C’est peut-être l’épilogue dans le feuilleton des Lignes aériennes congolaises. D’après des sources syndicales, le Premier ministre aurait, dans une lettre adressée à la ministre du Portefeuille, donné son aval pour la vente des biens appartenant à l’ancienne compagnie nationale d’aviation.
De toute évidence, avec la création par le gouvernement d’une nouvelle société aérienne nationale, le glas a sonné pour les Lignes aériennes congolaises (LAC). La décision de liquider cette société d’État avait été prise en conseil des ministres le 5 décembre 2014. Elle avait été sanctionnée, conformément aux dispositions statutaires, par des résolutions de l’assemblée générale extraordinaire du 21 septembre 2014. La décision a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Les dirigeants et agents des LAC s’étaient toujours opposés à sa liquidation, en étant convaincus que leur entreprise pouvait être redressée. Rien n’y a fait.
La ligne de défense
En avril 2013, le ministre des Transports et Voies de communication, Justin Kalumba Mwana Ngongo, avait annoncé au Sénat que la nouvelle compagnie aérienne nationale, Congo Airways, remplacerait, en fait, les Lignes aériennes congolaises. Les dés étaient donc jetés pour les agents des LAC qui avaient vivement protesté. « Nous avons toujours été persuadés que relancer les LAC est moins onéreux que la liquidation. », soutient Sylvain Makiese, président de la délégation syndicale de l’entreprise.La société connaissait depuis plus de vingt ans d’énormes difficultés de fonctionnement. En situation de quasi-faillite non prononcée, Air Congo, devenu Air Zaïre puis Lignes aériennes congolaises sous les différents régimes, ne disposait plus d’assez d’avions pour assurer le trafic aérien. La compagnie a vu son activité se réduire à la location de ses droits de trafic. Ses agents alignaient plus de 240 mois d’arriérés de salaires. Sa dette sociale était évaluée, en avril 2013, à environ 132 millions de dollars.
Du temps de sa splendeur
Air Congo avait été créée en 1961 comme une société anonyme à responsabilité limitée (SARL) avec pour objet l’exploitation de tous services publics, réguliers ou non, de transport par aéronefs des voyageurs, des marchandises et des objets de correspondance. Air Zaïre était devenue, en mai 1978, une entreprise publique à caractère commercial, à la suite d’une ordonnance présidentielle. Baptisée Lignes aériennes congolaises (LAC) sous le régime de Laurent-Désiré Kabila, en 1997, la compagnie avait été transformée en société commerciale en 2009. Sa vocation était de desservir le pays caractérisé par l’insuffisance des voies de surface et d’exploiter les lignes internationales. Entre 1970 et 1980, Air Zaïre avait bénéficié d’une conjoncture politique favorable en rapport avec le transport aérien et le développement aéronautique. C’est ainsi que, en 1971, le gouvernement l’avait doté d’un vaste programme d’équipement en flotte importante et moderne. Air Zaïre possédait une vingtaine d’avions : 3 Boeing 737-200, 2 DC 8-33, 2 DC 10-30, 1 Boeing 747 et des Fokker. Le « Léopard volant » ne comptait que deux avions de seconde main, mais de qualité irréprochable. Tous ses aéronefs avaient été acquis sur le marché, selon les règles de l’art. Jadis, Air Zaïre desservait plusieurs capitales européennes dont Bruxelles et Paris, plusieurs villes africaines, notamment Lagos, Abidjan, Lomé, Kigali, Bujumbura, Kampala, Luanda… Sur le réseau domestique, l’un des plus denses d’Afrique, il avait des vols intérieurs qui reliaient l’ensemble de ce pays-continent. Pendant près de vingt ans qu’a duré l’exploitation, cette société n’avait pas connu un seul crash.
Plusieurs facteurs conjugués, dont la crise pétrolière de 1973 et les mesures de zaïrianisation la même année, suivies de celles de rétrocession et de radicalisation, ensuite la libéralisation du secteur de transport aérien, allaient conduire à la réduction de la flotte de la compagnie à 12 avions en 1980. La décennie 1980-1990 marqua la descente aux enfers. Le propriétaire, l’État, décida lui-même de se payer sur la bête. Gestion calamiteuse, gabegie financière, recrutement anarchique… Les familles ou les proches des dignitaires de la IIe République voyageaient à bord des avions d’Air Zaïre aux frais de… l’État, surtout vers l’Europe. Les étudiants de l’époque payaient 25 % du prix du billet, le reste étant pris en charge par le Trésor public. Des billets d’avion étaient distribués au petit bonheur, les avions affrétés sans qu’aucun paiement ne puisse suivre. La crise était passée par là et Air Zaïre a sombré, corps et biens. De 12 aéronefs en exploitation, début 1980, la flotte était passée à 4 appareils seulement à la fin de 1990. Trois des derniers avions ont été démantelés. Seul un Boeing 737-200, qui était en attente d’un check D est actuellement immobilisé dans un hangar de l’aéroport international de Ndjili.
Le changement de nom n’a pas non plus épargné l’entreprise. Depuis 2008, toutes les thérapies pour relever LAC n’ont pas donné satisfaction. Le manque de volonté politique, de mauvaises décisions, le problème managérial, la prédation… ont été à la base de l’effondrement de l’entreprise. Pourtant transformée en société commerciale, en 2009, LAC a continué à traverser une zone de turbulences sans fin. À cause de son lourd passif, l’utilisation du label de la compagnie à l’étranger était devenue quasi impossible, au risque d’entraîner des saisies de comptes ou d’appareils volants. Avec la cessation des activités, LAC a commencé à recourir à Brussels Airlines pour assurer le service au sol, son propre matériel étant devenu obsolète.
Une décision politique qui fait peur
Toutes les formules imaginées pour sortir LAC du coma dans lequel elle était plongée n’ont pas abouti. Si la décision de liquider LAC a été prise le 5 décembre 2014, elle avait été, néanmoins, annoncée aux agents le 5 juin 2012. De même qu’un plan de relance et de restructuration. Les travailleurs avaient alors obtenu de la tutelle l’intégration de quatre délégués de LAC au sein de l’équipe de liquidation coordonnée par Senga Mali, un ancien administrateur. Parmi eux, d’anciens mandataires et un délégué des travailleurs. Mais ils refusaient de croire que la société ne pouvait pas être sauvée.
À la direction technique des LAC, on persiste et signe : la décision de liquider LAC est purement politique. Selon elle, la nouvelle compagnie et l’ancienne pouvaient coexister sans que l’une ne gêne l’autre. Le timing pour liquider LAC avait été fixé à une année renouvelable une seule fois, après négociation avec le mandat. Maintenant que le gouvernement a décidé de mettre en vente tout ce qui reste des LAC, les travailleurs demandent que leurs droits soient respectés. Ils s’accrochent aux dispositions du code du travail en rapport avec la faillite ou la liquidation judiciaire d’une entreprise ou d’un établissement. Ils craignent surtout que le patrimoine de la société ne soit bradé. « La liquidation d’une société est une opération qui consiste à transformer en argent les éléments de l’actif et à payer ses dettes sociales afin d’en apurer le patrimoine », explique un expert comptable.
En cas de faillite ou de liquidation, selon le code du travail, les travailleurs ont rang des créanciers privilégiés sur tous les autres, y compris le Trésor public, nonobstant toute disposition contraire à la législation antérieure, pour les salaires dus au titre de services fournis antérieurement à la faillite ou à la liquidation. Ce privilège s’exerce sur les biens meubles et immeubles de l’employeur. Les salaires doivent être payés intégralement, avant que les autres créanciers ne revendiquent leur quotepart, aussitôt que les fonds nécessaires sont réunis.