SITUATION vraiment paradoxale dans le circuit commercial de l’huile de palme. Les consommateurs sont sensibles aux images d’espèces de la faune menacées de disparition, les producteurs sont poussés vers plus de durabilité, et les autres acteurs assistent impuissants à cette situation. Que faire ? Des multinationales comme Unilever, Nestlé et McDonald’s ont pris des engagements internationaux pour « zéro déforestation » et/ou « zéro feu de forêts » mais les transformateurs et les distributeurs sont encore frileux.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) fait remarquer que la demande des gros consommateurs comme l’Inde, la Chine, la Malaisie et l’Indonésie est encore faible. Les résultats de l’action de l’Union européenne (UE), pourtant en première ligne dans la lutte contre la déforestation liée aux produits tropicaux, sont encore mitigés. « Il faut que les industriels européens aient le courage de s’engager car le manque de soutien décourage les cultivateurs », a confié au Monde, Darrel Webber, le secrétaire général de la RSPO en Malaisie.
Vents contraires
Malgré les certifications imposées, l’huile de palme est victime de sa situation sur le marché mondial. En dépit de ses nombreux bienfaits, la production de ce produit agricole (tout comme l’hévéa) est de plus en plus dénoncée par les ONG du fait des déforestations massives, particulièrement en Asie. La table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO) a permis d’impulser un mouvement de durabilité dans la filière. Cependant, elle reste confrontée à de nombreux vents contraires.
En 2004, au moment de sa création, la RSPO avait pour mission de promouvoir la production, l’échange et la consommation d’huile de palme durable sur le marché mondial. En effet, l’industrie de l’huile de palme essuyait des critiques des ONG de défense de l’environnement après plusieurs décennies de croissance fulgurante en Asie du Sud-Est. L’Indonésie qui possède le troisième bassin de forêts équatoriales du monde, cristallisait tout particulièrement l’attention de ces organisations.
L’utilisation du feu pour préparer le terrain, avant l’installation des palmeraies, a poussé de nombreuses organisations comme Greenpeace, UICN ou Les Amis de la Terre, à se pencher sur l’influence de l’expansion du palmier à huile sur la disparition de la biodiversité. Sur le plan foncier et social, l’huile de palme faisait aussi polémique avec des accusations allant de la négation des droits coutumiers traditionnels, à l’accaparement de terres en passant par les mauvaises conditions de travail. Dans ce contexte, la RSPO jouait le rôle de plateforme, basée sur la coopération et le dialogue entre les différents acteurs de l’industrie (producteurs, transformateurs, négociants, détaillants, ONG/environnement-nature, ONG/social).
La charte de la RSPO repose sur un ensemble des 8 principes et 39 critères. Elle considère le produit (huile de palme durable) comme n’étant pas issu de la déforestation, n’engendrant pas d’impacts sociaux négatifs (respect des droits des exploitations familiales) et ne participant pas au changement climatique.
Aujourd’hui, quelque 4 000 personnes dans 93 pays ont adhéré à la charte de la RSPO. Aujourd’hui également, la certification a évolué : actuellement, 14,5 millions de tonnes d’huile de palme sont certifiées durables par la RSPO, soit environ 19 % du volume mondial, contre 620 000 tonnes en 2008. La superficie certifiée est passée de 106 000 ha en 2008 à 2,91 millions d’ha en 2019.
Cependant, la commercialisation pose problème. Les acheteurs d’huile de palme durable ne se bousculent pas sur le marché mondial. Seulement la moitié de la production certifiée y est vendue. Surtout « parce qu’il est plus cher de la produire et presque personne ne veut payer de prime à la durabilité », avancent des responsables du groupe malaisien Sime Darby Plantation qui dispose de la plus vaste superficie des palmeraies au monde.
En effet, pour prétendre à la certification, les producteurs peuvent dépenser jusqu’à 20-25 dollars par ha. Dissuasif pour les exploitants qui ne sont pas ou peu organisés. Mais le coût ne s’arrête pas là. Il s’agit aussi de prendre en charge les frais d’audits, les coûts logistiques et de renseigner les études d’impact environnemental. Résultat : sur le marché, l’huile certifiée durable coûte entre 30 et 40 dollars, plus cher que son équivalent non certifié.
Autre chose : les principes de la RSPO ne peuvent pas s’appliquer facilement dans certains pays africains où la propriété foncière reste toujours coutumière, même là où il y a un régime foncier moderne. L’adaptation au contexte actuel est plus difficile que les enjeux du développement économique priment sur les questions de durabilité dans certains cas. La RSPO apparaît ainsi pour ses détracteurs comme une initiative répondant à la logique des pays développés, dont les discours sur la durabilité risquent de mettre en danger la filière en Afrique, par exemple.
Comme on le voit, l’avenir de l’huile de palme durable dépend de nombreuses réformes. Au-delà de la difficulté de mise en œuvre, c’est le modèle économique même du processus qui doit être revu. Notamment pour permettre aux petits ou moyens producteurs d’être enrôlés dans le processus. Avec les coûts actuels, un soutien financier et la négociation de meilleurs prix d’écoulement seraient salutaires. « Même si les avantages liés à la certification durable vont au-delà de l’aspect financier, la réussite du système de certification dépend en partie de la capacité des parties prenantes à parvenir à des prix finaux plus élevés, afin de compenser les coûts engendrés par la certification », explique un expert.
Les enjeux pour l’Afrique
D’autres experts soulignent la nécessité d’une meilleure implication des investisseurs et des gouvernements dans la certification. Il appartient donc aux acteurs étatiques de statuer sur les lois relatives à la durabilité et de mettre la pression sur les entreprises privées. La RSPO a révisé ses statuts pour faire taire les critiques d’organisations environnementales. Elle a aussi pris des mesures afin de sanctionner les membres qui ne respectaient pas ses principes. Elle a notamment suspendu, en juin 2018, Nestlé pour ne pas avoir présenté son plan d’utilisation d’huile de palme certifiée durable. Celle-ci a retrouvé son statut, un mois plus tard, après avoir renouvelé son objectif d’approvisionnement en huile de palme 100 % durable, d’ici 2023.
« En 2018, après de longs débats et beaucoup de pression, la RSPO a amélioré son cadre de travail, relevé ses ambitions, révisé son statut et entrepris une meilleure mise en œuvre. Le problème, c’était que le système de certification était extrêmement médiocre », a confié à l’Agence Ecofin, Etelle Higonnet, la directrice de campagne de l’ONG environnementale Mighty Earth. D’après elle, ce changement doit beaucoup aux actions de nombreuses organisations comme Greenpeace qui ont poussé certaines compagnies à renforcer la transparence sur leur traçabilité et leur approvisionnement, cartes à l’appui.
Le continent africain n’est pas en marge de la problématique de la durabilité des oléagineux. Il est même le terrain de jeu de nombreuses compagnies qui tentent d’y implanter des palmeraies avec plus ou moins de succès. Ils sont nombreux, ces experts qui pronostiquent sur l’avenir de l’huile de palme.
Pour eux, il ne doit pas être hypothéqué à cause des controverses. Ils pensent que la réalité africaine est différente de celle de l’Asie du Sud-Est. En effet, sur le continent africain, sa terre d’origine, l’huile de palme contribue depuis des millénaires au régime alimentaire de nombreux pays où elle est utilisée sous sa forme brute (huile rouge).
Leader de l’offre mondiale d’huile de palme durant l’entre-deux-guerres, l’Afrique représente aujourd’hui moins de 10 % de l’approvisionnement mondial. En outre, les rendements à l’hectare, encore loin des standards observés en Asie, laissent des marges de progression considérable et offrent des opportunités commerciales immenses. D’après une étude de Zion Market Research, publiée en 2017, la valeur du marché mondial de l’huile de palme devrait atteindre 92,84 milliards de dollars d’ici 2021, contre 65,73 milliards en 2015.
« La durabilité de la production est une responsabilité partagée et requiert la collaboration entre toutes les parties prenantes. Les compagnies, les petits agriculteurs, les gouvernements en Afrique ont besoin de travailler ensemble pour inciter la production plus durable à travers les marchés et les régulations, et agir avec la plus grande urgence pour permettre au secteur d’aller de l’avant », a confié à l’Agence Ecofin, Tjakra de la RSPO. Pour Etelle Higonnet, il faudra notamment tirer le meilleur profit de l’expérience de l’Asie : « Le système africain d’huile de palme pourrait apprendre des leçons de l’Asie, et aller directement au meilleur de ce que l’Asie a réussi à faire pour l’huile de palme durable. Cela est la meilleure option possible. »