Devant un parterre d’étudiants à Bangui, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) a déclaré que même si les signaux ne sont pas au vert car le continent africain a connu sa croissance la plus faible en deux décennies, l’année dernière, et que cette année, elle devrait se situer autour de 2,9 % seulement, il faut rester lucide sur les perspectives du continent. « Nous devons nous méfier de passer du grand optimisme des dernières années quant aux perspectives de l’Afrique subsaharienne, à un pessimisme excessif », a-t-elle fait remarquer. Christine Lagarde a aussi souligné qu’« on ne peut pas parler de toute l’Afrique subsaharienne comme d’un seul ensemble ». D’où, il convient d’étudier les pays au cas par cas.
L’Afrique subsaharienne a affiché au cours des dernières années une croissance annuelle de 6,6 %. Mais la chute des prix des matières premières, les aléas climatiques et les soubresauts politico-sociaux ont miné la confiance des marchés dans cette dynamique. Selon la directrice du FMI, l’Afrique doit combiner son combat pour la croissance avec celui pour la réduction des inégalités qu’elle connaît. « Alors que le monde connaît les affres du protectionnisme et du repli sur soi, une plus grande intégration régionale pourrait être l’une des solutions de sortie de crise » a-t-elle estimé. En outre, a poursuivi Christine Lagarde, il faudrait que les nations les plus touchées par la situation actuelle laissent leurs devises s’ajuster au choc, tout en veillant à leur équilibre budgétaire. Elle a souligné l’inefficacité des mesures palliatives comme les assouplissements monétaires et les retards de paiement.
Remédier aux déséquilibres
Le taux de croissance économique de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. En effet, affaiblie par la baisse des cours des produits de base et un environnement économique mondial globalement moins porteur, la croissance moyenne de la région devrait fortement ralentir, d’après les prévisions, et s’établir à 1,5 % cette année – rythme qui est bien inférieur à celui de la croissance démographique et marque une nette rupture par rapport à ces quinze dernières années, note le FMI. Les projections laissent entrevoir une reprise modeste pour l’année prochaine (avec une croissance proche de 3 %), mais celle-ci suppose que les pouvoirs publics prennent sans tarder des mesures pour remédier aux déséquilibres macroéconomiques prononcés et à la forte incertitude qui entoure les politiques publiques dans certains des plus grands pays de la région.
Selon le FMI, ce panorama général masque toutefois une hétérogénéité considérable des trajectoires économiques dans la région. La plupart des pays peu tributaires des exportations de ressources naturelles, c’est-à-dire la moitié des pays de la région continuent d’afficher de bons résultats, car ils bénéficient de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires et de la poursuite d’investissements massifs dans les infrastructures.
D’après les prévisions, souligne le FMI, des pays tels que la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Kenya et le Sénégal devraient continuer d’enregistrer des taux de croissance supérieurs à 6 %. En revanche, les pays exportateurs de produits de base connaissent de graves tensions économiques. C’est le cas notamment des trois plus grands pays de la région : l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigéria. Les perspectives à court terme des pays exportateurs de pétrole en particulier se sont dégradées, malgré le léger redressement des cours du pétrole, et le ralentissement de l’activité se pérennise, l’activité de ces pays devrait se contracter de 1¼ % cette année. Les autres pays riches en ressources naturelles, notamment l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo, le Ghana, la Zambie et le Zimbabwe, ont vu leur activité économique ralentir considérablement, ou continuent à n’enregistrer qu’une croissance molle.
Selon le FMI, dans les pays les plus touchés, l’ajustement des politiques publiques doit avoir lieu sans tarder pour permettre un rebond de la croissance économique. Il est préoccupant de constater que, face aux fortes pressions financières et économiques, les autorités de beaucoup de pays les plus touchés n’ont réagi qu’avec lenteur et de façon parcellaire, en recourant le plus souvent à des palliatifs tels que le financement de la banque centrale et l’accumulation d’arriérés, entraînant une augmentation rapide de la dette publique. Dans les pays exportateurs de pétrole à régime de change flexible, les autorités n’ont laissé le taux de change s’ajuster qu’avec réticence, ce qui a provoqué de fortes tensions sur les dépôts et les réserve de change. En conséquence, le retard de l’ajustement et l’incertitude qui en est résulté au sujet des politiques publiques découragent l’investissement et empêchent de nouvelles sources de croissance de se développer. Ce qui complique d’autant le retour à des taux de croissance élevés.
Pourtant, souligne le FMI, un effort d’ajustement soutenu s’impose, qui doit être fondé sur un ensemble complet de politiques publiques formant un tout cohérent sur le plan interne. Cela suppose de laisser le taux de change absorber complètement les pressions extérieures dans les pays qui n’appartiennent pas à une union monétaire, de rétablir la stabilité macroéconomique, notamment en resserrant la politique monétaire pour contrer de fortes hausses de l’inflation, et de donner autant que possible la priorité aux éléments de l’assainissement budgétaire propices à la croissance économique. Étant donné que les amortisseurs sont limités à ce stade, la marge de manœuvre pour alléger le poids de l’ajustement dépendra de façon déterminante de l’accès à de nouveaux financements, assortis dans l’idéal de conditions concessionnelles.
Les pays où la croissance est encore vigoureuse devraient reconstituer leurs amortisseurs lorsque la conjoncture est relativement favorable pour freiner l’augmentation de la dette publique. Dans un environnement caractérisé par des marchés financiers plus tendus et plus volatiles, souligne le FMI, il reste primordial de trouver le juste milieu entre les dépenses de développement dont les pays ont tant besoin et le souci de préserver la viabilité de la dette obtenue au prix de beaucoup d’efforts. Même s’il n’est pas aussi urgent de prendre des mesures dans ces pays que dans les pays les plus touchés, la dette suit néanmoins une tendance à la hausse dans beaucoup d’entre eux, et un assainissement budgétaire s’avérera nécessaire pendant la période à venir.