La capitale à l’heure des supermarchés

Kinshasa représente un marché d’environ 10 millions de consommateurs. Paradoxe : malgré le faible pouvoir d’achat de la majorité des Kinois, les grandes surfaces, elles, ouvrent leurs portes partout à travers la ville.

Une enseigne aux couleurs vives qui tranche avec le décor local. Sans aucune publicité, Peloustore est le premier supermarché à avoir pignon sur rue dans la capitale de la République démocratique du Congo. Bien sûr qu’on connaissait bien avant Sedec, Tembe na Tembe, Métro… dans les années 1970 et 1980. Succès immédiat pour Peloustore qui comptait par centaines ses clients les premières années. Dans les années 1990, Peloustore était le plus important supermarché, ne disposant pas d’une chaîne dans la ville. À l’époque, les « alimentations » comme on les appelle encore à Kinshasa, ne représentaient que 10 % à 25 % du commerce de détail. Il n’y avait pas de concurrence pour imposer la vérité des prix…

Depuis quelques années, les grandes et les petites « alimentations » se multiplient dans et en dehors du centre-ville et se font une guerre d’enseignes, voire commerciale. Elles cherchent avant tout des emplacements premium et de la proximité. « Si les nouveaux supermarchés sont réellement aux normes internationales, s’ils sont bien approvisionnés, ce sera un vrai changement », pense Albert Lepa Madule, consultant international dans ce domaine. D’après lui, le potentiel du marché kinois attise les convoitises. Les initiatives se multiplient. Il ne reste plus que l’arrivée d’enseignes internationales, tel l’américain Walmart (numéro un mondial de la distribution), l’allemand Metro, le français Carrefour… « Ils viennent, jaugent les possibilités d’implantation et repartent au vu des difficultés à résoudre », croit savoir Albert Lepa. « Il y a beaucoup d’intox au pays. », commente-t-il.

Sinon, explique-t-il à Business et Finances, des grandes enseignes veulent sortir le grand jeu en implantant des hypermarchés dans le pays, c’est-à-dire plus de 2 500 m². Bien plus : 20 000 à 25 000 m² références. Entourés de plusieurs boutiques de grandes marques, ces hypermarchés se veulent être des grands centres commerciaux du pays. Le défi est important, pense cet expert international.

Si les clients, pour la plupart des cadres moyens et supérieurs d’entreprise, sont satisfaits, ce n’est pas pour autant du goût de tous. Certaines petites épiceries privées et des vendeuses de marché en souffrent déjà. Depuis une dizaine d’années, la fréquentation des supermarchés a rapidement augmenté, selon des chiffres compilés par le centre d’études Alternatives et par des associations de consommateurs. La part de marché des rayons non-alimentaires (électroménagers, high-tech, jouets ou textiles…) dans les ventes des supermarchés a lourdement chuté. Leur poids dans le chiffre d’affaires moyen d’un supermarché a ainsi chuté de 6 points en dix ans, passant de 26,4 % à 19,9 %, tandis que les rayons hygiène, parfumerie et beauté, quant à eux, sont restés stables (10,3 % en 2000 contre 10,4 % en 2016). « Le repli du non-alimentaire est dû à l’essor des distributeurs spécialisés », explique Marcel Betu Kumesu, président du centre d’études Alternatives. « Il y a dix ou quinze ans, le supermarché était la destination la plus spontanée pour aller acheter une cafetière ou des jouets, mais tous les rayons des distributeurs généralistes sont maintenant concurrencés. »

L’essor des enseignes de bricolage, de jouets, ou encore d’électronique grand public, désormais bien implantées dans le centre-ville, sur l’avenue du commerce comme dans les zones commerciales en périphérie du boulevard du 30 Juin, détourne progressivement les consommateurs de ces rayons en grande surface. « L’offre est plus large et diversifiée dans ces enseignes et les clients y recherchent les conseils de vendeurs spécialisés », selon Marcel Betu.

La « zone marché » stratégique

Cette tendance profite très nettement aux rayons alimentaires qui, eux, ont tous grignoté des parts de marché. Le frais traditionnel grappille ainsi 1 point (16,2 % contre 17,2 %), les liquides passent de 11 % à 12,6 %, l’épicerie de 16,6 % à 18,2 % et le frais en libre-service grimpe de plus de 2 points (19,5 % contre 21,6 %). Le frais traditionnel est particulièrement important pour les supermarchés. Ce segment est « vecteur d’image pour les enseignes (notamment les fruits et légumes), il est également source de dynamisme pour les supermarchés », souligne Florentin Kanu, chercheur au centre Alternatives. « Les zones marché répondent à la concurrence des marchés et magasins spécialistes de la catégorie. »

C’est pourquoi, depuis quelques années, les distributeurs soignent leurs rayons produits frais. « Les surfaces dédiées en magasin sont élargies et réorganisées, par exemple avec le développement du bio ou des produits du terroir. Ces univers prennent peu à peu la place lâchée par le non-alimentaire », observe Marcel Betu. Alors que le commerce de porte à porte gagne peu à peu du terrain, les supers doivent accentuer leur visibilité à travers la publicité à la télévision, voire à la radio, insiste le spécialiste. « Ce secteur souffre encore d’un sous-investissement en communication. Les grandes surfaces y consacrent seulement entre 2 et 5 % de leur budget global.

« En famille ou seul »

L’étude du secteur réalisée par le centre Alternatives fait aussi ressortir que les expatriés, notamment les Blancs, fréquentent les supers que les nationaux, en raison de leur meilleur niveau de vie et de culture de la consommation. Ils sont talonnés par les gens de la bourgeoisie : familles nanties, cadres politiques et d’entreprise ; mais aussi par les citoyens de classes moyennes. Et pourquoi pas par le citoyen lambda. En effet, depuis 2010, les supermarchés et les restaurants modernes ne sont plus l’apanage de seuls « riches ». En famille ou en bonne compagnie, le Congolais lambda, adolescent ou adulte, est sans complexe. Un détour suffit dans les supers et restaurants pour voir l’air que les Kinois affichent !

La hausse de la fréquentation des supers s’explique essentiellement par la qualité et la variété des produits à la vente. Contrairement aux marchés kinois des produits alimentaires, par exemple, les supers font un point d’orgue sur l’hygiène et les conditions de conservation sont souvent respectées.

Quoi de plus normal que les supers sortent de la tour d’ivoire du centre-ville dans laquelle ils s’étaient enfermés pour essaimer partout dans la capitale à la recherche de la nouvelle clientèle. « Faire ses achats dans le supermarché n’est plus un luxe à Kinshasa, c’est même aujourd’hui un motif de fierté personnelle parce qu’il est à la portée de toutes les bourses », souligne le sociologue Florentin Kanu.

Le classement ou le top 10

D’après lui, il y a un lien qualité-prix dans les habitudes de fréquentation des supers par les Kinois. D’où le classement ou le top ten (10) des supers les plus fréquentés de Kinshasa. Le supermarché Hasson et Frères, sur l’avenue Isiro (derrière la SOZACOM) et son pendant Plazza Village (16è Rue Limete), occupent la première place dans le classement. Ils forment le plus grand complexe commercial de Kinshasa et sûrement de la RDC, malgré la venue d’un géant de l’alimentation sud-africaine, Shoprite dans l’enceinte de ce qui fut GB. Hasson et Frères  et Plazza Village offrent plusieurs possibilités parmi lesquelles des restaurants, la garderie, des boutiques… et pratiquent des prix du marché. Shoprite est citée en deuxième position. Situé sur l’avenue de l’OUA (UA) à Kintambo, ce méga supermarché sud-africain propose des produits venant exclusivement d’Afrique du Sud. Le plus de ce supermarché, c’est son parking aisé et très sécurisé pour du shopping en famille. Au n°3, Kin Mart, sur le boulevard du 30 Juin. Un beau supermarché très grand, proposant des produits orientaux et locaux. Sa boulangerie est très appréciée par les amateurs de pain au lait et brioche. Kin Mart étend ses tentacules dans la ville (Limete, Bandal…). Au n°4, GG Mart. Situé sur l’avenue Tabu Ley, ex-Tombalbaye, dans l’immeuble ex-Kin Mazière, ancienne propriété de la famille présidentielle (Mobutu) rachetée par des hommes d’affaires indiens. Le supermarché est doublé d’une galerie marchande sur plusieurs étages avec parking sécurisé. GG Mart s’étend aussi dans la capitale (Lemba…). Au n°5, Peloustore sur le boulevard du 30 Juin. On ne présente plus  cette enseigne, leader dans les années 1990. Ayant choisi le haut de gamme de Kinshasa, Peloustore perd du terrain à cause de ses prix légèrement au-dessus de la moyenne. Mais la qualité et la fraîcheur sont une tradition. Au n°6, City Market, avenue de l’Équateur. C’est l’un des grands supermarchés de Kinshasa très fréquenté par les expatriés. Il abrite un grand fast-food. Ses gâteaux d’anniversaire sont très prisés. Au n°7, Kin Marché, avenue de la presse et sur l’avenue Mpolo. Supermarché dont la devise est « au prix du marché », il propose des produits alimentaires de consommation courante, des produits de nettoyage, cosmétiques, vivres frais… Au n°8, Regal. C’est une chaîne d’alimentations présentes dans plusieurs communes de Kinshasa (Gombe, Barumbu, Limete…). Au n°9, Food Market (Kintambo, Lemba, Ngaba, Masina. C’est une chaîne d’alimentations moderne. Au n°10, Kin Food. La plupart des supermarchés de Kinshasa proposent de tout. Quelques-uns seulement sont spécialisés. Comme Kin Food, qui propose des produits surgelés au prix de gros aux restaurateurs et aux familles.

Pour le centre d’études Alternatives, « les bons prix se diffusent mais leur réussite demeure conditionnée à la mise en place d’une politique d’attrape clients. Si le prix est révélateur du taux de fréquentation, il n’en est pour autant pas l’unique levier. L’accessibilité, l’animation, la sécurité… sont pour le centre Alternatives autant de facteurs d’attirance des clients. Le centre a donc établi un classement des supermarchés ayant l’attrait le plus dynamique. Le centre d’études Alternatives est un groupe de chercheurs pluridisciplinaire qui mènent des enquêtes sur la société. Son classement a été effectué sur un échantillon de 1000 personnes. Pour ces supers, il apparaît qu’au moins trois des cinq critères suivants sont toujours respectés: l’accessibilité ; le bon partage de l’espace entre rayons alimentaires, rayons non-alimentaire, rayons hygiène-parfumerie-beauté et rayons vêtements ; l’organisation d’événements (fêtes d’anniversaire et autres) ; espaces restaurant et jeux ; la proximité avec le lieu du travail et la maison…

Les Indiens règnent en maîtres

Dans le secteur, beaucoup d’initiatives sont l’œuvre des Indiens et des Libanais et se concentrent surtout sur l’alimentaire. Ils attisent la critique : les supermarchés seraient mal approvisionnés, trop cher, dotés de parking notoirement insuffisant… Pour nombre de spécialistes, il reste de multiples obstacles à lever. Toute une filière à mettre en place depuis le personnel à former aux entrepôts à construire, en passant par les équipements de froid ou les fournisseurs locaux à trouver. « Il y a peu de productions locales, surtout dans le non-alimentaire », regrette Albert Lepa. Mais le plus dur sera de s’attaquer au commerce informel, qui s’arrogerait 80 % du marché de détail dans le pays. Reste à identifier clairement les attentes des consommateurs. S’ils acceptent de soutenir la production nationale, ils tiennent aussi à trouver les mêmes produits (jus de fruits, produits frais ou surgelés, yaourts, huile, riz, farine ou sucre…) qu’en Europe, par exemple.