« Sur le plan international, c’est une percée de la médecine traditionnelle chinoise », a déclaré Tu Youyou, co-lauréate cette année du prix Nobel de médecine. Ses recherches sur le paludisme ouvrent en effet de nouvelles perspectives à la fois pour soigner cette maladie qui tue un enfant chaque minute en Afrique, tout en donnant un nouvel élan à cette médecine naturelle sur un continent où les médicaments chimiques sont rares, chers et souvent contrefaits.
Le paludisme tue plus de 500 000 personnes par an, surtout des enfants africains. Le traitement le plus efficace est l’artémisinine, extrait d’une plante utilisée depuis des milliers d’années en Chine pour soigner la fièvre. Une découverte faite par la chercheuse chinoise dans les années 1970 et qui sert de base à plusieurs traitements expérimentaux. L’Ethiopie est un pays test en Afrique. A l’hôpital de Tulu Bolo, à 80 kilomètres au sud d’Addis Abeba, l’artémisinine est utilisé depuis un an à la place de la traditionnelle quinine, avec des résultats spectaculaires. On estime que 195 000 personnes pourraient être sauvées chaque année par cette plante miracle.
Depuis longtemps, la médecine traditionnelle chinoise a fait ses preuves. En 1949, le régime communiste a intégré la MTC (médecine traditionnelle chinoise) au système de santé publique et la plupart des hôpitaux ont un service spécialisé où l’on soigne avec des concoctions de plantes, de champignons ou d’herbes aux vertus particulières. Les médecins vous prennent le pouls, vous demandent de tirer la langue et prodiguent une médecine naturelle parfois accompagnée de massages ou d’acupuncture. Surprenant lorsque l’on est habitué comme en Occident aux thérapies chimiques.
Les premiers programmes de coopération entre les systèmes de santé chinois et africains ont eu lieu dans les années 1950 et de nombreux médecins chinois exercent aujourd’hui sur le continent. « Au Cameroun, la Chine a construit les hôpitaux de Guider et Mbalmayo qui sont parmi les plus grands du pays », relève le chercheur Hilaire de Prince Pokam dans son étude sur la médecine chinoise au Cameroun. Entre 1975 et 2011, quinze missions chinoises ont travaillé au Cameroun, soit un total d’environ 700 médecins. « Cette activité médicale chinoise au Cameroun constitue l’un des aspects de la puissance chinoise en Afrique », assure Hilaire de Prince Pokam.
Même engouement pour la MTC au Mali où exercent 16 000 médecins chinois. « La médecine chinoise fait partie intégrante du système de santé malien », explique un chercheur de l’université de Francfort qui a planché sur le sujet. « A la différence des médecins français ou russes, les Chinois ont appris le bambara pour communiquer avec leurs patients maliens. Ils sont présents depuis les années 1960 dans le pays », commente le professeur Matthias Gruber.
« Contrairement à l’Afrique du Sud où cette médecine traditionnelle est surtout utilisée au sein de la communauté chinoise, au Mali elle est pratiquée dans la rue par toutes sortes de praticiens et elle est souvent considérée comme une médecine alternative par la classe moyenne urbaine. »
La pharmacopée chinoise commence donc à prendre racine sur le continent. A plus d’un titre, les docteurs chinois ressemblent d’ailleurs aux guérisseurs traditionnels auxquels plus de 80 % de la population africaine font confiance selon l’OMC. Mais la grande différence réside en la capacité des Chinois à commercialiser cette pharmacopée. Depuis 2004, le laboratoire chinois Guilin Southern Pharmaceutical distribue ainsi un traitement contre le paludisme issu de la MTC et vendu beaucoup moins cher que les dérivés chimiques.
Le Chinois Tasly a quant à lui ouvert une filiale en Afrique du Sud. Le total des exportations de médicaments chinois sur le continent augmente de 10 % par an et dépasse déjà le milliard et demi de dollars de revenus annuels.
Pour l’heure, la médecine traditionnelle ne représente encore que 5 % des exportations de médicaments chinois sur le continent africain, et la Chine, qui devrait devenir le deuxième plus gros producteur de médicaments au monde d’ici cinq ans, mise beaucoup sur cette pharmacopée traditionnelle.