Fiscalité en Europe : la concurrence plutôt que l’harmonisation

L’harmonisation fiscale réclamée par la plupart des dirigeants européens n’est qu’une manière déguisée de favoriser l’uniformisation, objecte le fiscaliste Jean-Philippe Delsol. Or la concurrence fiscale oblige les Etats à offrir aux contribuables le meilleur rapport prélèvements obligatoires-services.

Il n’y a pas de parti politique ni de liste aux élections européennes qui ne demande pas une harmonisation fiscale et sociale en Europe, sauf bien entendu ceux qui militent pour sortir de l’Union. Ainsi de la droite républicaine aux socialistes, le consensus est d’« aller plus loin et tendre vers une harmonisation fiscale, notamment sur l’impôt sur les sociétés », dit François-Xavier Bellamy, ce que ne renierait pas Nathalie Loiseau.

C’est le discours des deux principales organisations du patronat français en faveur de davantage de convergence fiscale et sociale au sein de l’Union européenne, ce qu’a aussi proposé Emmanuel Macron avec son bouclier social. Cette volonté d’harmonisation a d’ailleurs été le leitmotiv de la Commission depuis toujours, du rapport Neumark en 1962 à la proposition en 2011, plusieurs fois remaniée depuis lors, d’uniformisation des bases de taux de l’ISdans son projet Accis.

Très forte baisse de l’IS

Pourtant, la concurrence entre Etats a permis naturellement de ramener les taux d’impôt sur les sociétés très en deçà de la fourchette de 30 à 40 % des bénéfices préconisée en 1992 par le rapport Ruding.

En France, le taux d’impôt sur les sociétés était encore de 50 % en 1984. Hors l’Irlande, les taux d’IS variaient entre 30 % et 60 % en 1986. En 1995, les taux d’IS s’étageaient de 19,6 % en Hongrie à 56,8 % en Allemagne et le taux moyen des pays de l’Europe des vingt-huit était de 35 %. En 2019, les taux s’échelonnent de 10 à 30 % (hors Malte, qui dispose d’un taux élevé de 35 %, mais dont on peut facilement se dispenser) et le taux moyen est de 21,7 %.

Il est vrai que ce mouvement a été favorisé par le fait que, sauf exception, le produit de l’impôt sur les sociétés est en proportion inverse de l’importance du taux de l’IS. Il représente 3,71 % du Pib en République tchèque avec un IS à 19 %, 3,21 % en Slovaquie avec un IS à 21 %, 2,83 % au Royaume Uni avec un IS à 19 %, 2,79 % en Irlande avec un IS à 12,5 %, 2,63 % en Suède avec un IS à 21,4 %, et seulement 2,35 % en France avec son IS à 33 % ! 

Il y a d’ailleurs des étrangetés, comme l’Allemagne, qui a un produit de 2,01 % de son PIB avec un taux à 29,9 %, et la Belgique, qui en a un de 4,14 % avec un taux de 29,6 %. 

Diversité fiscale

C’est qu’il faut aussi tenir compte des niches qui peuplent l’impôt dans certains pays plus que dans d’autres et des autres impôts, dits de production, qui ajoutent parfois beaucoup à l’IS, à raison, par exemple, de 1,4 % seulement des bénéfices commerciaux en Irlande ou 0,6 % en Belgique contre 4,3 % en Allemagne et 10,5 % en France.Sous le nom d’harmonisation, l’Europe déguise en fait une volonté d’uniformisation. Car l’harmonie repose sur l’heureux accord des différences plutôt que sur la confusion des semblables. De la même manière que les fiscalités sont diverses, chaque pays a ses paysages et son climat, son histoire et sa culture, ses ressources naturelles et ses savoir-faire, des hommes aux tempéraments hétérogènes… !

Comme la concurrence entre les entreprises protège les consommateurs, elle oblige les Etats à offrir aux contribuables le meilleur rapport prélèvements obligatoires-services. C’est d’ailleurs pourquoi les Etats n’en veulent pas. Pourtant, la Suisse et les Etats-Unis sont les exemples vivants du succès auquel conduit la diversité fiscale. A vouloir tout unifier, l’Europe risque de perdre sa liberté. Il serait temps d’écouter les peuples européens qui souhaitent sans doute moins de normes et plus de vision.

Jean-Philippe Delsol , avocat, président de l’Institut de recherches économiques et fiscales, Iref.