Le projet minier dit de la «Montagne d’or» vise à exploiter d’une manière inédite l’or du sous-sol guyanais. Il possède sans doute des vertus économiques. Mais il comporte surtout trois risques fondamentaux : il divise fortement la société guyanaise, lui donne de faux espoirs d’embellie économique et place ce territoire à contretemps de l’histoire.
Nous ne sommes pas, à ce jour en Guyane, en mesure d’exploiter nous-même nos richesses. Nous manquons de capitaux, de technologie et d’ingénierie. Alors, devons-nous confier à un consortium russo-canadien l’extraction industrielle de 85 tonnes d’or et lui laisser également conserver toute la valeur ajoutée de la transformation ?
Si nous l’acceptons, notre capital aurifère sera irrémédiablement perdu. Non seulement avec notre approbation, mais également avec nos impôts ! En effet, le système fiscal français applicable en Guyane subventionne directement le projet par divers dispositifs de défiscalisation et de subventions indirectes. Alors que la redevance des mines qui sera versée aux collectivités locales représente moins de 0,36% de la valeur de l’or déclaré.
De plus, les chiffres annoncés de 750 emplois directs ne tiennent pas compte des capacités locales et des formations initiales. Et qu’adviendra-t-il à la fin de l’exploitation au bout de douze années, si ce n’est le chômage ? La jeunesse attend-elle avec joie des emplois subalternes dans une mine industrielle, bruyante et polluante, située en pleine forêt, à 120 km de la première ville ?
Ne nous leurrons pas sur les enjeux : cette mine ne résoudra aucun problème d’emploi. Il faut créer 2500 emplois par an pendant au moins dix ans dans l’ouest guyanais, 4000 par an dans toute la Guyane. Autrement dit, il faudrait plusieurs projets miniers de cette ampleur tous les ans… impensable !
Par ailleurs, que dire du processus prévu d’extraction de l’or, par l’utilisation du cyanure en pleine forêt amazonienne ? La lecture du rapport du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) consacré à ce sujet fait frémir : les risques sont inouïs (1). Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas simplement interdit cette pratique ? Le rapport parlementaire de Christiane Taubira (2), écrit en l’an 2000, pointait déjà les risques, énumérait les pollutions et l’absence de connaissance des impacts sur la santé.
Et ne parlons pas de l’aberration économique et écologique qui consisterait à construire une centrale électrique thermique alimentée par l’importation de centaines de millions de litres de gazole pour permettre cette exploitation. Une expertise environnementale indépendante sur ce projet est plus que jamais nécessaire, doublée d’une analyse des risques.
Dernière affirmation entendue : ce projet ferait reculer l’orpaillage illégal. Pourquoi ? Cela n’a aucun rapport. Seul l’Etat en a les moyens et s’est engagé à mener la lutte, ce qu’a confirmé le président de la République en octobre 2017 en Guyane.
Dans le pays qui a organisé la COP 21 et qui œuvre pour la réussite d’une diplomatie climatique, il n’est pas acceptable d’entailler notre faune et notre flore, à coup de milliers de tonnes d’explosifs pendant douze ans sur 2,5 km de long, 400 m de large et 220 m de profondeur. Nous ne pouvons envoyer ce message de destruction et de pollution au monde.
Parce que la crise économique et sociale de notre territoire est chaque jour plus grande, devrions-nous foncer sur la première «opportunité» venue sans réfléchir ? En sommes-nous là, passifs, alors que la population a souhaité reprendre son destin en main dans la rue aux mois de mars et avril 2017 ? Quelle contradiction ! Serons-nous fiers de notre territoire ainsi balafré dans vingt ans, à proximité de l’excellence technologique de Kourou ?
Osons laisser derrière nous ce modèle industriel du passé et regardons l’avenir. La littérature économique regorge des «mines des centres ville» qui disposent de plus de ressources que la Montagne d’or dans le recyclage. Regardons la Station F à Paris, où de jeunes ultramarins créent un nouvel univers économique fondé sur les bioressources, le biomimétisme, l’énergie propre. C’est cette industrie de pointe qu’il faut mettre en œuvre : elle nous rendra fiers, elle sera pourvoyeuse d’emplois pérennes, et formera nos jeunes.
Après l’esclavage, après le bagne, allons-nous encore présenter notre territoire à rebours de l’Histoire ? La Guyane a tant à offrir : ne la réduisons pas à quelques cailloux dorés. Ouvrons-la au monde et reprenons notre destin en main. Regardons l’avenir avec sérénité : nous sommes riches et forts de notre jeunesse et de notre biodiversité. Il faut nous retrousser les manches : allons chercher les créateurs, les entrepreneurs, les investisseurs. Soyons de notre temps, au service de notre jeunesse !
(1) «Utilisation de la cyanuration dans l’industrie aurifère en Guyane», BRGM, février 2013.
(2) «L’or en Guyane, Eclats et Artifices», rapport au Premier ministre, 2000. Cf. recommandation n°3.