Sur la personne de Joseph Kabila, beaucoup de choses ont pu être dites ou écrites au cours de l’année de 2016. Il n’empêche, en ramenant la Majorité et l’Opposition radicale sur un terrain d’entente via la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), le président de la République a gagné un pari. Alors que tous redoutaient le scénario de la confrontation (la violence) après le 19 décembre 2016, date butoir de la fin de son second mandat constitutionnel, le président de la République a déjoué tous les pronostics en choisissant la voie de la paix et de la stabilité. Ce choix crucial pour l’avenir de la République démocratique est largement suffisant pour mériter d’être élu homme de l’année.
Le mystère qui entoure le personnage de Joseph Kabila est encore là. Un proche conseiller du président de la République nous confiait un jour que personne, alors personne, ne peut dire qu’il connaît Kabila. Même pas ses proches collaborateurs car il les surprend souvent par ses positions lorsqu’il s’agit de prendre des grandes décisions sur l’avenir du pays. Il a marqué l’actualité de l’année 2016, en montrant qu’il est un homme d’État, contrairement aux va-t-en en guerre de tous bords politiques. Alors que tous ou presque, opposants à son régime, diplomates occidentaux accrédités à Kinshasa, analystes politiques, chroniqueurs, journalistes, défenseurs des droits de l’homme…, le soupçonnait de ne pas vouloir organiser les élections pour se maintenir au pouvoir, Kabila a annoncé, dans son message sur l’état de la Nation, qu’il se conformerait à la constitution quant à son sort. Une décision manifestement difficile à prendre car Joseph Kabila a dédié sa vie au pouvoir à la recherche de la paix et de la stabilité pour la RDC. Il aurait pu tenter par tous les moyens de rester au Palais de la Nation. Que non !
Les élections à tout prix
En 2011, juste après sa victoire contestée à l’issue des élections chaotiques, Joseph Kabila a fixé le cap lors de la première réunion du conseil des ministres. Il avait insisté sur l’organisation des élections provinciales et locales pour parachever le cycle électoral et se mettre ainsi en phase avec la constitution. Rien n’y fera, à cause de la distraction de la classe politique, la guerre dans l’Est, les attaques récurrentes des ADF, la mauvaise rentrée politique avec Etienne Tshisekedi qui se considère comme le président élu… À cela s’ajoute, entre-temps, la crise économique : la stabilité macro-économique a montré des signes de faiblesse suite à l’effondrement des prix des matières premières. La conséquence est que la croissance économique n’a pas ou atteindre les deux chiffres souhaités, le budget a stagné et l’étourderie s’est emparée de tout le système. Et les élections n’ont pas pu être organisées à échéance.
La pauvreté morale des hommes politique congolais a refait surface. Depuis Sun City, certains d’entre eux sont toujours à la manœuvre. Les comploteurs affûtaient leurs armes. Les petites phrases assassines commençaient à montrer la direction de l’instabilité. Les déclarations de Moïse Katumbi faisant allusion au penalty ont réchauffé les esprits dans les deux camps politiques. Le spectre d’une nouvelle rébellion dans l’Est de la RDC hantait les esprits. Les ex-M23 étaient convoités par les politiques pour tenter de forcer la main au président congolais. Mais Kabila a gardé la sérénité, préférant ne pas prêter le flanc à toutes sortes de provocation. Son silence a été agaçant pour les opposants à son régime. Alors qu’il laissait entendre, des bouts de phrase, que la constitution serait respectée, personne ne le croyait. Par son silence il a fini par agacer les puissances occidentales (États-Unis, Grande-Bretagne et France). Et la Belgique, l’Angola et le Congo-Brazzaville se sont mêlés de l’affaire.
Le dialogue, ultime recours
Début 2015, l’idée d’un dialogue est lancée, mais chacun l’interprète à sa façon. Cette même année, la situation économique faisait peur, le budget était revu à la baisse et le fonctionnement de l’État soumis à un régime d’amaigrissement. Toutes les dépenses de fonctionnement ont été réduites de 30 %. Les recettes de l’État ont continué de diminuer. La stabilité macro-économique était en péril. Matata n’a pas su accélérer l’indépendance de l’économie aux matières premières. Il a fait la caisse, la trésorerie. D’autres leviers étaient soit difficiles à manœuvrer, soit à utiliser par sophistication économique. Où allait-on trouver 1.3 milliard de dollars pour financer les élections? Dans un contexte de récession, était-il responsable de consacrer 35 % de ses recettes pour financer une élection dont tout le monde ne voudrait? Cet argument n’a jamais été mis au devant.
Novembre 2015, l’idée du dialogue dont tout le monde ne voulait a été remise sur la table. Tshisekedi aurait donné son OK. Les hommes du pouvoir et quelques intermédiaires étaient à la manœuvre. L’argent a coulé à flot alors que, théoriquement, l’État n’en a pas assez. Le discours se corse, les camps se composent et se décomposent au fil des mois. Tshisekedi changea le fusil d’épaule. On le voyait désormais avec Raphaël Katoto, le frère aîné de Moïse Katumbi, désormais infréquentable pour Kinshasa. Des alliances se sont faites. Et on a boycotté l’idée de dialogue alors qu’on croyait que c’était une question des jours. Dans l’entretemps, les jours passaient inexorablement. La revendication a été que Kabila se prononce en annonçant qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Qu’il organise les élections avant la fin de l’année 2016. Mission impossible.
Washington s’impatientait. L’envoyé spécial du président Obama agitait des épouvantails, faisant des navettes entre Kabila et Tshisekedi. Mais il mangeait souvent avec les membres de Lucha, l’opposition et la société civile de l’opposition. Il était perçu comme un envoyé spécial pour faire partir Kabila du pouvoir. Ce qui n’était pas du goût de la jeunesse kabiliste, qui l’a menacé. Les diplomates congolais ont beau expliquer la bonne foi du président Kabila, rien n’y a été fait. La machine était lancée et la tête de Kabila désormais à portée. Le 19 septembre 2016 décida finalement du sort de Kabila. Les diplomates étrangers ont eu peur de revivre cela et exercé la pression non seulement sur Kabila mais aussi sur le Rassemblement. Le 19 octobre, Tshisekedi a lancé un carton jaune et réservé le carton rouge pour le 19 décembre 2016. Il a demandé le départ de Kabila. On lui demanda de mettre un peu d’eau dans son vin, il le fit mollement sans désemparer.
Le jour du carton rouge, le 19 décembre, arriva à tâtons. Kabila est toujours là. Un gouvernement aussi, issu de négociations de la Cité de l’Union Africaine. C’est le gouvernement Badibanga I. Espérons qu’il y aura un Badibanga II. La police et les services avaient quadrillé la ville pour montrer qu’en fait le pouvoir était bel et bien en place. Quelques morts mais rien de l’apocalypse promise par le Rassemblement, plate-forme de l’opposition radicale. Kabila a entériné le gouvernement Badibanga, la veille du 19 décembre 2016. Il a montré qu’il avait les manettes en mains. La pression qui était déjà là s’est accrue. On a parlé des menaces, des sanctions sur sa famille avec un dossier à la CPI ; d’autres menaces également lancées contre le ministre de la Justice, Thambwe Mwamba. Les soutiens extérieurs du Rassemblement se sont manifestés au grand jour. Mais Kabila était ouvert. Même l’Accord politique de la Cité de l’UA avait laissé une possibilité aux autres de le signer. Mais le Rassemblement a obtenu que ce soit « son » document qui soit la référence avec la bénédiction des évêques catholiques.
Le 31 décembre 2016, après une homélie controversée du cardinal Monsengwo, les évêques ont obtenu un accord, qui, en termes de négociation, montre clairement que le Rassemblement a eu gain de cause ou presque. Il reste que la mise en œuvre de cet accord risque de réduire la marge de manœuvre du Rassemblement car il aura 8 mois pour gouverner et organiser des élections au plus tard le 31 décembre 2017. La crédibilité des opposants est en jeu. Ensuite, il reste Tshisekedi. L’acte qui va le nommer sera signé par le président Kabila. Comment pourra-t-il concilier cet acte avec sa conscience ? Lui qui conteste la légitimité de Kabila, même dans son appel à la nation du 19 décembre 2016. Ne risque t-il pas, une fois de plus, de biffer des mentions inutiles dans l’acte qui le désignera? On n’est pas sorti de l’auberge. Autre chose, quelle sera la perception des autres membre de l’opposition de voir Tshisekedi à la tête du CNS de l’accord et son fils dans le gouvernement? Ca se gère comment en termes d’images?