ pourra certes tenter de se recentrer sur un modèle HBO ne diffusant que films et séries, et pas de sport, mais, sur un marché étroit comme la France et face à la concurrence d’un Netflix amortissant ses investissements à l’échelle mondiale, le pari est loin d’être tenable.
Pour continuer d’exister Canal+ et BeIn le savent, elles ont encore besoin du football. Mais elles seront sans doute contraintes de dépenser plus ce qui pourrait enclencher un cercle vicieux. Pour faire face à la hausse de leurs coûts elles devront revoir à la hausse le prix de leur abonnement au risque de voir fondre leur base d’abonnés.
Course à l’armement
Dans cette course à l’armement qui ressemble à un jeu à somme nulle, opérateurs et chaînes ne sont pas les seuls perdants. Le consommateur est également le dindon de la farce. Accéder à l’ensemble des matchs va devenir un casse-tête de plus en plus coûteux, tant l’offre devient fragmentée.
Surtout, l’inflation des droits n’est même pas certaine de déboucher sur un spectacle de meilleure qualité. Certes, la hausse des droits profitera aux clubs. Mais l’histoire a prouvé que la manne financière retombe en fait surtout dans la poche des joueurs et de leurs agents.
La France ne jouant qu’en deuxième division à l’échelle européenne, de nouvelles rentrées financières permettront peut-être au ballon rond hexagonal de ne pas se laisser totalement distancer, mais la force de frappe des clubs français restera de toutes les façons bien plus limitée que celles des clubs anglais, allemands, espagnols et même italiens.