Malgré la kyrielle de compagnies aériennes, voyager au Congo est encore difficile. La décennie 2006-2015 aura été la période la plus sombre de l’histoire de l’aéronautique. Le gouvernement s’est doté d’un arsenal juridique pour se conformer aux instruments du droit international aérien. Mais la reconnaissance internationale tarde à venir. Décryptage.
Le gouvernement a fait voter au Parlement, en avril, neuf lois importantes pour doter le pays d’instruments juridiques en matière de droit international aérien. Parmi ces lois, la ratification des conventions relatives à l’aviation civile internationale et à l’unification de certaines règles de transport aérien, ainsi que la loi sur la réparation des dommages causés à des tiers par des aéronefs en plein vol.
Ces dix dernières années, l’aviation civile a enregistré plus de 150 crashs et incidents aériens ayant entraîné plus de 200 morts et des dizaines de blessés graves. Lors des dernières assises de l’aéronautique civile au Congo organisées en avril, à Kinshasa, le ministre des Transports et Voies de communication, Justin Kialumba Mwana Ngongo, l’Autorité de l’aviation civile (AAC) et la Régie des voies aériennes (RVA) étaient sur la sellette. Le ministre accusait d’« avoir failli à leurs missions de contrôle technique et de développement des infrastructures aéroportuaires ». La concertation était une réaction à la non-reconnaissance des transporteurs aériens nationaux sur le plan international.
Les défis de sécurité et de sûreté
Certifiées pourtant en 2006 par les autorités compétentes, les compagnies volant au Congo étaient toutes black-listées par l’Union européenne (UE) et faisaient l’objet d’une interdiction totale d’exploitation dans son espace. La question était de savoir comment s’en sortir.Au cours de la décennie, 2011 aura été l’année la plus noire. Le crash du Boeing 727 de la compagnie privée Hewa Bora Airways, en juillet, près de l’aéroport de Kisangani avait marqué les esprits. Bilan : 83 morts dont 79 passagers. L’autre drame aura été l’accident du bi-réacteur Gulfstream 200 venu de Kinshasa via Goma, le 12 février 2012, et qui rata l’atterrissage sur la piste de l’aéroport de Kavumu, à Bukavu, avant de terminer sa course dans un ravin. Les deux pilotes sud-africains et Augustin Katumba Mwanke, député PPRD et conseiller du président Joseph Kabila Kabange, périrent. Les cinq autres occupants dont Augustin Matata Ponyo, alors ministre des Finances, et Marcellin Cishambo, gouverneur du Sud-Kivu furent blessés et évacués en Afrique du Sud pour des soins. Deux semaines auparavant, le 30 janvier, un Antonov 28 de Tracep Congo, s’était écrasé causant la mort de trois personnes.
Des causes multiples d’accidents
Les crashs sont souvent la conséquence des mauvaises conditions météorologiques, de l’erreur humaine, du mauvais état des aéronefs et du manque d’infrastructures aéroportuaires adéquates. Certains aérodromes du pays ne sont utilisables que grâce à l’appui technique de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO). La certification de tous les aéronefs, des équipages et des compagnies aériennes œuvrant au Congo est un casse-tête pour le gouvernement. L’Autorité de l’aviation civile (AAC) devait engager, en octobre 2012, le processus de certification de tous les opérateurs du secteur. Mais, auparavant, ses agents devaient les sensibiliser sur l’importance du contrôle de conformité afin de réduire les risques d’accidents. La campagne consistait à montrer à ces opérateurs combien il était important que les avions subissent régulièrement des check-lists. Autrement dit, des opérations successives de vérification, sans omission, du fonctionnement de tous les équipements vitaux de l’appareil. Jamais auparavant l’Autorité de l’aviation civile n’avait certifié les avions parce que les conditions de délivrance du certificat n’étaient pas réunies. Aucune disposition réglementaire n’avait été prise pour que les transporteurs aériens soient obligés de s’y conformer.
Les conditions d’accès au marché
Le gouvernement avait décidé alors d’informer les opérateurs des conditions d’accès au marché du secteur. Et l’AAC devait au préalable enquêter sur l’organisation administrative, le personnel, les équipements techniques, les types de service et les sources de revenus pour évaluer les compétences d’un exploitant. Depuis, les avions des compagnies qui ne satisfont pas aux conditions de la certification ne peuvent pas voler. Mais on déplore souvent le laxisme de l’administration qui se fait parfois complice des mauvaises pratiques.Un moratoire de deux ans avait été accordé aux transporteurs pour mettre à jour tous les documents d’exploitation, surtout le certificat de navigabilité et la licence d’exploitation. Selon la loi, ce certificat est valable un an. L’opérateur doit le renouveler régulièrement en prouvant à l’AAC sa capacité d’exercer en toute sécurité et en toute sûreté ses activités commerciales de transport aérien. Malgré la concurrence qui s’est installée, voler au Congo ressemble à un parcours du combattant. L’arrivée des nouvelles compagnies dont Wimbi Dira, Fly Congo, Korongo Airlines (qui n’existe plus), CAA, Air Kasaï et les autres a amené la concurrence dont l’effet bénéfique a été la baisse des prix de billets d’avion pour les passagers. Cependant, la problématique de la qualité et de la sécurité reste entière. La somme des éléments naturels et structurels auxquels le secteur est actuellement confronté soumet les équipages à une charge accrue de travail et de responsabilité. Dans certains cas, elle peut occasionner des situations complexes. Les accidents d’avion reposent, à chaque drame, la problématique de la qualité et de la sécurité aéronautiques. « Il faut apprendre du passé, c’est-à-dire des pratiques en vogue. Il faut prendre des mesures correctives dans l’intérêt de tous, notamment en ce qui concerne les procédures de contrôle », suggère un responsable dans une compagnie aérienne.
D’après un pilote, il est important de comprendre comment un accident est survenu, au lieu de prendre un raccourci en statuant sur les conséquences. Après l’accident de son Boeing 727 en 2011, Hewa Bora Airways avait pris trois décisions. Premièrement, l’inspection visuelle systématique des conditions météorologiques locales et de l’état des infrastructures avant chaque décollage et chaque atterrissage. Deuxièmement, la mise en place d’une politique de communication sol-air entre l’opérateur au sol et l’équipage en vol pour reporter le résultat des inspections visuelles. Troisièmement, les équipages devaient être spécialisés pour un seul type d’avion dans le cadre du transport public.
Mauvaises pratiques
La qualité et la sécurité dans l’aviation civile sont des composantes incontournables du transport aérien. Elles obligent tous les acteurs à prendre leurs responsabilités. L’Union nationale des pilotes du Congo (UNPCO) regrettait d’être restée longtemps discrète par rapport aux difficultés inhérentes à l’exercice de la profession. À propos des crashs, elle avait lancé un appel au ministère des Transports et Voies de communication pour plus de sécurité et de sûreté dans le ciel. Et adressé un mémorandum à l’Autorité de l’aviation civile, en 2008, avec ampliation au ministère de tutelle. Dans le document, les pilotes dénonçaient « les mauvaises conditions d’exploitation des aéroports et de contrôle de la circulation aérienne qui n’atteignent pas le niveau exigé par les normes internationales ». « Combien d’accidents d’avion et de victimes faudra-t-il comptabiliser avant que les moyens et les énergies soient mobilisés pour résoudre les problèmes urgents ? Combien de Congolais devront encore périr avant que la culture de la prévention entre dans nos mœurs et coutumes ? », s’interrogeait l’UNPCO face au gouvernement. Les pilotes se plaignaient de voler et d’atterrir sur des aéroports mal équipés, sans aide à la navigation, avec des informations météorologiques non fiables et parfois inexistantes, sans oublier la présence de nids de poule et de dos d’âne sur certaines pistes. En conclusion, ils notaient que les catastrophes aériennes qui endeuillaient le pays étaient la manifestation externe d’un « grave disfonctionnement dans ce secteur névralgique de l’économie » et étaient « la conséquence de multiples défaillances ». C’est pour cela qu’ils demandaient à être associés à toute problématique qui touche à la navigation aérienne. Ils se sentaient marginalisés : « Aucun problème de sécurité aérienne ne peut être résolu sans prendre en compte le point de vue des pilotes. Ce serait comme si l’état-major des forces armées partait en guerre sans tenir compte des avertissements des services de renseignements militaires ». Ils jugeaient par ailleurs impossible qu’on trouve des solutions sans s’attaquer aux vrais problèmes.