Mbuji-Mayi. Un carat de diamant qui se négociait à 500 dollars, se vend actuellement à 350 dollars. Le board black ou le diamant de qualité inférieure s’achète à 250 dollars contre 350 dollars, à fin décembre 2016. C’est la Minière de Bakwanga, qui la première en fait les frais. La Fédération des creuseurs d’or et du diamant (FECODI), la corporation des diamantaires dans la ville de Mbuji-Mayi, estime que la baisse des prix de diamants est la conséquence du départ de la région des grands acheteurs, notamment des Libanais et des Pakistanais, à la suite du climat d’insécurité dans la région due aux menées subversives des miliciens de Kamwina Nsapu.
La relance compromise
Quoique quelque 400 miliciens aient déposé les armes, fin mars 2017, l’insécurité demeure permanente au Kasaï au point que des investisseurs désireux de relancer la Minière de Bakwanga hésitent désormais à injecter leur argent. Le directeur général de la MIBA, Dieudonné Mbaya Tshakanyi, est pourtant rentré, début mars, de Kinshasa avec des assurances du 1ER Ministre, Samy Badibanga, notamment sur la certification avec l’appui des partenaires des gisements diamantifères et l’amélioration de la situation sociale du personnel. La MIBA accuse une dette sociale d’au moins 150 millions de dollars, selon sa commissaire aux comptes, Eliane Munkeni. Qui réclame, voilà deux ans, la déclaration de mise en faillite de la MIBA conformément au droit OHADA.
La MIBA ne tient plus que par la volonté sociopolitique de ses dirigeants. Mais pour le conseil d’administration de la Minière, il faut accorder le temps au temps… « La démarche actuelle a été de construire d’abord un plan d’urgence qui court sur une période de maximum de deux ans afin de permettre de construire le futur », explique-t-on. En effet, après le démarrage de ce plan, les dirigeants de la MIBA devront être en mesure, endéans les six mois, de mettre au point un programme de relance ambitieux pour le long terme. Le Plan d’urgence intègre un certain nombre de remboursements à des créanciers, notamment concernant les dettes fournisseurs. La dette publique et la dette sociale méritent une étude approfondie qui fera partie du plan de relance. En tout cas, c’est le schéma qui est validé dans une correspondance sous seing du président du conseil d’administration de la MIBA.
En ce qui concerne la dette publique, les dirigeants de la MIBA ont envisagé de « demander des moratoires transitoires » après la réconciliation des comptes. Quant à la dette sociale, sans abuser de la patience et de la compréhension des travailleurs, ils ont pris l’engagement d’un dialogue qui puisse « préserver les intérêts des travailleurs et de la société sur le long terme ». Dans sa lettre, le PCA a souligné ceci : « Nous sommes convaincus que l’État congolais, qui est notre actionnaire principal, nous accompagnera dans ces démarches en tant que pouvoirs publics ». Hélas, la démarche du conseil d’administration qui reposait sur la possibilité de recapitaliser la société afin de diminuer ou annuler l’endettement et permettre le retour vers un accès aux capitaux à risque a tourné au désespoir.
Mwana Africa
L’État et la Sibeka/Mwana Africa n’arrivent guère à s’accorder sur l’option à lever pour la relance de la Minière de Bakwanga. Pourtant, la MIBA possède des ressources reconnues de l’ordre de 120 millions de carats, dont environ 80 millions dans les massifs kimberlitiques, 20 millions dans les gisements détritiques (collines et terrasses) et les anciens terrils et encore 20 millions dans les lits de rivières. Une analyse multisectorielle est en cours, elle sera combinée avec la certification du massif 1, ainsi qu’une étude de faisabilité économique afin de conduire à un programme de relance sur le long terme. Mais a priori, en se calquant sur le modèle du plan d’urgence, les ressources en kimberlite et détritique devraient permettre de remonter la production à un niveau de 200 000 à 300 000 carats par mois.
Cela demandera certainement de mettre en marche au moins une laverie à kimberlite et une laverie à détritique du côté de l’ouest. Hélas, les moyens ne sont pas venus. Forminière à ses origines, la MIBA a été constituée du temps de la colonisation sous forme juridique d’une société à charte avec une durée de vie emphytéotique, 99 ans. L’exploitation réellement industrielle du diamant a commencé en 1906, selon diverses sources. Un siècle après, les autochtones Bakwanga tiennent à reprendre « leurs » terres. Le tribunal de Grande Instance de Mbuji-Mayi a été saisi de l’affaire.
Bakwa Anga réclament leurs terres
La concession de la Minière de Bakwanga est aussi étendue que le Rwanda, plus de 27 000 km² dont 8 135 km² sur lesquelles la MIBA tient des permis de recherche et les 19 486 km² restant sont depuis des lustres en exploitation. Mais l’essentiel de l’activité minière se concentre dans son polygone, au cœur de Mbuji-Mayi, pays des descendants de la guerrière Anga. D’où le nom Bakwanga (gens de Anga en tshiluba, parler local). Afin de contraindre la Minière à quitter le polygone, huit notabilités bakwanga ont, en effet, déterré, non seulement d’anciennes dispositions légales sur la MIBA, société à charte, mais surtout une recommandation de la Conférence nationale souveraine (CNS, 1991-1993). Selon eux, le délai d’exploitation de la Minière de Bakwanga était déjà arrivé à échéance. Mais en septembre 2015, les 8 notables ont été jetés en prison à Mbuji-Mayi suite à une plainte de la MIBA Sa. La société a déploré la spoliation de ses terrains situés dans les cités pour ses employés et la perturbation de la paix sociale. L’affaire a été portée devant le TGI de Mbuji-Mayi. Mais la date du début du procès n’a pas encore été fixée.
Depuis, l’acte de bravoure, dit-on à Mbuji-Mayi, posée par les huit autochtones Bakwanga fait des émules. L’on rappelle ici que c’est à cause de la MIBA que la région du Kasaï a été déclarée zone A, toute autre activité industrielle y a été interdite depuis la colonisation. Ce n’est qu’en 2009, suite à la loi Denis Kambayi votée à l’Assemblée nationale, que ce régime de non-industrialisation du Kasaï a officiellement été levé. Gouverneur du Kasaï-Oriental et président de la Fédération des creuseurs d’or et du diamant, en fait des artisanaux miniers, Alphonse Ngoy Kasanji avait, en son temps, sollicité de l’État l’ouverture d’un pan du polygone de la MIBA à l’exploitation artisanale. Sans succès.
Pourtant, selon les statistiques de la division minière du Kasaï-Oriental, les opérateurs artisanaux rapportent plus de gemmes que la Minière de Bakwanga : 20 millions de carats en 2014 contre 30 000 seulement à la MIBA. Mais un agent du SAESCAM (service chargé de la petite mine) s’en montre plutôt dubitatif. « Doit-on encore parler de l’exploitation artisanale quand des gens s’amènent avec des dragues… ça n’est plus des pioches et des mutshanga ou tamis », s’interroge-t-il . Comme le cours du diamant rassure, les gens veulent se relancer après la période des vaches maigres de 2008 et 2009, drague ou mutshanga, l’important est que Mbuji-Mayi rattrape son retard d’urbanisation par rapport aux autres villes comme Goma, Beni ou même Kinshasa, fait remarquer le journaliste Vicky Kazumba.
Grâce à des initiatives privées, des immeubles sortent des terres…ce que la MIBA n’a pas pu donner à Mbuji-Mayi en 100 ans d’exploitation de son diamant.
Délocaliser
D’après le Bureau d’études d’aménagement et d’urbanisme (BEAU), Mbuji-Mayi ne s’urbanise pas selon les normes. Chacun fait à sa tête sur un terrain peu approprié à la construction d’immeuble. D’une petite bourgade de 2 500 de la Minière, Bakwanga va compter en l’espace de quelques mois plus de 250 000 âmes du fait de l’opération Nkonga (rassembler, en tshiluba), lancée entre 1960 et 1961 par l’empereur autoproclamé et sécessionniste kasaïen, Albert Kalonji. Ainsi naquit Mbuji-Mayi, sans tracé urbanistique. La terre des Bakwanga est traversée par un impressionnant ravin qui donnerait naissance à plusieurs têtes d’érosion. C’est le fameux Mbala wa Tshitolo de funeste mémoire. Et pourtant, pour le géologue Nkankanda, Mbala wa Tshitolo, ce n’est que l’infime partie visible de l’iceberg. Les érosions de Mbuji-Mayi sont plutôt souterraines, le sol s’affaisse. Et le géologue de confirmer les conclusions des études réalisées, depuis des lustres par des ingénieurs de la MIBA. Il faut délocaliser Mbuji-Mayi et ouvrir toute la ville à l’exploitation minière. Outre le diamant qui s’exploite même at home, en dépit de l’interdiction assortie d’une peine d’emprisonnement du gouverneur de la province, Mbuji-Mayi regorge également de l’or, du niobium, du cuivre et surtout du nickel.