Y a-t-il un avenir pour l’entrepreneuriat en RDC ? Interview.

Bob Tumba Matamba, auteur d’un intéressant ouvrage sur la renaissance économique de l’Afrique.

CES DERNIERS temps, on parle trop d’industrialisation et d’entrepreneuriat, surtout des jeunes et des femmes, en République démocratique du Congo. Apparemment, il y a en l’air une sorte de volonté politique de promouvoir l’entrepreneuriat et l’industrialisation. Apparemment ! Mais cette volonté gouvernementale est-elle vraiment bien réfléchie pour garantir une success story ?

En tout cas, même s’ils ne doutent pas de bonnes intentions du gouvernement, bon nombre d’analystes du développement sont sceptiques sur la vision politique. D’après eux, nous devrions prêter plus d’attention au problème de l’intégration du modèle économique aux activités locales. Surtout, nous devrions attacher plus d’importance aux contraintes (sociales, physiques, etc.) et aux incertitudes du développement, et en particulier aux différentes cultures qui font presque du développement une réalité différente d’une culture à l’autre ou d’un pays à l’autre.

Stratégie et tactique

Six décennies d’indépendance ne sont pas parvenues à engendrer le développement (améliorations) escompté, particulièrement dans le secteur économique. La RDC est de plus en plus pauvre. Cet échec est sans doute imputable à la stratégie plus qu’à la tactique de développement.

Bob Tumba Matamba appartient à cette catégorie des élites engagées pour la cause du développement de l’Afrique en général. Quand cet intellectuel parle, c’est pour dire quelque chose de structuré, non sans un brin d’humour dont il détient seul le secret. Et débattre avec lui, on en sort toujours avec des enseignements à tirer. 

Ceux qui l’ont suivi, le samedi 6 novembre 2021, à la première édition de la matinée de réflexion sur l’évolution de l’entrepreneuriat en RDC à l’hôtel Fleuve Congo de Kinshasa, ont pu certainement se rendre compte que quelque chose ne va pas avec l’hypothèse de la vieille stratégie d’industrialisation et d’entrepreneuriat héritée de la colonisation.

La question de l’avenir de l’entrepreneuriat dans notre pays était au centre de cette rencontre organisée à l’initiative d’Africa Worldwide Investment et Greenity Association. Dans le rôle du conférencier principal, Bob Tumba a fait un état des lieux de l’entrepreneuriat dans le pays sans le moindre état d’âme. Il a étalé tout son savoir d’aviseur pointu sur le développement de l’Afrique. 

Face à un parterre d’entrepreneurs, journalistes, experts, politiques, Bob Tumba a passé en revue les causes profondes de l’échec et examiné les conditions nécessaires à la création et au développement des entreprises à fort impact en RDC, qui compte parmi les pays les moins avancés du monde, dont la plupart se trouvent en Afrique subsaharienne. 

Changer de cap

« On ne peut garantir l’avenir de l’entrepreneuriat congolais qu’au travers du redressement de l’économie globale du pays », déclare Bob Tumba, après avoir disséqué et analysé l’économie nationale. « Et ce redressement passe par deux priorités majeures incontournables, la première d’ordre économique, et la seconde d’ordre sociétal », tranche-t-il dans le vif. 

Changer de paradigme ne sera pas un exercice aisé. Nous allons nous trouver en présence d’un mélange de modèles économiques. Mais l’accent doit être mis sur l’initiative locale qu’il s’agisse d’activités économiques ou du processus d’élaboration des décisions. Tout ceci représente un fort courant en faveur du développement endogène (self reliance).

En réalité, il sera extrêmement difficile de mettre en place cette stratégie (vision politique) fondée sur l’approche locale du développement. Le seul pays où quelque chose soit entrepris qui se rapproche d’une stratégie totalement locale est la Chine grâce au contrôle et à la discipline qui s’exercent à l’intérieur des frontières chinoises. D’autres pays en Asie et même autour de nous, comme le Botswana, font l’effort de self reliance et ça marche.

Y a-t-il un avenir pour l’entrepreneuriat en RDC ? La question a été posée directement à Bob Tumba qui dit toujours les choses comme elles doivent être dites. Pour lui, avant de pronostiquer sur l’avenir de l’entrepreneuriat congolais, il faut maîtriser les concepts préalables. Suivez plutôt cet entretien au coin du feu. 

L’entrepreneur, c’est la personne qui prend le risque d’entreprendre. Et entreprendre, c’est initier une série d’activités ciblant un résultat positif, lucratif ou à caractère social.

Business et finances : Pour commencer, quelle réflexion préliminaire faites-vous de l’entrepreneuriat ?

Bob Tumba : Je dirai que l’entrepreneuriat c’est l’environnement socio-professionnel des entrepreneurs. L’entrepreneur, c’est la personne qui prend le risque d’entreprendre. Et entreprendre, c’est initier une série d’activités ciblant un résultat positif, lucratif ou à caractère social. En économie, le résultat positif est synonyme de création de richesses. La richesse nationale destinée à améliorer le bien-être collectif est interprétée à travers des indicateurs macroéconomiques dont le plus important est le produit intérieur brut ou le PIB. Et pour ceux qui connaissent la comptabilité nationale, la richesse d’un pays (PIB), c’est la sommation des VA (valeurs ajoutées) sectorielles dans le pays. 

BEF : Quel est l’état des lieux de l’entrepreneuriat en RDC ?

B.T. : Le panorama économique congolais fait ressortir trois catégories d’entrepreneurs. Il y a des majors, presqu’exclusivement étrangers qui tiennent le haut du pavé. Il y a des juniors, étrangers et congolais, et la masse de petits entrepreneurs informels, majoritairement congolais. Ces derniers qui constituent 80 % de l’activité économique du pays, projettent l’image d’un dynamisme entrepreneurial réel sur le terrain. Il est important de souligner que le marché de l’emploi est à la déprime. Le taux de chômage moyen au Congo est de 80 %, et davantage pour les jeunes, à environ 90 %. L’entrepreneuriat congolais est un véhicule de survie, une débrouille pour pallier la défaillance du système étatique. Il ne dégage presque pas d’épargne, et sa résilience et sa flexibilité sont dues à son caractère informel.

BEF : Ça vous gêne que l’économie nationale soit entre les mains des étrangers ? 

B.BT. : Dans le secteur bancaire, par exemple, aucune des 16 banques commerciales installées au Congo n’est congolaise, ni ailleurs dans le monde. Mais l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Togo, le Cameroun et le Kenya qui ont su se restructurer, ont implanté des guichets de banque chez nous. Il faut les féliciter et les remercier parce qu’ils donnent du travail aux Congolais. Quand est-ce que, nous aussi, nous allons avoir des banques dans ces pays-là ? Comble de tout, nous avons vendu la plus vieille banque du pays aux Kenyans. N’y a-t-il pas de Congolais qui pussent la reprendre ?

BEF : Est-ce que dans un tel contexte, il peut en sortir quelque chose de bon ?

B.T. : Je me pose immédiatement la question que tout le monde peut se poser : cet entrepreneuriat de survie au quotidien, sans encadrement étatique est-il créateur de richesse ? Retenons qu’on juge l’action d’un homme ou d’une communauté par le résultat de ses efforts. Vu sous cet angle, il est important de maîtriser d’abord les concepts préalables avant de pronostiquer sur l’avenir de l’entrepreneuriat congolais. Il faut savoir qu’une richesse qui n’est pas destinée à la pérennité, n’en est pas une… 

BEF : C’est-à-dire… 

B.T. : Regardez comment nos mines grouillent de monde… les gens s’activent, suent sang et eau, débauchent de l’énergie mais pour quel résultat ? On juge l’action d’un homme par la qualité de son travail, c’est-à-dire par le prix qu’il obtient. Il en va sans dire des richesses nationales.

(Suite…..)