Les discussions sur l’assurance chômage (en France) ont débuté mercredi 13 décembre au ministère du Travail. L’une des promesses d’Emmanuel Macron est de mieux contrôler les chômeurs. Dans ce domaine, le Danemark est souvent cité comme modèle. Avec ses 4 % de chômage, ce pays fait rêver. Pourtant, sur place, la réalité est tout autre pour les demandeurs d’emploi. Certes, ils ne sont que 120 000 dans le pays sur une population de 5,7 millions d’habitants. Mais derrière ces chiffres, l’envers du décor n’est pas si rose, comme a pu le constater franceinfo.
La face cachée du plein emploi au Danemark se découvre par exemple dans une banlieue de Copenhague, à l’intérieur d’un centre de conférences peu clinquant où se retrouvent parfois des chômeurs en difficulté. Réunis au sein de l’association Powerjobsøgerne, tous portent le même polo vert. Ils se serrent les coudes, organisent eux-mêmes des conférences avec des coachs venus prêcher la bonne parole pour les aider à retrouver confiance. Ils tentent de ne pas s’isoler et de ne pas désespérer.
Postuler 2 fois par semaine quelle que soit l’offre
Car être chômeur au Danemark est un parcours du combattant. Il faut envoyer deux lettres de candidature par semaine, se rendre chaque mois à son agence pour l’emploi, être toujours disponible et éviter de partir en vacances. Il est en effet interdit de s’absenter sans autorisation préalable de son agence pour l’emploi. Pour l’exemple, quelques rares chômeurs ont été arrêtés à l’aéroport de Copenhague, au motif qu’ils partaient en vacances sans avoir prévenu.
Des contraintes acceptées mais souvent mal vécues par les chômeurs, surtout au-delà de 55 ans. « Les jeunes managers ne veulent pas embaucher des cadres plus vieux qu’eux », confie Pier, un ancien cadre de 57 ans au chômage depuis plusieurs mois. À ses côtés, Pascale, une Française qui vit au Danemark depuis plusieurs années, avoue se sentir infantilisée par les services de l’emploi.
« On est vraiment sous pression », regrette-t-elle. « Parfois, j’envoie mes deux candidatures par semaine et j’espère que les employeurs ne me répondront pas, ce serait mieux s’ils me disaient non », insiste-t-elle. Cette obligation de postuler deux fois par semaine ne lui convient pas car il n’y a pas toujours des offres d’emploi qui correspondent à son profil. Mais si elle n’envoie pas ses deux lettres, elle risque de perdre ses allocations.
Des allocations limitées à 2 ans
Tous les chômeurs ne soutiennent pas cette pression et c’est justement pour eux que Malene Gregaard Wilslys a créé cette association Powerjobsøgerne. Cette ancienne cadre, elle-même licenciée, estime que les règles sont trop strictes dans son pays. Si les chômeurs ne retrouvent pas un emploi au bout de deux ans, ils risquent nota d’être exclus du système. « Si jamais par malchance on dépasse cette période de deux ans, on perd son droit à l’assurance chômage », explique l’ancienne cadre. Elle estime que les chômeurs devraient être « davantage responsabilisés », au moins pendant leur première année sans emploi, car « ils pourraient chercher du travail plus sereinement, sans toutes ces contraintes ».
« Coller » à la réalité du marché du travail. Mais au sein du « job center », l’équivalent d’une agence Pôle Emploi du centre de Copenhague, près de la gare, un beau bâtiment digne du design danois, aux couleurs claires et aux volumes spacieux, Lise Bayer, la directrice, n’est pas de cet avis. Pour elle, depuis que la période de chômage autorisée est passée de 4 à 2 ans, les personnes sans emploi recherchent plus activement du travail.
Les conseillers du « job center » vérifient que leurs recherches vont dans la bonne direction. Pas question de perdre son temps à trouver une offre qui correspond parfaitement à votre profil. « Vous ne pouvez pas chercher un travail comme un astronaute, de loin », détaille-t-elle, « vous devez coller à la réalité du marché du travail et nous avons un système pour cela ».
Chercher en priorité dans « sa zone » géographique
En effet, le conseiller regarde sur son ordinateur où le chômeur a postulé et si ça clignote en vert, c’est bon signe, cela veut dire qu’il cherche dans une zone où il y a des offres d’emplois. « Et si c’est rouge c’est qu’il n’y a rien, nous nous assurons que les gens cherchent bien dans les zones vertes », ajoute-t-elle. Ce système est pour elle « très efficace ». Mais pour Anabella, une assistante de direction aujourd’hui au chômage, ce système convient surtout aux métiers manuels, comme les restaurateurs ou les électriciens, en tension.
En parallèle, les chômeurs peuvent bénéficier d’une formation de six semaines pour un métier en tension mais les demandeurs d’emploi déjà qualifiés n’en profitent pas toujours. Selon Lise Bayer, les demandeurs d’emploi retrouvent un travail au bout de quelques mois, mais leur nouveau poste peut-être loin de chez eux, ils n’ont pas le droit d’être difficiles.
Des allocations plafonnées. Même si les partenaires sociaux continuent de vanter les mérites de la flexisécurité, un modèle de société, certaines critiques commencent à émerger. Au siège de LO, l’un des principaux syndicats de travailleurs, Mads Busk estime par exemple que les allocations chômage ne sont pas assez élevées. En principe, les chômeurs reçoivent 90 % de leur salaire pendant deux ans maximum. Ces allocations ne sont pas dégressives. Mais dans la réalité est un peu différente. « Les chômeurs reçoivent de moins en moins d’argent. En moyenne ils reçoivent 54 % de leur précédent salaire, ce n’est pas assez », s’insurge-t-il.
En effet, les allocations chômage sont plafonnées à 2 400 euros (2 500 dollars) par mois environ, peu importe le salaire précédent. Le message a été adressé au gouvernement. Si ces allocations n’augmentent pas, « la flexisécurité est en danger ». Côté patronat, le système d’assurance-chômage danois reste positif, car il est facile d’embaucher comme de licencier, mais le Danemark souffre d’un manque criant de main-d’œuvre.
Un modèle difficile à calquer. Les chefs d’entreprise souhaiteraient donc faire appel à des travailleurs étrangers, hors Union européenne. Mais dans ce pays où l’extrême-droite recueille 20 % des voix au Parlement, ça ne passe pas. Et même si le pays investit 2,5 % de son PIB pour la formation et l’aide aux chômeurs, les employeurs estiment que ce n’est pas assez. D’ailleurs, la présidente du syndicat LO, pas peu fière que la France prenne modèle sur son pays, confie sans hésiter : « J’espère que votre gouvernement ne va pas oublier le volet sécurité de notre système, il ne faut pas se contenter de la flexibilité ». Bref, ce modèle qui s’applique aujourd’hui à un pays assez fermé de moins de 6 millions d’habitants ne semble pas si facile à transposer.