Kinshasa : faut-il durcir le confinement ?

Pour les médecins, le confinement est totalement justifié. C’est même le seul moyen qui soit efficace à ce jour pour se protéger contre le Covid-19. Mais en face, il y a la précarité économique (alimentaire) de la majorité des ménages dans la capitale. À l’exécutif urbain de chercher donc la quadrature du cercle.

UN MOIS après que la pandémie a été officiellement déclarée en République démocratique du Congo, le 10 mars, 20 personnes sont mortes. Selon le Comité multisectoriel de la riposte à la pandémie du Covid-19 (CMR Covid-19), à la date du 10 avril, le cumul est de 223 cas confirmés, 16 personnes ont été guéries, 104 cas suspects sont en cours d’investigation, 8 nouveaux cas ont été confirmés à Kinshasa, 139 patients en bonne évolution, 39 personnes malades en hospitalisation, 127 tests réalisés. Les provinces touchées sont Kinshasa (211 cas), le Nord-Kivu (5 cas), le Sud-Kivu (4 cas), Ituri (2 cas), le Kwilu (1 cas).

La commune de Gombe entre dans sa seconde semaine de confinement, ce lundi 13 avril. Depuis lundi 6 avril, le laisser-passer dérogatoire de déplacement est requis pendant au moins deux semaines pour entrer dans le centre-ville, où sont concentrées les administrations et les affaires dans la capitale congolaise. Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, avait convoqué le lundi 6 avril, premier jour de confinement, peu avant la soirée une séance de travail pour faire l’évaluation. 

Autour de lui, Gentiny Ngobila Mbaka, le gouverneur de la ville de Kinshasa ; David Jolino Diwanpovesa Makelele ma-muzingi, le ministre d’État, ministre de la Communication et des Médias ; Eteni Longondo, le ministre de la Santé ; Jacqueline Penge Sanganyoi, la ministre près le 1ER Ministre ; Didier Lutundula Okito, le vice-ministre à l’Économie nationale ; Innocent Bokele Walaka, le vice-ministre à l’Intérieur ; le conseiller spécial du chef de l’État en matière de Santé ; Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo ; Sylvano Kasongo, le commissaire provincial de la police de Kinshasa ; Kimono Bononge, l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises du Congo ; Jean Jacques Muyembe Tamfum, le coordonnateur du secrétariat national de riposte au coronavirus… Et depuis, le 1ER Ministre suit religieusement l’évolution de la situation de confinement.

Erreurs fatales

Pourtant, l’inquiétude se poursuit. Dans certains milieux de Kinshasa, on s’interroge déjà sur les effets du confinement de Gombe, mais surtout sur l’après-confinement. Est-ce que le confinement de cette commune considérée comme l’épicentre de la pandémie en RDC va-t-il être prolongé, et même au-delà de Gombe ? Est-ce que le centre des affaires de Kinshasa aura-t-il été totalement désinfecté ? Est-ce que la manière de gérer la crise par les autorités est-elle efficace face à la progression de la pandémie ?

Médecin, ancien gouverneur de province, Richard Dambu relève 4 erreurs qui risquent de coûter cher à la RDC. « Jusqu’à ce jour, la réponse congolaise à la pandémie du Covid-19 boitille. La cacophonie autour de la communication, le confinement total avorté de Kinshasa, etc. sont autant d’exemples qui illustrent une triste réalité potentiellement fatale. Il faut reconnaître nos erreurs et agir pour limiter les dégâts », souligne-t-il.

D’après lui, il faut éviter au maximum « les tergiversations, notamment quatre erreurs plus grandes ». Première erreur, Richard Dambu déplore l’absence de quarantaine systématique et obligatoire : « Au début du mois de février, face à la progression du Covid-19 dans le monde, le 1ER Ministre avait réuni ministres et experts en santé publique pour prendre des mesures nécessaires. Parmi ces mesures, il y avait notamment la mise en quarantaine systématique de tout voyageur présentant des signes de la maladie. Or, mettre en quarantaine uniquement les voyageurs suspects était une impudence à mon avis. »

Une imprudence à ses yeux pour deux raisons : « l’incubation, temps qui s’écoule entre la contamination et la manifestation des signes, est en moyenne de 14 jours. Et donc des personnes contaminées circuleront donc librement. Conséquence : certaines personnes infectées et ne présentant aucun symptôme peuvent transmettre le coronavirus. On devait plutôt miser sur la mise en quarantaine systématique et obligatoire de toute personne venant d’une zone touchée. »

Deuxième erreur, une communication « boiteuse » : « Depuis que le Covid-19 a touché la RDC, la communication autour de la riposte est jusque-là caractérisée par une cacophonie terrible. D’abord l’entrée en matière ratée du ministre de la Santé lors de l’annonce du premier cas. Mais aussi la confusion autour de cas suspectés à Lubumbashi qui a donné lieu à deux jours de confinement, etc. » Et d’ajouter : « Les maladresses qui s’accumulent jour après jour dans ce domaine donnent du grain à moudre aux plus sceptiques. Cette communication boiteuse renforce les spéculations et alimente les théories du complot. Surtout, elle freine tous les efforts fournis, notamment l’effort visant à faire adhérer la population aux mesures de protection déjà prises. »

Troisième erreur, le report du confinement total multiplie les risques : « Gentiny Ngobila a eu une idée de génie en décidant de placer la capitale dans un confinement total et intermittent. Mais son gouvernement a décidé de faire marche arrière 48 heures après. » Et de poursuivre : « Le mal est fait. La confiance envers les autorités est de plus en plus écornée. Les spéculations vont bon train. Mais ce ne sont pas les seules conséquences de ce confinement avorté. La veille de son entrée en vigueur, le vendredi 27 mars, les Kinois ont pris d’assaut les marchés pour leurs provisions. Cet engouement a réduit l’observation des gestes barrières et a donc augmenté le risque d’exposition au coronavirus. Il faut noter aussi qu’en plus du manque de mesures d’accompagnement socioéconomiques, le format de cette mesure, à savoir 4 jours de confinement suivi de 2 jours de ravitaillement, n’avait aucun soubassement scientifique car la recommandation de l’OMS est de 14 jours de confinement. »

Et quatrième erreur, le manque de leadership responsable : « Malgré les deux messages à la nation de Félix Antoine Tshisekedi, le président de la République, et la prise en main de la riposte par le célèbre virologue Jean Jacques Muyembe, on a l’impression que c’est le vide qui persiste comme l’a si bien dit le cardinal Fridolin Ambongo. Le bateau manque visiblement de gouvernail. Que de signaux négatifs, jusqu’au point de s’interroger si nous ne sommes pas déjà dans un système de chacun pour soi, Dieu pour tous. »

Bref, Richard Dambu pense qu’il faut un « leadership responsable » à tous les niveaux : « Si chaque décision pouvait être précédée d’une réflexion approfondie, un bon leadership aurait pu nous éviter les tâtonnements observés jusque-là. Avant que la situation n’empire et qu’il ne soit trop tard, nous devons apprendre de nos erreurs et essayer de les réparer. Cela permettra de nous ranger sur le droit chemin pour vaincre ensemble la pandémie du Covid-19. »

Prendre des précautions

Comme quoi, il ne faut surtout pas oublier de prendre quelques précautions, notamment rester confiné, conseille un autre médecin qui a requis l’anonymat. Le taux de mortalité due au Covid-19 grimpe à Kinshasa. D’après lui, cela s’explique par la non prise en charge des malades, abandonnés à eux-mêmes, car le personnel soignant ne s’occupe pas de malades par peur d’être contaminé et faute de formation requise comme dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola. « Le constat est qu’on ne soigne pas les malades de Covid-19 dans certains hôpitaux », souligne-t-il.

À cela s’ajoute le manque d’équipements de protection, de médicaments dans les hôpitaux sélectionnés pour accueillir les malades de Covid-19 et de motivation du personnel soignant, mais aussi l’impréparation. Ce médecin déplore également le fait que le nombre de respirateurs artificiels est très insignifiant pour les malades qui viennent à l’hôpital pendant que le virus a déjà attaqué les poumons. « En outre, le suivi des personnes contacts n’est pas rigoureux, et c’est la plus grande crainte, car des cas positifs qui n’ont pas encore de symptômes demeurent contagieux et peuvent donc répandre inconsciemment la maladie », souligne-t-il. D’autres médecins sont à peu près d’accord qu’il faut améliorer et intensifier la communication et la sensibilisation auprès de la population car la maladie est réelle.