À Kinshasa, le ton monte chez les travailleurs dans les entreprises publiques, surtout au sein des mammouths. C’est l’éternelle histoire du verre à moitié vide. Quand certains annoncent déjà « un effondrement » ou « l’éclatement » de la bulle spéculative (la transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales ou la réforme de 2009 sous la houlette du COPIREP), d’autres diagnostiquent « une correction » ou « un assainissement » des entreprises publiques. En tout cas, la frénésie qui avait saisi les sociétés d’État depuis 2009 est bien retombée. Les entreprises publiques sont bel et bien en faillite ou en situation de cessation de paiement, explique un expert, ancien du Conseil supérieur du portefeuille (CSP). D’après lui, il faut avoir le courage de déclarer leur faillite et passer à autre chose.
Mais personne n’ose prononcer le mot sacrilège.
« Cela ne peut pas continuer comme ça », avoue cet expert. Ce qui se passe actuellement à la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) est révélateur d’un état d’esprit qui caractérise actuellement les entreprises du portefeuille de l’État : vétusté d’infrastructures et d’équipements, pléthore et vieillissement du personnel, accumulation des créances sur l’État, baisse des recettes d’exploitation, gabegie, corruption, impunité, salaires impayés, absence d’appuis budgétaires… Déjà la Minière de Bakwanga (MIBA), la REGIDESO, la Société nationale d’électricité (SNEL), la Société nationale des chemins de fer (SNCC), la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), qui constituent la locomotive du portefeuille de l’État sont dans la tourmente. La réforme de 2009 a suscité les espoirs les plus fous mais aussi les pires dérives du processus de transformation en sociétés commerciales.
Huit ans plus tard, les entreprises publiques n’ont pas gagné en compétitivité. « L’État est resté le seul actionnaire.
Donc, rien n’a changé », râle un syndicaliste. Ils sont nombreux, les syndicalistes dans les sociétés publiques à penser aujourd’hui que la réforme de 2009 confiée au Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP) est un échec. « Aucun progrès significatif n’a été enregistré, aucun objectif n’a été atteint.
La réforme n’a pas rétabli les fondamentaux d’une gestion saine suivant le type de sociétés privées, ni mis fin à la corruption, ni même aux pratiques anormales observées dans ces entreprises… Un cynisme que les milliers de travailleurs payent au prix fort. « De tout cela, personne n’a à répondre… », déplore ce syndicaliste. Si ce n’est que l’État actionnaire lui-même.
Les mandataires défaillants ne sont pas traduits en justice, le portefeuille ne souffre aucune remise en question. Sans remords et pleins de vanité, les voilà qui déclarent à ceux qui veulent les entendre que les entreprises publiques ont bien plus que besoin de la réforme. Parce que les problèmes sont plus complexes. Pourtant, il suffit de faire un petit effort pour gagner le pari de la Toutes les recettes imaginées jusqu’à maintenant pour tirer ces sociétés vers le haut se sont soldées par un fiasco. Le problème ne se résume pas à la photo du mouvement de grève que l’on observe, il va bien au-delà. Il touche à l’ambiguïté du statut juridique accordé de manière, mais aussi aux pratiques de gestion qui demeurent peu orthodoxes.
Coup de froid sur la réforme
En 2009, la justification de la réforme était que les entreprises publiques étaient devenues une charge très lourde pour l’État-propriétaire. Il a fallu donc les redresser. La tâche de conduire le processus a été confiée au COPIREP, en tant qu’agence de la Banque mondiale puis du gouvernement. Le COPIREP s’est mué en un établissement public chargé de la conduite du désengagement de l’État dans les entreprises publiques.
Dans le cadre de cette réforme, il avait reçu mandat de poser le diagnostic général sur le plan organisationnel, technique, opérationnel et financier. Sur la base des résultats de ce diagnostic, il devait définir et mettre en œuvre la stratégie de restructuration ; élaborer et mettre en œuvre un plan social d’accompagnement de la restructuration.
Le diagnostic a révélé que l’État ne payait pas ses dettes vis-à-vis des entreprises publiques, notamment les factures de la REGIDESO et de la SNEL. Les sociétés d’État fonctionnaient à perte, et de ce fait, elles ne contribuaient que faiblement au budget de l’État.
Par ailleurs, les services à la population et à l’économie étaient largement défaillants, notamment dans les secteurs de l’eau, l’électricité et des transports. Dans le plan social de restructuration, les résultats escomptés sont de divers ordres : réduire les contraintes de trésorerie et de liquidité des entreprises ; renforcer certaines d’entre elles, liquider d’autres et remplacer d’autres encore par d’autres opérateurs ; accroître progressivement la quantité et la qualité des services pour améliorer le bien-être et l’environnement des affaires…
Par ailleurs, les établissements publics commerciaux doivent générer des bénéfices et contribuer à la maximisation des recettes de 8 % du Produit intérieur brut (PIB) sur le long terme. Pour atteindre ces objectifs, l’État doit solder ses dettes et s’engager à ne plus les accumuler ; mettre en place des normes et pratiques de bonne gouvernance et de redevabilité axées sur la maximisation des recettes au profit de l’État actionnaire ; déterminer la raison sociale des entreprises publiques en vue de décider de leur avenir ; mettre en place des plans sectoriels d’amélioration des services. Qu’en est-il des résultats, huit ans après la réforme ?
Peut-être aurions-nous dû être sceptiques en 2009. Même si la réforme a été commandée par l’extérieur, nous aurions dû s’en approprier pour atteindre les résultats escomptés, souligne cet ancien du CSP.
Malheureusement, les sociétés d’État ne sont pas aussi performantes et aussi compétitives qu’on l’espérait. Les conditions dans lesquelles elles évoluent ne sont pas de nature à stimuler leur productivité et à favoriser leur rentabilité. » Elles ne sont pas gérées dans les règles de l’art. », poursuit-il.
*Cet article a été publié dans l’édition n°132 de Business et Finances.