Quand la recherche se meurt

Le phénomène prend de l’ampleur avec la retraite ou le décès des enseignants. Si rien n’est fait, l’enseignement supérieur va manquer de cadres. Et il sera impossible d’atteindre l’objectif fixé par l’UNESCO :  un professeur pour dix étudiants, alors que la moyenne nationale est encore à un professeur pour 300 étudiants. 

On est loin du boum des années1970 au cours desquelles le Zaïre comptait à la pelle ses docteurs dans les différents domaines du savoir. Le problème de la relève des professeurs se pose avec acuité dans la communauté universitaire. En cause, le manque d’intérêt de l’État pour la recherche. L’octroi de bourses d’études pour préparer une thèse n’étant plus systématique, les rares chercheurs (chefs de travaux et assistants) qui en bénéficient préfèrent rester dans le pays d’accueil à l’issue de leur formation.

Les mauvaises conditions sociales et de travail sont à la base de cette fuite des cerveaux, comme le démontre  une étude réalisée par l’Unité de recherche et de formation (UREF) de l’université de Kinshasa. Cette enquête épingle entre autres causes le vieillissement du corps enseignant et la baisse de la qualité de l’enseignement au primaire et au secondaire.

Réalisée à l’UNIKIN, l’enquête a été aussi menée dans des institutions connexes (Cliniques universitaires de Kinshasa, École de santé publique, Institut national de recherches biomédicales…). L’UREF est arrivée au constat suivant : la moyenne d’âge pour le plus jeune professeur est de 50 ans alors que dans les années 1970 elle était de 30 ans. L’abandon de l’enseignement par l’État, la prise en charge des enseignants par les parents, les années blanches pendant la décennie 1990, les années académiques élastiques, la modicité et l’irrégularité des salaires ont creusé un fossé entre le corps scientifique et le corps académique. Résultat : la recherche scientifique n’attire plus les jeunes universitaires.

Asile doré

Ceux qui s’y adonnent comme assistants mettent cinq à dix ans pour devenir chefs de travaux et dix autres années, au minimum, pour défendre une thèse de doctorat qui ouvre les portes de la carrière professorale. La principale difficulté est d’ordre financier. Pour publier un article scientifique (entre 30 et 50 dollars) et défendre une thèse (environ 2 000 dollars, tous frais compris), il faut mettre la main à la poche. Selon plusieurs enquêtes, les disciplines les plus touchées par la fuite des cerveaux sont la médecine, les sciences exactes, l’économie et le droit. Les « pays d’asile » pour les chercheurs sont la Belgique, la France, les États-Unis, le Canada et l’Afrique du Sud. L’engouement pour l’Afrique du Sud est surtout observé chez les médecins. Ce sont les célibataires et les jeunes mariés qui sont enclins à « l’asile doré ». Pour lutter contre la fuite des cerveaux, certains organismes, comme la Coopération technique belge (CTB), accordent des bourses locales à ceux qui préparent une thèse.

Opérations de charme

En 2007, l’Office international de migration (OIM) avait offert aux médecins et aux infirmiers congolais résidant en Belgique l’opportunité de partager leurs expériences avec les compatriotes restés au pays. L’initiative avait été soutenue par le ministère belge de la Coopération au développement qui avait promis de financer les programmes d’échange alors que l’OIM allait coordonner les projets. La guerre était l’argument qui sous-tendait cette initiative. Côté congolais, la priorité était à la reconstruction des hôpitaux dans les anciennes zones de conflit et à la lutte contre les épidémies (choléra, malaria, tuberculose et rougeole). En milieux ruraux, l’expertise en soins de santé primaire fait cruellement défaut. Pour le ministre belge de la Coopération et du Développement,  Armand De Decker, il ne faut pas aller loin pour chercher cette expertise ; elle se trouve dans la diaspora. Il a proposé un inventaire rapide des médecins et infirmiers congolais oeuvrant dans les hôpitaux ou les universités belges. Ils pourront ainsi revenir travailler quelque temps dans leur pays d’origine, tout en conservant leur salaire en Belgique, préconisait-il. Autres idées avancées, le recrutement de Congolais qui désirent travailler comme coopérants techniques et le jumelage des hôpitaux, des universités et des établissements hospitaliers belges et congolais. Il sera plus question ici de connexion Internet ou de vidéo entre hôpitaux afin de permettre aux médecins congolais de bénéficier de l’expérience de leurs confrères belges.

Pour mieux coordonner les échanges d’informations avec les pouvoirs locaux et les diasporas africaines, l’OIM a mis en place un programme dénommé « Migrations pour le développement de l’Afrique ». Celui-ci répertorie les experts dans les diasporas africaines et développe les mécanismes d’analyse des besoins en personnel, en experts et en matériel. C’est dans ce cadre que l’OIM a convaincu quatre professeurs de la diaspora à rentrer au pays pour enseigner à l’université de Kisangani, en prenant en charge les frais de transport et leurs salaires. En 2009, cette université, avec ses huit facultés, ne comptait que 65 professeurs pour plus de 5 000 étudiants. Elle a perdu plusieurs professeurs à cause de la guerre. La plupart sont descendus à Kinshasa, tandis que d’autres, « les plus chanceux », ont réussi à quitter le pays. Parallèlement à l’initiative de l’OIM, Mgr Tharcisse Tshibangu Tshishiku, dont le nom est intimement lié à l’histoire de l’université au Congo, avait aussi entrepris de faire revenir au pays des professeurs ayant atteint l’âge de la retraite (62-65 ans) en Europe et en Amérique du Nord. Selon ses collaborateurs, la plupart d’entre eux étaient favorables à cette démarche. Mais l’initiative n’a pu être concrétisée faute de soutien du gouvernement qui devait prendre en charge la rémunération.