« L’EFFET MATILDA », c’est un phénomène qui porte un nom de femme, qui concerne les femmes, et qui a été théorisée… par une femme. Dans les années 80, l’historienne des sciences, Margaret W. Rossiter, se penche sur « l’effet Matthieu », qui veut que certains personnages sont reconnus au détriment de leurs collaborateurs, souvent à l’origine de cette renommée.
Notant que ce phénomène s’applique surtout aux femmes, Rossiter nomme « l’effet Matilda » d’après Matilda Joslyn Gage, militante féministe américaine qui, dès le XIXe siècle, avait noté l’attribution des pensées intellectuelles des femmes par des hommes. Au fil des ans, les exemples pour l’illustrer se sont succédé.
Un Nobel à titre posthume ?
Rosalind Franklin (1920-1958), physico-chimiste britannique : elle fut l’auteure du cliché 51, la première photographie de l’ADN. Elle réussit à l’obtenir en utilisant la diffraction de rayons X. À l’insu de Franklin, le cliché fut montré par son collègue de laboratoire à James Watson et Francis Crick, qui obtinrent tous deux le prix Nobel de médecine 1962 pour cette découverte. Pourtant, dans ses notes datant de 1951, Rosalind Franklin écrivait ces lignes prouvant sa paternité : « Les résultats obtenus suggèrent une structure en hélice contenant 2, 3 ou 4 chaînes coaxiales d’acides nucléiques, possédant des groupes phosphate en périphérie ». En 1958, Rosalind Franklin mourut prématurément d’un cancer, provoqué par ses recherches. Le prix Nobel n’étant jamais attribué à titre posthume, elle n’a jamais été associée à l’une des découvertes les plus fondamentales du XXe siècle.
Frieda Robscheit-Robbins (1888-1973), pathologiste américaine : elle a travaillé étroitement pendant 30 ans avec George Hoyt Whipple, et fut co-auteure et co-signataire de presque toutes ses publications. Elle n’a pourtant pas partagé avec lui le prix Nobel de médecine 1934, reçu par Whipple, Georges Minot et William Murphy pour leurs découvertes concernant l’utilisation thérapeutique du foie dans certains cas d’anémie.
Jocelyn Bell-Burnell (1943-), astrophysicienne britannique : elle est connue pour sa découverte du premier pulsar en 1967. C’est pourtant son directeur de thèse, Anthony Hewish, qui se vit décerner le prix Nobel de physique 1974. Ce fut par ailleurs la toute première distinction attribuée dans le domaine de l’astronomie.
Marthe Gautier (1925-), médecin française : elle travaille en 1958 auprès du professeur Turpin à l’hôpital Trousseau, à Paris. Elle y étudie les syndromes polymalformatifs, notamment le syndrome de Down, et se penche sur la suggestion du professeur Turpin sur le nombre de chromosomes chez les enfants atteints. Elle crée de toutes pièces un laboratoire artisanal et met en culture des cellules de patients atteints du syndrome de Down. Elle découvre chez ces enfants un chromosome surnuméraire : 47 au lieu de 46, c’est la trisomie 21. Mais ce sera Jérôme Lejeune, alors stagiaire du CNRS et assistant du professeur Turpin, qui s’attribuera la paternité de cette découverte. En 1958, il présenta les clichés pris au laboratoire de Gautier lors d’un séminaire de génétique au Canada, en tant que premier auteur. Il recevra pour cela le prix Kennedy en 1962.
Chromosomes XY
Nettie Stevens (1821-1912), généticienne américaine : elle fut à l’origine de la découverte en 1905 que le sexe de chaque individu est déterminé par des caractères chromosomiques XY. Une contribution phénoménale à la science génétique naissante. Mais ce sont ses mentors, Thomas Hunt Morgan et Edmund Beecher Wilson, que l’Histoire retiendra.
Marietta Blau (1824-1970), physicienne autrichienne : elle a révolutionné les méthodes photographiques de détection de particules chargées avec une de ses étudiantes, Hertha Wabacher. Le prix Nobel sera pourtant attribué en 1950 à Cecil Powell.
Marian Diamond (1926-), scientifique américaine : elle est à l’origine de la découverte de la plasticité neuronale. En publiant son papier en 1964, elle s’est aperçue que les noms de ses deux co-auteurs, David Krech et Mark Rosenzweig, avaient été placés devant son nom, qui plus est entre parenthèses. Alors qu’elle était première auteure de l’étude.
Lise Meitner (1878-1968), physicienne autrichienne : elle fut injustement ignorée au prix Nobel 1944, pour ses découvertes décisives sur la fission nucléaire. C’est son collègue Otto Hahn qui en fut récipiendaire.
Chien-Shiung Wu (1912-1997), physicienne sino-américaine : elle est connue pour avoir participé dans les années 40 au projet Manhattan. Elle en ressortit avec une notoriété importante dans le domaine de la physique pratique. C’est pourquoi dans les années 50, elle fut approchée par Tsung-Dao Lee et Chen Ning Yang pour les aider à prouver la non-conservation de la parité dans les interactions faibles. Leurs travaux avancent alors de manière radicale. Pourtant, seuls Lee et Yang reçoivent pour ces travaux le prix Nobel de physique 1957.
Hedy Lamarr (1914-2000), actrice et productrice de cinéma américaine : vous lui devez en partie votre réseau Wi-Fi. En effet, Hedy Lamarr a marqué l’histoire des télécommunications en inventant la « technique Lamarr », un système de codage des transmissions par étalement de spectre. Une technique toujours utilisée actuellement pour les liaisons chiffrées militaires, la téléphonie mobile ou le Wi-Fi. Elle ne fut décorée pour cette invention que rétroactivement, recevant en 1997 le prix de l’Electronic Frontier Foundation.
Au total, seules 48 femmes ont reçu le prix Nobel depuis la création en 1901 de l’honorifique distinction. Cela correspond à 3 % des lauréats. Dans les sciences, comme dans les distinctions en général, les femmes ont encore une place à se faire.