Les chiffres sont inquiétants : 620 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité en Afrique, soit près des deux tiers de la population du continent. Pour de nombreux analystes, le déficit énergétique dont souffre cette région du monde constitue l’une des principaux freins à sa croissance. Une croissance qui, assure pourtant la Banque mondiale, s’est située entre 5 et 17 % en 2014 dans une trentaine de pays du continent.
Comment électrifier l’Afrique, et surtout, qui doit le faire ? La 21e conférence de la Convention des Nations unies sur le changement climatique (COP21), qui se tient dans moins de cent jours à Paris, va-t-elle permettre des avancées sur ce sujet ? Face à l’urgence, les initiatives se multiplient et, parfois, se chevauchent. Des projets parfois pharaoniques sont portés par des personnalités qui se lancent dans la bataille pour l’électrification de l’Afrique avec la foi des nouveaux convertis.
Akon est un chanteur de R’n’B américain d’origine sénégalaise. Cet été, il a sillonné une partie de l’Afrique de l’Ouest, à la rencontre des dirigeants politiques et des communautés rurales. Objectif : promouvoir l’Akon Lighting Africa, un projet d’électrification du continent à partir de l’énergie solaire, lancé en 2014 alors que rien ne prédestinait la star du show-biz aux quarante millions d’albums vendus à se convertir en héraut de la cause énergétique. Akon prévoit de lever 1 milliard de dollars afin d’électrifier plusieurs millions de foyers dans une quarantaine de pays d’ici 2020.
« Cette idée m’est venue au Sénégal, quand je suis retourné visiter les quartiers où j’avais grandi et qui, quinze ans plus tard, étaient toujours privés d’électricité. Les infrastructures n’avaient pas bougé », fait savoir le chanteur, qui dit avoir déjà fait installer 100 000 lampadaires et plus de 100 000 kits solaires domestiques dans près de 500 localités. C’est encore très peu compte tenu des besoins, mais « nous allons continuer à apporter des solutions aux problèmes d’énergie ».
Quand Jean-Louis Borloo évoque la nécessité de résoudre le déficit énergétique de l’Afrique, c’est avec passion, presque avec des trémolos dans la voix. Ses déclarations enflammées lui ont valu de longs applaudissements lors du New York Forum Africa, du 28 au 30 août à Libreville (Gabon). L’idée de l’ancien ministre français de l’écologie consiste à créer une agence spécialisée consacrée à la question. Cette agence devra bénéficier de 4 milliards de dollars (3,57 milliards d’euros) de subventions – non conditionnelles et fournies par les pays dont les émissions de CO2 dépassent 8 tonnes par habitant et par an – sur dix ans afin de lever les 250 milliards de dollars (223 milliards d’euros) d’investissements nécessaires pour électrifier l’Afrique.
L’initiative, lancée en mai, n’existe pour l’instant que sur le papier, et pas un centime n’est sur la table. Mais Jean-Louis Borloo affirme que « les choses avancent plutôt bien » et que la plupart des chefs d’État subsahariens qu’il a rencontrés sont d’accord pour mettre en place cet instrument unique. « Politiquement, il est impossible de ne pas y arriver. Le plan proposé conjugue les enjeux climatiques, de développement et des migrations. L’énergie n’est pas un sujet parmi d’autres, c’est le préalable de tout », ajoute l’ancien ministre, qui espère un début de concrétisation pour son « plan Marshall de l’énergie » après la COP21.
Bien plus « modeste » est l’initiative Power Africa, lancée en juin 2013 par le président américain, Barack Obama, qui vise à mobiliser 7 milliards de dollars (6,1 milliards d’euros) de fonds publics sur cinq ans pour électrifier 20 millions de foyers en Afrique. Là aussi, l’initiative avance à pas de tortue, considérablement ralentie par les blocages du Congrès américain. Face aux critiques, Barack Obama a défendu ce programme lors de sa visite au Kenya, en juillet dernier. « Nous sommes sur la bonne voie, et les résultats seront bientôt visibles. Si vous voulez construire une centrale électrique, cela ne prend pas qu’un an », a-t-il commenté.
Si ces diverses initiatives piétinent autant, c’est qu’elles ont un défaut commun : « Beaucoup de projets ne sont pas conçus pour offrir un retour sur investissement suffisamment attractif pour les financeurs. Les investisseurs craignent aussi que les règles changent en cours de route et qu’ils soient perdants », affirmait en février au Monde Mosad Elmissiry, responsable du programme énergie du Nepad, l’instance stratégique et opérationnelle de l’Union africaine.
La solution ? Mutualiser les ressources, comme le souhaite Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies. « Les seules initiatives qui seront porteuses sont celles qui réussiront à mobiliser des fonds. Pour l’heure, il y en a peu, même si les investissements dans le secteur ont augmenté d’environ 30 % depuis cinq ans. La pléthore d’initiatives actuelle conduit à la cacophonie et fait perdre du temps. On a besoin d’une coordination, or il est difficile d’attribuer cette responsabilité à une organisation. » La Commission économique pour l’Afrique des Nations unies essaie de promouvoir l’idée d’une matrice énergétique, stratégie commune à l’ensemble des pays africains.
Joao Duarte Cunha est du même avis. « Il y a beaucoup de paroles mais peu de concrétisation, parce que cela prend du temps de réaliser des projets. Il faut accélérer le processus en recherchant une forme de coordination », estime celui qui est chargé du Fonds des énergies durables pour l’Afrique à la Banque africaine de développement (BAD). La BAD entend d’ailleurs elle aussi se positionner comme le leader en matière de financement des énergies renouvelables et d’électrification de l’Afrique. Ainsi soutient-elle, avec d’autres bailleurs de fonds, le projet Noor de construction d’un parc solaire à Ouarzazate (Maroc), qui ambitionne de devenir le plus grand du monde. Ce mégaprojet devrait avoir une capacité de production électrique de 2 000 mégawatts d’ici 2020 et nécessite 2 milliards d’euros pour sa réalisation.
Depuis 2012, la BAD est aussi engagée dans le projet Menengaï, au Kenya, le plus grand programme géothermique d’Afrique dont l’objectif est de multiplier par dix la production d’énergie du Kenya d’ici 2030. On en est loin, affirme un proche du dossier : les trois quarts des Kényans sont toujours privés d’électricité, et les zones rurales, presque partout en Afrique, sont toujours plongées dans le noir. « C’est une urgence et un danger, s’alarme Jean-Louis Borloo. On ne peut pas multiplier les grand-messes sur ce sujet et ne pas avancer. »