La lecture en crise

Y a-t-il encore des lecteurs en République démocratique du Congo ? Un tour dans quelques bibliothèques kinoises montre bien que lire n’intéresse  plus grand monde. Les gens, tous âges confondus, n’ont plus de rêves. Enquête.

Une salle de lecture.
Une salle de lecture.

Il est midi, un lundi de septembre. Quatre heures après l’ouverture des portes de la Bibliothèque nationale du Congo (BNC), les vingt-quatre places assises de la salle de lecture sont désespérément vides : aucun lecteur en vue. Six heures plus tard, rien ne bouge dans le décor. Comme si c’était la chose la plus normale pour un jour ouvrable. L’attitude sereine, ou plutôt résignée, du personnel d’accueil, est étrange. Oui, en cette journée de septembre, bizarrement, les livres et autres publications ne seront pas tripotés par des mains indélicates. Les lecteurs ne viendront pas. Mais pourquoi ?  Renseignement pris, la situation n’a rien d’inhabituel. Les journées « zéro lecteur » sont très fréquentes dans ce qui est considéré comme le temple du savoir où dort la mémoire collective. Déroutant !

En 2014, les statistiques des registres de la Bibliothèque nationale où sont notés les taux de fréquentation des lecteurs sont édifiantes : il y a eu absence totale de lecteurs pendant 48 jours ouvrables, soit plus d’un mois et demi. C’est-à-dire  une moyenne d’environ un jour d’inactivité par semaine dans la salle de lecture. Il en est de même pour la fréquentation de la bibliothèque. Ils étaient 590 à avoir souscrit un abonnement mais, dans le registre de présences dans la salle de lecture, on trouve seulement les noms de 585 lecteurs effectifs : 494 étudiants et 91 chercheurs indépendants.

La fréquence moyenne des entrées est de deux personnes par jour. Le fait que l’accès à cet établissement ne soit pas gratuit pourrait-il expliquer ce faible taux ? Pourtant, les abonnements ne coûtent pas les yeux de la tête. Les étudiants paient 1 500 francs par trimestre, alors que les chercheurs déboursent 3 000 francs. Les étrangers, pour leur part, paient 9 000 francs.

Quand les centres culturels grouillent de monde 

Alors qu’à la Bibliothèque nationale les agents se tournent les pouces, les centres culturels étrangers, essentiellement des pays occidentaux, ne désemplissent pas. Au Centre culturel américain, par exemple, l’accès à la médiathèque est libre. Une fois dedans, les usagers ont accès, gratuitement, à tous les services, qui vont de la consultation d’ouvrages à la photocopie. La connexion Internet fait également partie de cette offre gratuite. L’espace réservé à la lecture est aménagé pour contenir environ 35 personnes. Ici, il faut venir de bonne heure pour trouver une place, tellement le lieu est équipé d’outils multimédias qui sont très prisés. Sur un mur trône un téléviseur plasma. Une dizaine d’ordinateurs sont rangés pour les recherches en ligne, tandis que des liseuses installées sur les tables de lecture complètent le décor.

Au Centre culturel américain les lecteurs ont le choix entre les livres imprimés et ceux en version numérique. Interrogé sur la fréquentation de la bibliothèque, le bibliothécaire explique que les hommes constituent 90% du lectorat, composé de jeunes et d’adultes qui viennent régulièrement. Quant aux documents les plus consultés, il cite les ouvrages sur les langues. À la question de savoir combien de personnes fréquentent la bibliothèque, le bibliothécaire botte en touche. Sa réponse est déroutante : « Il faut adresser un courrier électronique à la chargée de communication de l’ambassade des États-Unis. Elle est la seule habilitée à autoriser la divulgation de ce type d’informations ». Inutile de chercher à connaître le nombre d’ouvrages empruntés par les lecteurs, ni le fonds documentaire du Centre culturel américain en 2014.

À la médiathèque de l’Institut français de Kinshasa, l’engouement est le même. L’établissement est ouvert du mardi au samedi. L’accès n’est pas libre. Il faut payer des frais d’adhésion variant entre 10 et 15 dollars, selon que l’on est adulte, jeune, étudiant ou salarié. La salle de lecture a une capacité d’accueil de 86 personnes. L’année dernière, 10 227 lecteurs ont fréquenté cet espace, soit une moyenne journalière de 65 lecteurs, nous confie un employé. Au cours de la même année, 917 personnes (510 hommes et 209 femmes) ont souscrit un abonnement. Pour le reste, il s’est agi d’abonnements collectifs. La même source ajoute que 1 009 livres, en moyenne, ont été empruntés les adhérents en 2014.

Le Centre d’études pour l’action sociale (CEPAS) est un centre de documentation spécialisé dans les sciences sociales. Il a une capacité d’accueil de 74 places. En 2014, le CEPAS a accueilli 5 084 lecteurs, soit environ 24 lecteurs par jour, lit-on dans le rapport annuel des activités de sa bibliothèque. Ce rapport indique également un total de 618 abonnés. Pour la consultation des ouvrages, les usagers, majoritairement des étudiants, doivent choisir entre la consultation journalière (2 500 francs ) et l’abonnement annuel coûte 12 000 francs pour les étudiants et 18 000 francs pour les chercheurs. Le fonds documentaire est constitué de 30 000 titres. Selon le responsable de cette bibliothèque, Emery Ntumba, d’autres ouvrages acquis récemment sont en cours d’enregistrement.

Le Centre de documentation de l’enseignement supérieur, universitaire et de la recherche à Kinshasa (CEDESURK) est une association de droit congolais dont la vocation est d’informer, de former et de diffuser la documentation scientifique et technique. Avec un fonds documentaire de 15 000 volumes, cette bibliothèque accueille jusqu’à 120 lecteurs par jour. Selon la bibliothécaire principale, la moyenne de fréquentation au CEDESURK est 620 lecteurs par mois. Les ouvrages les plus consultés sont ceux relatifs au droit, à la médecine et à l’économie.

Une motivation pour des raisons scolaires 

L’époque où lire était un plaisir semble révolue. Aujourd’hui, de plus en plus, ceux qui fréquentent les bibliothèques le font essentiellement pour des raisons liées à leurs études.

C’est ce qu’a constaté Emery Ntumba. « Ils viennent d’abord pour consulter une documentation ayant trait aux matières qui leur sont enseignées, pour faire des travaux pratiques ou pour lire les journaux internationaux », explique-t-il. Doctorant en philosophie à l’Université catholique du Congo (UCC), Donat Kalala reconnaît que, par rapport à ses recherches, il est condamné à fréquenter la plupart du temps les bibliothèques. Ce qui le prédispose à la lecture. Pour Christelle Masengo, étudiante préparant la deuxième session d’examens, la bibliothèque lui sert d’espace pour la révision de ses cours.  Étudiante en modélisme, management et marketing de mode à l’Institut des arts et des métiers (ISAM) préfère lire à la bibliothèque parce que l’espace se prête à la concentration. Issa Lumbu, étudiant en géologie, fréquente la bibliothèque quatre fois par semaine. Pour lui, il n’y a pas meilleur endroit qu’une bibliothèque pour s’adonner à la lecture. Pour le plaisir ou par devoir ? Toute la question est là.