LA CHINE entend encourager l’innovation tout en renforçant le contrôle des risques, afin de répondre aux nouveaux problèmes et aux défis que posent les fintech, a déclaré Guo Shuqing, le président de la Commission chinoise de réglementation des banques et des assurances (CBIRC) lors du forum sur les fintech (contraction de finance et de technologie) qui s’est déroulé le 8 décembre 2020. Cette déclaration intervient dans un contexte où le secteur des fintech est en plein essor, et plus particulièrement celui des microcrédits en ligne. En un an, Ant Group, propriété d’Alibaba, a accordé des prêts à un demi-milliard de personnes en Chine.
Depuis 2018, Alipay, la plateforme de paiement d’Ant Group, a lancé un service de mise en relation de particuliers avec des banques, dans le but d’accorder des microcrédits et des prêts à la consommation. Ce service a concerné une centaine de banques, aussi bien des grandes institutions nationales que de plus petits acteurs ruraux. « Notre technologie de gestion des risques aide les banques partenaires à améliorer la qualité de leurs prêts et à mieux gérer les risques », atteste un porte-parole d’Ant Group. Toutefois, si celle-ci est défaillante, et qu’il y a un défaut de paiement, la charge revient à la banque.
L’entreprise de Jack Ma n’accorde pas de crédit. Elle ne se rémunère donc pas sur les intérêts, mais avec des commissions sur l’attribution des prêts, à l’image d’un apporteur d’affaires. Celles-ci sont comprises entre 30 % et 40 % des intérêts, qui dans la majorité des cas oscillent entre 14,6 % et 18,25 %. Au-delà des commissions, l’entreprise chinoise collecte des données bancaires, ce qui n’est pas sans valeur. Ces données sont d’ailleurs la base de la stratégie d’Alipay, car elles permettent d’estimer la solvabilité des clients grâce à leur traitement. Ces algorithmes sont, pour le moment, tenus secret.
C’est d’ailleurs ce qui pourrait intéresser la banque centrale chinoise (PBOC). « Ni nos propres données sur les crédits ni celles de la PBOC ne sont aussi fiables et détaillées que celles d’Ant », confie le cadre d’une grande banque chinoise qui a souhaité garder l’anonymat.
Projet de loi
En juin 2020, un cinquième de l’endettement des chinois relevait d’Ant Group. D’après une estimation du Wall Street Journal, les prêts en cours passés par Alipay représentent près de 230 milliards de dollars. Ce qui préoccupe le gouvernement chinois : « Les petites banques sont plus vulnérables en matière de gestion des risques. Si les impayés des prêts issus des plateformes internet augmentent, ces banques seront confrontées à des pertes plus importantes », explique une analyste spécialisée dans la finance de Gavekal Dragonomics. Le président de la CBIRC a émis de nombreuses interrogations : « Les grandes entreprises de la tech ont-elles bloqué les nouveaux arrivants ? Ont-elles collecté des données de manière inappropriée ? Ont-elles refusé de divulguer des informations qui devraient être rendues publiques ? Ont-elles eu un comportement trompeur à l’égard des utilisateurs et des consommateurs ? ». Face à ces questions, il a évoqué « des mesures opportunes et ciblées pour prévenir de nouveaux risques systémiques ». Un projet de loi sur les microcrédits en ligne est d’ailleurs en cours d’élaboration. Son objectif serait de faire un peu plus payer les géants de la tech.
Guo Shuqing n’a pas mentionné d’entreprise en particulier. Toutefois, les récents projets de lois sur les données personnelles et sur le monopole des géants de la tech chinoise, ou encore le blocage de l’entrée en Bourse d’Ant Group, laissent présager que la déclaration de Guo Shuqing vise une nouvelle fois les entreprises du numérique, comme Baidu, Alibaba, ou encore Tencent. « Certaines grandes entreprises de la tech opèrent dans plusieurs secteurs, alliant des activités financières et numériques. Il est nécessaire de suivre de près ces retombées … et de prendre des mesures rapides et ciblées pour prévenir de nouveaux risques structurels », avertit le président du CBIRC.