L’heure de tourner la page du règne des Etats-Unis sur les institutions financières multilatérales du monde a presque sonné. Infrastructure Asia Investment Bank (AIIB) est venue changer la donne.
A peine formée en octobre 2014, cette institution financière internationale proposée par la Chine connaît une adhésion sans précédent des pays membres. En témoignent les propos du premier ministre chinois, Li Kieqiang, tenus le 15 avril 2015. Il explique que presque tous les pays asiatiques et la plupart des grands pays hors d’Asie ont rejoint l’AIIB, à l’exception des Etats Unis, du Japon et du Canada.
En effet, cette ère nouvelle donne espoir aux pays soucieux de se doter des infrastructures, qui peuvent désormais se frotter les mains. Le pôle de l’ordre économique mondial est comme en train de changer. Le siège de l’AIIB sera fixé à Pékin et ses fondateurs doivent, dès sa création, y placer cinquante milliards de dollars (46,5 milliards d’euros).
Une opportunité pour les Africains
Jusque-là, il n’y a que l’Egypte et l’Afrique du Sud sur les 57 pays africains qui ont marqué leur adhésion. La RDC, pays qui a grandement besoin des financements pour ses projets d’infrastructures, observe. Rien n’est perdu. La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures n’existe que depuis six mois et entend placer tous les pays sur un même pied d’égalité. Ses membres échappent aux conditionnalités auxquelles ils étaient soumis à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international et à la Banque asiatique de développement. La mise en place de cette banque vient, en outre, mettre fin au diktat qui empêchait certains pays à avoir des partenaires de leur choix ou de signer librement des contrats. En RDC, par exemple, le FMI s’est en 2008 opposé au contrat chinois, exigeant sa révision. Au terme des discussions, ledit contrat était réduit de 9 à 6 milliards de dollars.
En ce moment où l’on parle reconstruction, l’avènement de l’AIIB est une opportunité pour la RD Congo, pays dont les infrastructures sont les moins développées qualitativement et quantitativement. Fridolin Kasweshi, actuel ministre des Infrastructures et des Travaux publics a, en 2012, indiqué que « la RDC a besoin de 5 milliards par an et durant deux décennies pour relever les défis en matières d’infrastructures ». En tant que premier partenaire commercial du continent africain et son premier bailleur de fonds, la Chine n’a plus besoin d’une longue procédure pour poursuivre ce qu’elle a commencé avec les pays africains. Ce qu’on peut appeler un partenariat « gagnant-gagnant » continue.
La Chine comme locomotive
Contrairement aux Etats Unis, la Chine a l’avantage de tirer les autres pays vers le développement. Dans sa montée en puissance, Pékin tire vers le haut les pays émergents et ceux en voie de développement. Les dernières statistiques indiquent que, grâce à la Chine, les pays riches de l’OCDE ont aujourd’hui un poids inférieur à 50 % par rapport à la richesse mondiale. Voilà qui justifie l’ascension fulgurante de cette institution dont l’idée n’a éclos que l’année dernière, à l’occasion du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique.
Toutefois, la position de leader de la Chine et la création de l’AIIB inquiètent beaucoup les USA et le Japon. En octobre 2014, après que vingt et un pays aient signé le protocole d’entente (PE) de l’AIIB, les Etats Unis ont commencé à faire diplomatiquement pression sur l’Australie et la Corée du Sud. Ces deux pays voulaient adhérer à l’AIIB en tant que membres fondateurs.
Par ailleurs, la question de l’AIIB a divisé l’administration Obama et le Royaume-Uni, mais, la Grande Bretagne affirme avoir échangé là-dessus avec Washington. Le Royaume-uni rappelle que des discussions ont eu lieu, à propos, pendant des longs mois entre le chancelier Osborne et le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew.
Déterminés à décourager la Chine, les américains changent de stratégie, abordant l’aspect normes. Le journal The Guardian rapporte une déclaration du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche : « Notre position sur la AIIB reste claire et cohérente. Les Etats Unis et de nombreuses grandes économies mondiales sont tous d’accord, il y a un besoin pressant de renforcer les investissements dans les infrastructures partout dans le monde. Nous croyons que toute nouvelle institution multilatérale devrait incorporer les normes élevées de la Banque mondiale et des banques régionales de développement. Sur la base de nombreuses discussions, nous avons des préoccupations quant à savoir si AIIB répondra à ces normes élevées, en particulier liées à la gouvernance, à l’environnement et aux garanties sociales…La communauté internationale a intérêt à ce que l’AIIB complète l’architecture existante et travaille efficacement avec la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ».
Les Etats-Unis pris au dépourvu
Avec l’arrivée de l’AIIB, les Etats-Unis sont en passe de rester seuls. Eswar Prasad, ancien directeur du département au Fonds monétaire international, cité par Jeune Afrique, fait la lecture de la perte d’influence américaine sur l’échiquier de l’économie mondiale. «Les Etats Unis ont été totalement pris au dépourvu par le nombre de ceux qui se bousculent au portillon pour rejoindre la nouvelle institution », note-t-il. N’ayant pas de choix, les Américains sont obligés de composer avec une banque au sein de laquelle ils ne dominent pas et contre laquelle ils ont tout fait, mais en vain.
La Chine a bien su jouer sa partition pour convaincre les Occidentaux. Les enjeux étant importants, même les meilleurs amis des Etats-Unis ont mordu à l’appât en abandonnant le pays de l’Oncle Sam presque seul. Selon certaines sources diplomatiques, en échange de leur adhésion, les négociateurs de la Chine auraient fait aux Européens la promesse de renoncer à leur droit de veto à l’ONU. Pour la Chine, cette affirmation n’est pas vraie. Pékin n’a fait que proposer aux pays fondateurs beaucoup d’avantages.