La Banque centrale face au défi de redonner au franc ses lettres de noblesse

Les textes juridiques ne suffisent pas pour faire de l’Institut d’émission un organisme véritablement indépendant. Il lui faut de nouveaux modes de gestion pour garantir la stabilité monétaire et financière du pays.

Le dernier rapport de la Banque mondiale sur la situation économique et financière du Congo suscite encore des commentaires. Parmi les faits qui fragilisent l’économie nationale, le rapport épingle la forte dollarisation : 86% des dépôts et 91% des crédits. Cette tendance laisse peu de marges de manœuvre à la Banque centrale du Congo pour la mise en œuvre d’une politique monétaire efficace. Du coup, son indépendance est en question : a-t-elle les coudées franches pour stabiliser durablement la monnaie nationale et, de ce fait, dédollariser l’économie ?

Depuis décembre 2009, le marché de change connaît une stabilité relative. La parité du dollar, la principale monnaie et de règlement, depuis le phénomène de dollarisation de l’économie entamé dans les années 1980, fluctue entre 920 et 930 francs. Cette situation a un effet sur l’inflation qui reste en dessous de l’objectif de moyen terme de 3,7% malgré une légère accélération en 2014. Le taux d’inflation était de 46% en 2009. L’indice des prix des produits alimentaires est resté en ligne avec l’indice général, avec une augmentation de 1,5% en moyenne, soulignant le fait que la société, dans son ensemble, a bénéficié de la réduction de l’inflation initiée en 2010, y compris les plus pauvres pour lesquels les denrées alimentaires représentent l’essentiel des dépenses de consommation, souligne le rapport 2015 de la Banque mondiale sur la situation économique et financière du pays.

La stratégie d’adjudication

En 2009, la BCC avait réussi son pari de faire fléchir le billet vert et de redonner à la monnaie nationale ses lettres de noblesse. Les spécialistes avaient pensé, à l’époque, que le matelas de devises de 200 millions de dollars du Fonds monétaire international (FMI) au titre de facilités aux chocs exogènes, y a été pour quelque chose. Par chocs exogènes, il faut entendre la dégradation de la balance des paiements due à l’effondrement du terme de l’échange concomitamment à la chute des cours des produits miniers à partir de la mi-octobre 2009. La stratégie de change a consisté à faire appel à l’adjudication de devises, uniquement aux banques commerciales, pour créer la concurrence et la transparence du marché, de telle façon que le taux de change moyen obtenu, reflète, comme à la Bourse, la tension qui existe entre l’offre et la demande de devises. Par ce mécanisme, la BCC a injecté des millions de dollars vendus aux intervenants, à la seule et unique condition que le règlement de la transaction s’effectue en cash pour éponger l’excédent de francs congolais en circulation. Face aux difficultés de certaines banques de réunir le montant de la transaction, la BCC a accepté que la contre-valeur soit libérée aussi bien en scriptural qu’en numéraire.

Depuis lors, la Banque mère poursuit ses interventions visant la stabilisation de « Mwana Mpwo ». Mais, gare à l’excès d’optimisme car il y a une inconnue : la variable budgétaire. Tout dépendra de l’ajustement budgétaire pour booster les effets induits de la politique de change. Au-delà de paniques récurrentes auxquelles l’autorité monétaire nous a habitués depuis plus de trois décennies, il y a lieu de se demander si le franc est stabilisable à long terme, de manière à en faire la monnaie de référence pour l’économie nationale. Le Congo a de nombreux atouts matériels et humains pour émerger et sortir du cercle vicieux du sous-développement. L’économie congolaise peut générer des rentrées de devises confortables et de façon durable. Après un siècle de présence bancaire, avec la Banque commerciale du Congo (BCDC), le Congo a formé des banquiers dont certains ont marqué leur époque : Dokolo Ndanu (Banque de Kinshasa), Isungu (BZCE), Tshiyombo (UZB) et Kazadi Membu (SOFIDE). Ces banquiers exceptionnels avaient su maîtriser les arcanes leur profession.

L’emprise du pouvoir politique

La monnaie nationale, qu’elle s’appelle zaïre ou Mwana Mpwo, n’a connu de stabilité durable qu’entre 1967, année de la première réforme monétaire (le 24 juin) sous Mobutu, et 1976, celle de son décrochage de la zone dollar pour être rattachée aux droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI. Depuis, elle s’est lézardée dans un mouvement de stop and go, allant de dépréciation en dépréciation malgré la présence de banquiers chevronnés à la tête de l’autorité monétaire et celle permanente, du FMI à son chevet, apportant assistance technique et crédits financiers.

L’emprise du pouvoir politique semble être la source des malheurs de la monnaie nationale. Deux facteurs structurels mineraient la santé du franc depuis plus de trois décennies : l’appareil qui le gère et les tenants de l’imperium… Le recours à la planche à billets était devenu la norme. Suite aux affaires Khanafer et Mwamba Nozy (émission de la vraie fausse monnaie), le gouvernement a dû renégocier, en 1995, avec la Banque centrale la consolidation de la dette due par l’État. La période de transition démocratique a malheureusement confirmé l’amer constat de Ndiang Kabul selon lequel chaque Premier ministre venait avec son gouverneur : Nguz Karl-i- Bond avec Nyembo Shabani ; Birindwa avec Buhendwa Bwa Mushaba ; Kengo avec Djamboleka ; Étienne Tshisekedi avec Mawakani qu’il n’a pas pu placer sur orbite, et, enfin, Laurent-Désiré Kabila avec Jean-Claude Masangu.

Au-delà de la nécessité de contrôler cette institution stratégique, les chefs de gouvernement cherchaient avidement une personne qui puisse leur faciliter la tâche d’actionner la planche à billets sans hésitation. Ce qui démontrait à la fois leur peu de foi pour mobiliser le maximum de recettes publiques afin de cesser d’être tributaire des ressources de financement monétaire qui sont fictives car créées sans contrepartie en biens et services. D’où l’inflation qui en a résulté. Travaillant dans un tel environnement de pression, de stress et d’insécurité pour leur mandat, les gestionnaires de la BCC ne peuvent pas faire convenablement leur travail. Comme partout, ils font face à l’homo politicus, qui est généralement peu soucieux de l’équilibre budgétaire.

Affaire d’autonomie

C’est pour éviter le choc frontal qu’on exige que la Banque centrale jouisse d’une réelle autonomie. Mais, même dans un régime de séparation entre la politique monétaire et la politique budgétaire, les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le penser. On connaît le cas du conflit qui a opposé le chancelier Helmut Kohl au président de la Banque centrale allemande, lors de la réunification du pays en 1991. Les experts avaient fixé un taux de change d’un mark de l’Ouest contre deux marks de l’Est. Mais Kohl, qui voulait entrer dans l’histoire comme le chancelier de la réunification, passa outre et prit la décision politique d’une parité égale. L’Allemagne souffre encore aujourd’hui des retombées de cette démarche. En revanche, Ronald Reagan (États-Unis) avait suivi les conseils des experts qui l’avaient dissuadé, en 1981, de chasser de la FED, la Banque centrale américaine, son président Paul Volcker parce que démocrate ou proche des démocrates. Grâce à « Monsieur Dollar », Reagan relança l’économie américaine et obtint un succès tel que cette période de croissance fut la plus longue de toute l’histoire américaine en temps de paix.

Discipline budgétaire

La stabilité du zaïre-monnaie était due à la discipline budgétaire. De l’histoire monétaire de notre pays, on peut aussi tirer des enseignements riches aussi bien pour l’autorité monétaire que pour le gouvernement. Ce n’est pas par pur hasard que les années du miracle économique congolais (1965-1972) coïncident avec celles de la plus longue stabilité de la monnaie nationale depuis l’indépendance. Le gouverneur de la BCC de cette époque s’appelait Albert Ndele. Avec Mobutu, Bomboko et Nendaka,il faisait partie du célèbre Groupe de Binza. Traitant ainsi d’égal à égal avec Mobutu devenu chef de l’État, Ndele pouvait freiner facilement sa boulimie budgétaire pour épargner le franc. Deux autres exemples peuvent illustrer l’impact du financement monétaire sur la santé de la monnaie. Il s’agit de l’espace monétaire kasaïen et les années Matungulu. Ayant rejeté « la monnaie de la mort » de Birindwa, le Nouveau zaïre, les populations du Kasaï n’utilisaient pour leurs transactions que les anciens zaïres démonétisés dans le reste du pays depuis la réforme monétaire de 1993 instituant le Nouveau zaïre. En 2001-2002, le franc a connu une grande stabilité due à la rigueur budgétaire du ministre des Finances Freddy Matungulu Muyamu. Ces trois cas démontrent à suffisance que l’émission monétaire due au financement monétaire est la cause principale de l’empoisonnement du franc depuis plus de trois décennies.