La République démocratique du Congo n’est qu’un cas de plus des pays subsahariens victimes d’une démocratie mal comprise. Dans ce pays potentiellement pourvu par le Bon Dieu, qui a connu l’une des plus longues dictatures d’Afrique, et où la population vit dans la précarité, il est consternant de voir que les hommes politiques, tous bords confondus, ne sont qu’impatients d’accéder aux caisses de l’État et de se servir. La trouvaille à la mode consistant à mettre en attelage les tenants du pouvoir et les opposants n’a point donné de meilleurs résultats, et ne pourrait être la panacée pour la RDC. Un aviseur sur la RDC, le politologue et sociologue, Jean-Marie Kidinda, résident au Canada, demande à la communauté internationale et à l’Union africaine de « condamner ouvertement les prétentions et l’arrogance des hommes politiques congolais » et « les sommer d’attendre les prochaines élections pour accéder à ce qu’ils semblent penser leur être dû ».
À l’annonce de l’échec des pourparlers politiques sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), je me suis souvenu d’un paysan dans le profond territoire de Mbanza-Mateke dans le Kongo-Central. En reportage dans cette contrée du pays, je suivais avec lui un débat à l’Assemblée nationale à la télévision. À la fin, il s’est exclamé, dépité : « Le Congo a les politiciens qu’il ne mérite pas ! » Franchement ! J’avais eu tort de sous-estimer la pertinence du propos de ce septuagénaire, sans doute me disant que peut dire de bien en politique un vieillard qui n’est pas allé à l’université comme moi. Franchement. Dix ans après, je revois dans mon esprit ce paysan parce que « son » opinion sur « nos » hommes politiques n’avait pas tout faux.
Le vent tourne
Les négociations du Centre interdiocésain ont suscité un réel espoir auprès de l’opinion tant nationale qu’internationale. Mais, depuis la mort de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, le 1er février, le vent tourne. Le front des chefs de partis politiques de l’opposition se fissure chaque jour davantage, divisés qu’ils sont sur la désignation de l’autorité morale du Rassemblement de l’opposition (RASSOP), ipso facto le président du Conseil des sages, appelé à être le président du Conseil national de suivi de l’accord politique du 31 décembre 2016 (CNSA). « La classe politique manque de sincérité et de volonté politique. » Les évêques catholiques font partie des gens qui croient aujourd’hui que le peuple n’est pas – ou n’a pas toujours été – le centre d’intérêt visuel des politiciens congolais.
Comme beaucoup, ils pensent que les négociations du Centre interdiocésain étaient « la planche du salut » pour sortir le pays de la crise institutionnelle et envisager les élections avec sérénité. Comme beaucoup, ils trouvaient la classe politique capable de se surpasser, en taisant ses divergences sur la désignation du 1ER Ministre et du président de la CNSA. Mais, depuis le 27 mars, c’est la grande désillusion. « Il n’y a pas eu la volonté politique face à la misère de la population », a laissé entendre l’abbé Donatien Nshole, le secrétaire de la CENCO. Il y a même des gens qui se demandent si les hommes politiques congolais ont du cœur. Comme tant d’autres, les évêques cherchent à comprendre. Quoi ? « L’inconscience », selon l’abbé Nshole, de la classe politique, mais aussi son arrogance à défier le peuple qui doit cesser. Sinon, « la rue va se charger de tout le monde », a clairement déclaré Vital Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), passé dans l’opposition, et qui a choisi le juste milieu. V.K., pour les intimes, a appelé le président de la République, Joseph Kabila Kabange, en tant que garant de la bonne marche des institutions et de la nation, à faire sortir les négociations de l’impasse. En effet, le vent tourne.
Après avoir constaté l’échec des négociations, les évêques ont pris le peuple à témoin. La réaction a été immédiate. La rue a grondé à Kinshasa, Lubumbashi, Kananga… En Occident, on affirme qu’on ne peut pas aller contre la volonté du peuple. Les Congolais sont de plus en plus exigeants avec leurs hommes politiques. « Bien sûr, on nous dira que les négociations ont mal tourné. C’est parce que les parties aux négociations ne sont pas parvenues à un arrangement. Mais est-ce une raison suffisante pour ruiner les espoirs du pays et martyriser le peuple ? », lance Jean-Marie Kidinda. Comme s’il reprenait à son compte le coup de gueule de cette dame, agent de l’administration publique au bord de sa colère. Et après ?
Le regain de violence dans le pays – on parle d’une dizaine de milices en activité – n’est pas un bon signe. D’aucuns n’excluent pas l’hypothèse de prendre les armes s’ils perdent espoir. Tout cela pourrait être du chantage ! Soit. Si l’opinion publique est en train de tourner, il est vrai que personne, au pays comme à l’étranger, ne souhaite que la RDC bascule à nouveau dans la guerre civile, à commencer par les investisseurs. Pas moins de 3 000 projets d’envergure attendent, selon le centre d’études Alter. La paix et la sécurité sont essentielles au développement des affaires dont le pays a besoin pour gagner son pari de l’émergence en 2030. Un diplomate africain en poste à Kinshasa confiait la semaine dernière, après les remous de mardi 28 mars, que les Occidentaux n’ont rien compris. « Ce n’est pas en hurlant (en mettant la pression) sur Kabila qu’ils lui feront entendre raison. Au contraire, ils le braquent un peu plus. Ce qu’il faut faire avec lui, c’est de la diplomatie tranquille. »
Évoquant la situation en RDC, l’ancien président nigérian, Olusegun Obansajo, estime qu’il faut donner aux leaders africains des « garanties » pour eux-mêmes et pour leurs familles à la fin de leur mandat. Par exemple, mettre en place un statut officiel d’ancien chef d’État. Cela est déjà en place dans certains pays, mais il faudra l’inscrire partout dans la loi.
Dans une interview à Paris Match, il a déclaré que « chaque président qui se retire devrait avoir une rente de départ raisonnable pour assurer son avenir, l’assurance que ses soins médicaux continueront d’être pris en charge, une maison, un bureau, une équipe de sécurité restreinte… » Se fondant sur sa propre expérience, Obansajo fait remarquer qu’il y a une vie après avoir gouverné, et souhaite que cet enseignement se répande. « Cela serait un vrai progrès », se rassure-t-il.
L’opposition se fissure
Il faut donc de la diplomatie tranquille d’autant plus que le front des chefs de partis politiques de l’opposition commence à se fissurer. Le premier coup de marteau est venu de l’homme d’affaire Raphaël Katebe Katoto… qui s’est déclaré candidat au poste de 1ER Ministre contre la position de sa plate-forme politique. Considéré comme l’un des hommes d’affaires les plus prospères de la RDC, cet homme garde un œil sur la politique malgré sa radiation de (…). On dit qu’il a été l’argentier du Rassemblement, avec son jeune frère Moïse Katumbi Chapwe, ancien gouverneur du Katanga et candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle. En annonçant qu’il était demandeur du poste de 1ER Ministre, il a jeté un pavé dans la mare.
En 1998, il a fait une apparition éphémère dans les rangs du Rassemblement des Congolais pour la démocratie, mouvement rebelle à l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Laurent-Désiré Kabila, le père de Joseph Kabila. Puis il s’est reconverti en promoteur immobilier en créant la société Inprode Angola LDA/Investissements, Promotion et développement…
Deuxième coup, beaucoup plus rude celui-là, est venu de la plateforme Dynamique de l’opposition. Joseph OlengaNkoy s’est souvenu, soudain ( ?), de son passé d’« enfant terrible » de l’opposition des années 1990, de maître en « journées ville morte » et en « art de souffler le chaud et le froid », pour s’autoproclamer président du conseil des sages du Rassemblement, en remplacement d’Étienne Tshisekedi, et au détriment de Pierre Lumbi Okongo. Avec Dr Numbi et Enoch Bavela, ce dernier a donné une réelle assise politique au mouvement associatif national (ONG, syndicats…) à l’origine de la société civile de la RDC.
Troisième coup, peut-être le plus retentissant, le désaveu des évêques catholiques : si la RDC ne ressemble pas fort au « Titanic en train de sombrer », elle en a tout l’air pour le moment. L’image est très négative dans les milieux d’affaires. « Sans doute, elle dénote de l’immaturité de la classe politique à appréhender les enjeux d’aujourd’hui et de demain pour le développement du pays », fait remarquer le professeur Jean-Marie Kidinda. Les finances du pays se portent mal, les investisseurs hésitent à placer leurs argent tant le risque politique pays est très élevé.
Le contexte politique et sécuritaire en RDC a connu de profonds changements durant les derniers mois, nécessitant, par conséquent, un ajustement des priorités et de la posture de la Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo (MONUSCO). Selon le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en RDC et patron de la MONUSCO, Maman Sidikou, « la mise en œuvre intégrale de l’accord politique du 31 décembre 2016, qui ouvre de la façon la plus claire la voie à la tenue des élections, requiert tout le soutien de l’ONU ». Aussi longtemps que le dialogue politique demeure dans une impasse, les tensions risquent de monter.
Incertitudes politiques
D’après lui, la détérioration des conditions de sécurité dans le pays reste une source de profonde préoccupation. « La violence et les menaces à l’encontre des civils ne sont plus concentrées dans l’Est de la RDC. La violence de proximité et les affrontements interethniques se sont étendus des zones déjà touchées par les conflits armés, telles que les Kivu, à la province du Tanganyika, aux trois provinces du Kasaï, à la province du Lomami et à la province du Kongo-Central », a-t-il fait savoir devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Les activités des groupes armés dans l’Est du pays ont également augmenté, en particulier avec la réapparition récente d’ex-éléments du Mouvement du 23 mars (M23)… Maman Sidikou a ajouté que le regain de violence dans certaines zones du reste du pays a été exacerbé par la situation politique incertaine qui y règne actuellement, ainsi que par la manipulation des doléances à des fins politiques et un appui aux milices armées par certains acteurs politiques. Dans la foulée, il a indiqué que l’utilisation croissante de milices d’autodéfense, agissant sur la base de critères ethniques, témoigne d’un sentiment croissant d’insécurité et d’incertitude. Convaincu que le risque de violence liée aux élections, principalement dans les zones urbaines, reste lui aussi élevé, et on peut prévoir qu’il continuera de croître tant que l’accord politique restera dans l’impasse, prolongeant ainsi les incertitudes politiques actuelles.
Par ailleurs, la dépréciation du franc congolais, qui a perdu plus de 30 % de sa valeur en 2016, l’absence de réserves en devises et le déficit budgétaire ont des répercussions de plus en plus sensibles sur les moyens de subsistance des Congolais. Malheureusement, cette tendance est appelée à continuer dans les mois à venir. Alors que la population attend impatiemment les élections, le statu quo politique, dû à l’intransigeance des négociateurs sur quelques points de divergence restants et entretenu par des manœuvres politiciennes et le manque de volonté politique, risque de retarder indéfiniment l’application de l’accord de la Saint-Sylvestre. C’est l’argumentaire que le président de la CENCO, Mgr Marcel Utembi, a développé devant les membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Il a insisté sur le fait que le retard dans la mise en application effective des mesures de décrispation du climat politique a des répercussions sur la situation économique.
D’après Mgr Utembi, la crise socio-politique, doublée d’insécurité à travers le territoire national, ne favorise pas la santé économique du pays. Pour preuve, la monnaie nationale perd de jour en jour sa valeur face aux devises étrangères. « Beaucoup d’entreprises publiques et privées tournent au ralenti. La population congolaise en est la première victime. Son pouvoir d’achat ne lui permet pas de satisfaire à ses besoins primaires », a-t-il déclaré. Il a attiré l’attention du Conseil de sécurité de l’ONU en soulignant que « la persistance de cette situation risque de rendre obsolète l’accord du 31 décembre 2016 et donner l’occasion de reporter la tenue des élections prévues en décembre 2017, voire d’en appeler à l’organisation d’un référendum ou à une modification de la Constitution. »
À ce propos, la CENCO, à l’issue des travaux de l’Assemblée plénière extraordinaire du 20 au 25 février 2017, a adressé au peuple congolais un appel à un sursaut patriotique intitulé « Non au blocage ». La CENCO est persuadée que cette crise ne peut être maîtrisée que par la mise en œuvre intégrale et rapide de l’accord de la Saint-Sylvestre et par la formation d’un gouvernement d’union nationale ayant suffisamment de légitimé et la confiance du peuple congolais pour organiser les élections et assurer l’alternance démocratique au pouvoir.