« La gouvernance souveraine, surtout congolaise, a aggravé l’extraversion économique » Interview suite…

: Bob Tumba en libre penseur sur le développement de l’Afrique.

BEF : Vous posez-là le problème du modèle économique appliqué par chaque pays pour juger de la qualité de la richesse qu’il crée ou produit…    

B.T. : On parle d’économie extravertie et d’économie intégrée. Mais ça signifie quoi exactement… Sachez qu’une économie extravertie est celle qui a pour vocation principale l’extraction des matières premières, agricoles ou minières, qu’elle conditionne sommairement pour leur exportation vers les pays dotés d’industries de transformation. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la colonne vertébrale d’une économie est constituée par son industrie, entendez sa capacité à transformer un produit brut, généralement non consommable en l’état, et donc de peu de valeur, en une panoplie de produits finis destinés à la consommation de masse et aux usages multiples et quotidiens, donc prisés.

BEF : Et quand est-ce qu’on parle d’économie intégrée ?

B.T. : Dans une économie intégrée, tous les secteurs sont solidaires et happés dans une spirale ascendante de croissance inclusive. Cette spirale est alimentée par les effets multiplicateurs ou effets d’entraînement. Par contre, dans une économie extravertie, les secteurs économiques évoluent parallèlement et bénéficient rarement de la réciprocité des effets d’entraînement.

BEF : Est-ce que vous pouvez illustrer tout cela par des exemples ?

B.T. : Prenons le cas d’un pays qui exporte les lingots de cuivre et avec les recettes de retour il importe les tomates et autres biens alimentaires. En intelligence économique, on ne dira pas que ce pays exporte les lingots de cuivre mais bien la valeur ajoutée ou la capacité de son travail. En réalité, ce pays vend à autrui le travail qui aurait dû être fait chez lui. Cela veut dire que ce pays aurait dû maîtriser en interne la valorisation de ses ressources naturelles pour en faire un bien de consommation finale. Et donc en exportant les lingots de cuivre, il exporte la capacité de travail et la richesse. 

BEF : Vous voulez dire qu’une économie extravertie travaille au bénéfice de l’autre… 

B.T. : Je vous pose cette question : est-ce qu’une économie extravertie qui a pour vocation d’exporter la richesse, peut-elle devenir riche un jour ? Restons dans le cas du cuivre. Chaque année dans le monde, on produit environ 20 millions de tonnes de cuivre. La Chine produit chaque année 1,5 million de tonnes, la RDC 1,3 million et les États-Unis environ 1 million. Mais la Chine consomme chaque année presque la moitié de la production mondiale et les États-Unis qui sont déjà hyperdéveloppés, importent environ 1 million, en plus de sa production. Par contre, la RDC qui a produit 1,3 million de tonnes de cuivre, n’a rien transformé sur place, toute la production a été exportée.

Pour bien comprendre de façon sommaire la différence entre une économie extravertie et une économie intégrée, il suffit de regarder le graphique de la consommation de cuivre raffiné par zones géographiques en kilotonnes. En 2017, par exemple, la Chine a consommé 11 790 tonnes, les États-Unis 1 771, l’Allemagne 1 180, le Japon 998, la Corée du Sud 656, l’Italie 635, Taïwan 498, l’Inde 486, la Turquie 445 et divers autres pays 4 820, soit un total de 23 279.

BEF : À bien vous suivre, en exportant tout son cuivre, l’économie congolaise travaille au bénéfice des autres pays…

B.T. : Il y avait au Congo à une époque des sociétés locales qui transformaient une partie de la production du cuivre. Aujourd’hui, c’est de l’histoire oubliée. Il y avait notamment des métallurgies (sociétés de production de métaux, ferreux et non ferreux) ou fonderies, laminoirs et câbleries ayant existé avant la débâcle économique. 

Je peux citer : METALKAT (Métallurgie du Katanga), filiale de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) à Lubumbashi, FONDAF (Fonderies africaines), TREFILKIN (Tréfilerie métallique de Kinshasa), CAMEZA (Câbleries métalliques du Zaïre), SOGALKIN (Société de galvanisation de Kinshasa) à Kinshasa, etc.

« Alors que d’anciens pays colonisés d’Afrique et d’Asie font l’effort de domestiquer l’industrialisation et la chaîne de valeurs, le Congo, lui, continue à travailler au service de l’ancien maître, voire mieux que quand il était là… » 

Entre 1960 et aujourd’hui, même le petit secteur manufacturier qui transformait une partie des lingots de cuivre en produits finis consommables n’existe plus. Or une économie repose dans son statut sur l’industrie, la transformation, la manufacture. Une économie ne repose pas sur le commerce qui est symbolisé par l’échange de produits, mais sur la production ou la valeur ajoutée. 

BEF : Quel est le comportement du tissu économique de notre pays depuis que nous sommes indépendants ?

B.T. : En 1960, il y avait 6 500 unités manufacturières recensées par le ministère de l’Économie nationale et de l’Industrie. Vingt ans plus tard, il n’en restait plus que 1 800 unités. En 2010, il n’y avait plus que 110 industries au pays et neuf ans plus tard, il n’y avait plus que 95 unités manufacturières. 

BEF : Seulement !

B.T. : Une véritable descente aux Enfers du tissu industriel en RDC. Il s’agit là d’un effondrement drastique du tissu industriel congolais en 60 années d’indépendance.

BEF : Comme on peut le constater, l’économie congolaise est une illustration parfaite de désindustrialisation. Est-ce le fait de la colonisation ?

B.T. : À ce que je sache, la RDC n’est pas le seul pays au monde à être colonisé. D’autres pays en Afrique et en Asie ont été aussi colonisés. Mais quel est leur comportement ? Lorsque l’on compare la structure du commerce extérieur de l’Afrique et de l’Asie en matière d’exportation des matières premières brutes et raffinées, on constate qu’en 1960 l’Afrique et l’Asie exportait le même volume, à savoir 80 % des matières brutes, contre 20 % des produits transformés ou raffinés. En 2010, la situation économique s’est détériorée en Afrique qui a exporté 95 % des produits bruts non élaborés, contre seulement 5 % des produits finis. Pendant ce temps, l’Asie a réduit ses exportations du brut à 60 % et a augmenté l’exportation des produits élaborés à 40 %. Alors que d’anciens pays colonisés d’Asie font l’effort de domestiquer l’industrialisation et la chaîne de valeurs, le Congo, lui, continue à travailler au service de l’ancien maître, voire mieux que quand il était là. 

BEF : Et ce n’est pas pour faire injure que vous le dites…

B.T. : Je vous donne un exemple concret. Au Congo, le diamant est exporté depuis 1922, presque bientôt pendant 100 ans. Le Botswana, par ailleurs, a connu son premier diamant en 1976. Mais à la différence de la RDC, les dirigeants de ce pays ont posé une condition à la société sud-africaine De Beers pour l’exportation leur diamant : le partage égal de la production. 

Aujourd’hui, la De Beers qui est un des majors au monde dans le secteur du diamant, a non seulement déplacé ses activités à Gaborone mais elle a aussi créé le Diamond Trade Center ou le Botswana DTC. Aujourd’hui, c’est devenu le plus grand centre mondial du tri et de la valorisation des diamants. Qu’est-ce que nous avons au pays ? Rien, même pas une école de bijouterie en 100 ans d’exportation du diamant ! Anvers en Belgique qui est notre couloir naturel depuis l’indépendance, est devenu le centre d’échange et de commerce du diamant. Environ 84 % du négoce de diamant dans le monde passe par là.