L’HOMME prudent, dit-on, voit le mal de loin. Le communiqué publié le 18 novembre dernier par Equity Group Holdings (EGH) est suffisamment clair : « Après la réalisation de l’opération, les activités de la BCDC seront éventuellement fusionnées avec celles de la filiale bancaire existante d’EGH en RDC, Equity Bank Congo S.A. » Pour les initiés, fusionner veut tout simplement dire « réunir en un seul ensemble les éléments de plusieurs ensembles rangés suivant les mêmes critères ».
Et donc, l’acquisition des actions majoritaires pour un montant de 105 millions de dollars dans le capital de la BCDC signifie ni moins ni plus la mort programmée de l’Éléphant. Selon le même communiqué, pour James Mwangi, PDG et Directeur Général d’Equity Group Holdings Plc, l’accord conclu est en effet « une opportunité », pour son groupe, de « concrétiser sa vision de bâtir la première institution financière d’Afrique subsaharienne… ». Et pour George Arthur Forrest, il est heureux d’avoir conclu la transaction car « son héritage est entre les mains de la Banque qui se développe rapidement en Afrique subsaharienne, déjà présente en RDC, avec l’aspiration et la capacité de développer et d’accroître les offres et le financement de la BCDC ».
110 ans d’histoire
La mort de l’Éléphant, c’est 110 ans d’histoire mouvementée ! Mais c’est aussi 110 ans d’émotion vraie. Le changement de main de l’actionnariat majoritaire entraîne encore une très forte émotion, tant au pays que dans le reste du monde. Beaucoup de Congolais (agents en fonction ou retraités mais aussi les clients) qui s’identifient à cette banque n’y croient pas encore. Pour eux, d’ailleurs, la BCZ (Banque Commerciale du Zaïre) de l’époque de Mobutu, puis BCDC (Banque Commerciale du Congo), fait partie du patrimoine national, et, de ce fait, elle ne peut pas disparaître. Mais la réalité économique est implacable !
Créé le 11 janvier 1909 (société anonyme au capital de deux millions de francs belges avec comme principaux actionnaires la Banque d’Outre-Mer, la Compagnie du Congo pour le commerce et l’industrie, la Banque de Bruxelles, la Banque de Paris et des Pays-Bas, et puis la Société générale de Belgique et la Société commerciale et de finance africaine), sous l’appellation de « Banque du Congo belge » (BCB), à Élisabethville (Lubumbashi), l’Éléphant (symbole de la banque) a traversé toutes les époques de l’histoire de notre pays, mais surtout les troubles (politiques, économiques et sociaux) que celui-ci a connus. En dépit de tous les soubresauts, la banque, aujourd’hui BCDC, est restée une institution bancaire résiliente, considérée d’ailleurs comme la meilleure banque au pays en termes de gouvernance.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, la BCDC se décline comme « la banque partenaire de nombreuses entreprises dans le pays ». C’est aussi, à travers toutes ces années, « une banque de confiance » pour de nombreux particuliers, petites et moyennes entreprises (PME), organismes gouvernementaux. Quand la BCB fut créée à l’initiative de la Banque d’Outre-Mer (qui regroupait les plus importants établissements financiers en Belgique), la Belgique venait à peine de reprendre le Congo du Roi Léopold II, dans un contexte économique où l’industrie minière n’était pas encore développée.
C’est donc normal que les débuts de la banque aient été timides et qu’elle s’installe dans les zones d’affaires : Matadi (présence du port maritime) en juin 1909 et Léopoldville (Kinshasa) en 1910, après l’ouverture à Élisabethville. Le 7 juillet 1911, la BCB obtient le pouvoir d’émission, exclusivement des billets au porteur dans la Colonie belge, en plus de la fonction de caissier de la colonie. Ne pouvant plus assumer certaines opérations conformément à ses engagements de banque émettrice, les principaux actionnaires de la BCB s’engagent alors à fonder la Banque Commerciale du Congo (BCC) qui reprend les opérations auxquelles devait renoncer la BCB devait renoncer.
Quand la Guerre mondiale de 1914-1918 éclate, la banque est coupée de la métropole. Par conséquent, les agences sont privées des ressources financières et de contact avec le siège à Bruxelles. Pour cela, un siège provisoire est installé à Londres. En 1922, la banque compte 34 agences au Congo belge, 2 sièges au Tanganyika (Kigoma et Dar es Salam) et une succursale à Anvers. Quand arrive la Guerre mondiale de 1940-1945, la Banque du Congo Belge participe à l’effort de guerre de la Belgique en fournissant au gouvernement belge installé à Londres à peu près 85 % des ressources dont il disposa pendant la guerre.
Le tournant décisif
En 1952, la BCB n’est plus seule à opérer au Congo. Grâce au développement de l’activité économique dans la colonie, six autres banques ont fait leur apparition. Elle perd aussi la fonction d’émission à la suite de la création de la Banque Centrale du Congo Belge et du Ruanda-Urundi (BCCRU. Ainsi, la BCB est réduite à un établissement de crédit privé et la Banque commerciale du Congo créée en 1911 n’avait plus sa raison d’être. Par conséquent, la BCB et la BCC fusionnent pour donner naissance à une société congolaise par actions et à responsabilité limitée avec siège social à Léopoldville.
À l’indépendance, en 1960, la banque cède les opérations des sièges de Bruxelles et Londres ainsi que celles de sa succursale d’Anvers à la Banque belgo-congolaise (qui deviendra la Belgolaise). La BCB devient alors la Banque du Congo. Onze ans plus tard, quand Joseph Désiré Mobutu, le président de la République, décide, en octobre 1971, de débaptiser le pays, qui devient alors Zaïre, la banque adopte la dénomination sociale de Banque commerciale Zaïroise (BCZ). Et lorsque le nouveau pouvoir (AFDL) qui s’installe à Kinshasa, en mai 1997, décide de réhabiliter la République démocratique du Congo, la BCZ se mue en Banque Commerciale Du Congo (BCDC).
À cause des pillages du tissu économique en 1991 et 1993, mais aussi à cause de la guerre civile de 1996 à 2003, la banque a été astreinte à dégraisser ses effectifs. Un pire moment que bien des agents à la retraite ne veulent pas garder en souvenir. La reprise de l’activité économique consécutive à l’amélioration du climat sociopolitique dans le pays, redonne à la banque l’opportunité de se redéployer et de s’adapter aux nouveaux challenges (besoins de sa clientèle de particuliers, PME/PMI, grandes entreprises et institutionnels). En décembre 2009, George Arthur Forrest rachète les actions de la Belgolaise et BNP Paribas dans le capital de la BCDC. Sa participation passe de 11,55 % à 55,66 %.
Vendue ou pas vendue ?
Aujourd’hui, nombre de Congolais se demandent comment, 110 ans après, la BCDC qui est un établissement solide sur tous les fronts, puisse être « vendue », pour reprendre l’expression utilisée par eux-mêmes. N’est-ce pas Yves Cuypers, le directeur général de la BCDC, lui-même, qui dit souvent : « Ce n’est pas parce que la banque a plus de cent ans qu’elle va encore faire 100 ans… » ? Pourquoi alors la BCDC qui a fait de la « gestion prudente » sa marque de fabrique, va-t-elle être absorbée par Equity Bank Congo ?
Un observateur croit comprendre la situation : « Au-delà de l’émotion que cela entraîne, il y a le réalisme ». Le réalisme pour lui, c’est « la montée en puissance des exigences réglementaires qui ne manquera pas d’exercer des pressions sur les acteurs du secteur bancaire ». D’après lui, « il n’est pas étonnant qu’un mouvement de concentration soit possible si pas souhaitable pour ne pas disparaître de la scène ». C’est la loi de sélection naturelle ou le darwinisme.