Doit-on réellement s’étonner des résultats de l’étude, publiée le 22 août, de l’UFC-Que choisir sur les marges incroyables pratiquées par les GMS (grandes et moyennes surfaces) sur le bio ? La réponse est non. Pensiez-vous que les GMS se soient engouffrées sur ce marché avec comme objectif le soutien à une agriculture plus durable, au monde paysan en pleine déliquescence, tout en s’engageant vers la démocratisation du manger mieux ?
Cette étude nous prouve une fois de plus que la grande distribution conforte l’idée que bien manger est réservé aux riches. Qu’elle persiste dans ce qui a fait son succès : faire la poche des pauvres en leur vendant des bombes caloriques pas chères, se faire celle des agriculteurs qu’elle exploite depuis toujours. La grande distribution a laissé le bio se développer jusqu’à pouvoir le tenir entre ses mains : elle commence à négocier les prix avec des agriculteurs qui pensaient que le rapport de force était en leur faveur sous prétexte que la grande distribution avait besoin d’eux. Ce n’est plus le cas. Faute d’une production suffisante, les agriculteurs français sont mis en concurrence avec leurs collègues d’Europe de l’Est, d’Espagne, d’Italie, de Chine. Le temps où ils fixaient leurs propres prix approche de la fin. Ils découvrent que pour les GMS, ce qui compte d’abord, ce sont les volumes et les marges.
La lame à deux tranchants
La grande distribution est puissante, elle observe, copie de belles initiatives et donne l’impression qu’elle a tout inventé : produits issus du commerce équitable, produits locaux, labellisés, le bio, le vrac… Nous apprendrons bientôt que les GMS sont les pionniers et plus fervents acteurs de l’anti-gaspi après avoir javellisé un nombre incommensurable de produits depuis des décennies et fait payer de fait à leurs fournisseurs le coût de la donation des invendus aux associations caritatives.
La grande distribution a démocratisé le bio en jouant sur la cible des jeunes parents, tant mieux. Maintenant elle veut le bio pour elle toute seule. Enfin, sa valeur ajoutée, qu’elle garde pour elle, comme elle l’a toujours fait avec les produits agricoles. Pourquoi changer une stratégie payante, celle de la lame à deux tranchants, qui saigne les producteurs et les consommateurs les moins bien lotis ? Qui poignarde l’aménagement du territoire faisant crever les centres-villes et saigner les entrées de ville ?
Nous restons persuadés que l’industrialisation de l’agriculture biologique est néfaste pour les consommateurs, pour les paysans, pour le bio tout simplement. Que le bio (comme l’agriculture de qualité, agronomique et sociale) est antinomique dans sa philosophie et ses principes à la logique purement prédatrice de la grande distribution.
Dans la mesure du possible, développons des alternatives, rapprochons-nous des producteurs soucieux de la terre et des humains, les agriculteurs qui travaillent avec les sols et les arbres, et engageons-nous dans des Amap, les épiceries bio indépendantes, ou toute autre forme de groupements d’achats, sans oublier les marchés de producteurs, ni les magasins de centre-ville à taille humaine. Achetons chez des fournisseurs dont le catalogue est exclusivement bio, ne faisons pas le jeu des grandes marques qui se rachètent une virginité en produisant une ou deux références bio parmi des centaines de produits saturés de conservateurs, d’additifs qui génèrent des dépenses de santé colossales. Ne soyons plus dépendants de la grande distribution, réapproprions-nous notre consommation.
Cette problématique n’est pas uniquement citoyenne, elle est aussi politique. Nous ne sommes pas des adeptes de la théorie du colibri : «chacun fait sa part» ne suffit pas, car à la fin de la légende, l’incendie court toujours… Les initiatives d’individus, d’associations, d’entreprises, d’agriculteurs et de communes sont légion, mais elles ne suffisent pas. C’est le rôle du politique d’en démultiplier l’effet, c’est son obligation de dire de quoi l’avenir sera fait en fixant des règles claires et donnant les moyens de les respecter.
Certes, au niveau national, ce n’est pas simple. Les états généraux de l’alimentation n’ont pas répondu aux attentes des acteurs de l’alimentation, la loi Egalim non plus. L’Etat a tout de même mis en place les plans d’alimentation territoriale (PAT) : en permettant aux collectivités de définir leur bassin d’alimentation, ces plans leur ont offert un levier politique pour conserver les sols et orienter les pratiques agricoles. Ce n’est pas suffisant, il faudrait que l’Etat et l’Europe soutiennent les agriculteurs agronomes, dont les bio, par les prix et des subventions adossées à l’entretien des paysages que cette agriculture assure. Il y a plein de possibilités.