En Autriche, la droite traditionnelle, le parti chrétien-démocrate ÖVP, pourrait doubler son score de 2015 lors des élections municipales et régionales ce dimanche à Vienne – de 9 à 20 %. Certains commentateurs expliquent le succès du candidat Gernot Blümel, qui est aussi ministre des Finances en Autriche, par son style «bourgeois âpre», un style déjà adopté depuis 2015 par le jeune chancelier du pays et camarade de longue date de Blümel, Sebastian Kurz. L’«âpreté bourgeoise» ou «bourgeoisie brutale» (rohe Bürgerlichkeit en allemand) est un concept du sociologue allemand Wilhelm Heitmeyer, réputé pour ses travaux sur la violence, l’extrême droite et les phénomènes de désintégration sociale. Il a fondé, en 1996, l’Institut pour la recherche interdisciplinaire sur les conflits et la violence à l’université de Bielefeld. Son nouveau livre, les Menaçantes alliances d’extrême droite (Rechte Bedrohungsallianzen) paraît ce lundi outre-Rhin.
Quand et comment avez-vous commencé à penser l’«âpreté bourgeoise» ?
J’ai esquissé ce concept en 2012, mais c’est en 2015 qu’il a vraiment pris consistance. J’ai constaté que la droite radicale prenait des formes de plus en plus différenciées. En Allemagne, nous connaissions l’extrême droite sous la forme du NPD (Parti national-démocrate d’Allemagne), qui reprenait des idées du nazisme, ainsi qu’une certaine esthétique qui effrayait les cercles bourgeois. Aujourd’hui, le paysage politique a complètement changé, nous avons maintenant l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), qui, sur l’échelle de la droite radicale, se situe quelque part entre le populisme de droite et le terrorisme d’extrême droite. C’est ici que j’emploie le concept de la bourgeoisie âpre. Il désigne la rencontre d’un style lisse, d’une rhétorique brutale mais d’apparence distinguée et de prises de positions autoritaires, agressives. Ce style s’exprime dans une langue qui méprise les groupes les plus faibles de la société et qui défend âprement les privilèges de ceux qui sont implantés de longue date dans un pays.
Vous comprenez que ce concept soit utilisé pour expliquer les évolutions politiques actuelles en Autriche, où le jeune chancelier Kurz incarnerait désormais une radicalisation droitière sous des airs BCBG ?
On peut évidemment parler de «bourgeoisie âpre» pour l’Autriche. Ce que l’on constate dans ce pays, c’est que l’idée selon laquelle un haut degré d’éducation formelle serait un barrage à ce genre d’idéologie est complètement fausse. Il suffit d’écouter ce qui se dit dans certaines facultés de droit ou d’économie. On y entend cette langue de mépris envers certains groupes dans la société, musulmans, réfugiés ou sans-abris par exemple, qui trahit le fantasme d’une supériorité intrinsèque sur ceux-ci. Les sentiments de solidarité et de justice sociale échappent complètement à la bourgeoisie âpre.
Début septembre, Kurz a exigé de la Commission européenne que la refonte de la politique communautaire en matière d’asile et de migration se fasse sur la base d’une «solidarité flexible». A Vienne, son parti explique que «si on accueille 100 réfugiés de Lesbos, 100 autres vont suivre». Est-ce là l’âpreté dont vous parlez ?
Je vois effectivement dans cette «solidarité flexible» une manœuvre d’enfumage pour ne pas avoir à prendre en charge des réfugiés bloqués à Lesbos, l’Autriche étant en première ligne pour défendre ce refus en Europe. Ce n’est pas de la solidarité, c’est une formule idéologique pour cacher, en fait, une stratégie de dissuasion. Ce genre de discours sert à défendre les privilèges de ceux qui habitent depuis longtemps dans un pays, des soi-disant «Autrichiens de souche». En fait, il cache un thème cher à l’extrême droite, le thème du prétendu «remplacement de population» qui pourrait découler de l’arrivée de beaucoup de réfugiés. Cet argument n’a pas de justification empirique.