L’avènement de l’université au Congo est un long processus qui remonte à l’initiative de l’université catholique de Louvain, en Belgique. Elle voulait organiser dans la colonie belge une filière spécialisée dans les domaines médical et agricole.
C’est à Kisantu, dans l’actuel Kongo-Central, à quelque 200 km de Kinshasa, que fut installée, en 1923, la Fondation médicale de l’université de Louvain au Congo (FOMULAC), afin de former des assistants médicaux. Puis, en 1933, vint le tour de la Fondation agricole de l’université de Louvain au Congo (CADULAC) destinée aux assistants agricoles indigènes. En 1947, l’université de Louvain s’associa avec la Compagnie de Jésus, réputée pour son sérieux dans la formation des élites, avec le soutien du Vatican pour créer le Centre universitaire Lovanium.
En 1954, le Centre universitaire fut délocalisé à Léopoldville, précisément sur la colline du Mont-Amba et baptisé « Université de Kimwenza ». C’est sur ses cendres que sera créée l’université Lovanium. Par un décret royal de 1956, l’université officielle du Congo (UOC) fut créée et ouvrit ses portes à Élisabethville (Lubumbashi), au Katanga. En 1963, la boucle fut bouclée avec la création de l’université libre du Congo (ULC), d’obédience protestante. Ces trois universités avaient pour mission d’assurer la formation des cadres indigènes et d’organiser la recherche scientifique.
Quatre grandes étapes caractérisent l’existence de l’université publique au Congo. La première étape va de 1954 à 1971. Elle est marquée par une autonomie de fonctionnement des trois établissements. La deuxième, de 1971 à 1981, est celle de leur nationalisation pour donner naissance à l’université nationale du Zaïre (UNAZA). La troisième étape, qui va de la réforme de 1981 à 1989, est caractérisée par la décentralisation. Quant à la quatrième étape, de 1989 à nos jours, elle ma rque la libéralisation de l’enseignement supérieur. Avec la libéralisation, on assiste à une prolifération des établissements privés, près d’un millier, selon une enquête nationale réalisée en 2009. À l’indépendance, en 1960, on comptait 510 étudiants dont 85 diplômés. Aujourd’hui, on estime à plus d’un millier, le nombre des étudiants.
Le coup de grâce
Les mesures de libéralisation n’ont pas été sans conséquence : l’université a cessé d’être le lieu du savoir et de l’excellence. Rattrapée par les antivaleurs, elle est à l’image de la société qui n’a plus de repères sociaux. Selon Mgr Tharcisse Tshibangu Tshishiku, président du conseil d’administration des universités du Congo, l’avenir de l’enseignement supérieur dépend du redressement socio-politique du pays. Il récuse les critiques qui font état d’un enseignement au rabais. Pour lui, l’amélioration des conditions de travail et sociales des enseignants est la clé de la solution. Sur ce registre, les professeurs demandent un minimum de 2 000 dollars mensuels. Ce n’est pas tout. Il faudra aussi financer l’université par des budgets conséquents. « Au départ, notre université a été rigoureuse parce qu’elle était née dans des circonstances particulières. En effet, on doutait de la capacité des Africains à entreprendre les études universitaires et à s’intégrer dans le monde scientifique et technique.
La communauté universitaire passée au scanner
De ce fait, les visionnaires ont exigé que les programmes et les méthodes de formation s’alignent sur le modèle de la Belgique », expliquait Mgr Tshibangu en marge des festivités du cinquantenaire de l’université au Congo. Le mal qui est fait au système éducatif n’a pas atteint l’arbre à la racine, soutenait-il.
Il faut changer du tout au tout pour remettre à niveau les universités publiques confrontées désormais à l’émergence d’institutions privées, particulièrement des structures d’obédience confessionnelle, plus ou moins performantes et plus ou moins bien équipées. Les établissements publics souffrent encore de la banqueroute de l’économie dans les années 1970-1980. « Les contraintes de la vie quotidienne consécutives à la pauvreté générale obligent les enseignants à consacrer une part importante de leur temps à s’occuper de problèmes matériels qui n’ont rien à voir avec leur travail. Considérée comme un îlot de modernistes et marginalisée, la communauté universitaire est rarement bien ancrée dans la société dont elle n’a plus les faveurs et est sans soutien de la part des pouvoirs publics », analyse le professeur politologue et sociologue Jean-Marie Kidinda. « Mal gouverné, le pays n’arrive plus, au fil des ans, à financer l’université publique qui ne peut que, désormais, compter sur le financement de la coopération. Par conséquent, les chercheurs finissent par délaisser la recherche ou par s’exiler. Ce délaissement forcé de la recherche s’est avéré alarmant par la suite », poursuit-il.
Loin d’être considéré comme le moteur du développement, la communauté universitaire est, au contraire, fichée comme « le vivier de la contestation politique ». La conséquence est que l’institution scientifique fige, par des mécanismes bureaucratiques, les rentes de situations dues à la hiérarchie scientifique ou administrative (mandarinat, népotisme, clientélisme…), toute possibilité d’épanouissement intellectuel. Quoi de plus normal que la précarité des conditions de travail dans les établissements publics affecte le niveau de l’enseignement.
Le sérieux et l’excellence ont cessé d’être la norme pour céder la place à l’obscurantisme et à l’ignorance. Les professeurs, mal payés ou sous-payés par l’État sont tombés dans les bras de la politique pour leur survie.
Assainir le secteur
L’encadrement et l’enseignement sont abandonnés entre les mains des chefs de travaux, assistants et d’autres personnes inexpérimentées qui, à leur tour, monnayent les notes et les syllabus. Le harcèlement sexuel, dans les deux sens, est devenu, avec l’argent, l’une des clés de la réussite. L’éthique professionnelle n’est plus qu’un lointain souvenir.
En 2009, le gouvernement avait donné carte blanche au ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire pour sévir contre « l’ouverture anarchique des établissements publics et privés, et pour poursuivre en justice ceux qui défient l’État ». L’audit diligenté a démontré qu’il y avait 1 030 universités et instituts supérieurs, publics et privés, agréés par le même ministère, souvent pour des motivations politico-électoralistes. Pourtant, la plupart de ces établissements ne remplissaient pas les conditions d’ouverture requises. Par exemple, sur le corps enseignant, la norme UNESCO requiert un professeur pour dix étudiants, alors que la moyenne nationale est d’un professeur pour 300 étudiants. Cette enquête nationale a aussi indiqué que, outre le déficit en professeurs qualifiés, la plupart des établissements n’avaient pas de matériel didactique (bibliothèques, informatique, laboratoires, ateliers et salles techniques…) ni d’infrastructures propres. Bref, tout n’était pas viable pour arborer l’étiquette d’université.
Les universités confessionnelles
Vu sous cet angle, seule une poignée d’établissements échappait à la fermeture. Mais cette mesure n’a jamais été appliquée parce que le gouvernement redoutait des remous sociaux à la veille d’une année électorale.
Pendant l’époque coloniale et les années d’après l’indépendance, les églises avaient la réputation de bien former, éduquer et instruire la jeunesse au niveau de l’enseignement primaire et secondaire. Face à la défaillance de l’État, à partir des années 1990, elles se sont investies dans le secteur universitaire.
À chaque confession religieuse son université, ainsi pourrait-on dire : les catholiques ont l’UCC, les protestants l’UPC, les salutistes William Booth, les kimbanguistes l’USK, les orthodoxes l’UOC et les musulmans l’UIC. Dans cette multitude, l’université protestante au Congo (UPC), et l’université catholique semblent tirer leur épingle du jeu. Implantée à Kinshasa, l’UPC place sa vision dans la formation des cadres créateurs d’emplois. C’est une émanation de la faculté de théologie protestante au Congo, créée en 1959 et qui a donné naissance, en 1963, à l’université libre du Congo, à Stanleyville (Kisangani). Avec la nationalisation de 1971, l’ULC devint un Campus de l’UNAZA. En 1989, la faculté protestante de théologie se mua en UPC. Ce qui fait d’elle actuellement l’un des meilleurs établissements d’enseignement supérieur du pays. En théorie.
Comme l’Église du Christ au Zaïre (ECZ), la Commission épiscopale nationale du Zaïre (CENZA) de l’Église catholique avait repris, en 1975, ses facultés de théologie et de philosophie rattachées au Campus de Kinshasa de l’UNAZA. Au fil des ans, elle ouvre la faculté de communication sociale.
Les trois facultés catholiques de Kinshasa finissent par constituer une université catholique du Congo (UCC) dont le sérieux est apprécié par tous, même si ses diplômés n’échappent pas aux tares générales. Cependant catholiques et protestants rechignent à reprendre la gestion de l’UNIKIN et de l’UNIKIS à la suite de la défaillance de l’État à en assurer le bon fonctionnement.