L’avenir se joue désormais en Asie

Comment envisager le futur des constructeurs automobiles, surtout européens ? Aujourd’hui premier marché au monde, dont elle représente 30 %, la Chine entend devenir une vitrine incontournable. 

 

Avec seulement 100 véhicules pour 1 000 habitants, soit huit fois moins qu’aux États-Unis et six fois moins que dans l’Union européenne (UE), le potentiel de la Chine sur le marché de l’automobile est encore immense. Le salon de Pékin qui se tient en avril, a été donc une occasion rêvée pour les constructeurs de « créer une image de marque durable dans la première puissance économique mondiale, paradoxalement encore très dépendante de son secteur industriel ». Comme l’a expliqué le président de l’équipementier français Valeo en Chine, Edouard de Pirey, « le potentiel du marché chinois est toujours très important, on a toujours des consommateurs qui veulent acheter des voitures […] ils sont prêts à mettre beaucoup d’argent dedans ». Les ventes de voitures neuves sont de nouveau en augmentation malgré le tassement de la croissance chinoise. La demande pour les SUV (4×4 urbains) est particulièrement forte. Un paradoxe pour une des capitales les plus polluées au monde.

D’après les spécialistes, s’il est encore vaste, le « gâteau » que représente le marché chinois de l’automobile doit aussi être coupé entre de nombreuses parts. Les constructeurs chinois sont particulièrement implantés sur cette niche porteuse des SUV (60 % des ventes). Les enseignes chinoises ont accaparé 36 % du marché des voitures individuelles au début de 2016, contre seulement 25 % en 2014 (selon IHS Automotive). Selon ces mêmes spécialistes, avec l’édition 2018 du salon automobile de Pékin, le monde de l’automobile est à un tournant. Le directeur général adjoint du cabinet Sia, Jean Pierre Corniou, a écrit dans Atlantico que ce secteur a connu un de ses plus sévères crises en 2009 et a mis plusieurs années à s’en relever. Ainsi, 2017 a été en Europe une année exceptionnelle avec le retour aux volumes d’avant-crise. Mais cette euphorie risque de ne pas durer.  Le premier trimestre 2018 marque un net fléchissement de la demande (-6 %) en Europe, notamment en Grande-Bretagne. Les États-Unis ont également atteint leur plafond de demande et de production et même la Chine subit un tassement significatif de la demande.

Mais de façon plus structurelle, a-t-il poursuivi, le paysage automobile mondial n’est désormais plus le même car l’avenir de l’automobile mondiale se joue désormais en Asie. Parce qu’elle n’est pas visible dans nos rues européennes, l’automobile chinoise est une abstraction pour le grand public. Mais quand on suit attentivement la progression régulière sur leur marché domestique des constructeurs chinois, on mesure à quel point l’industrie automobile chinoise peut devenir une menace réelle pour les constructeurs automobiles des grands pays producteurs que sont les États-Unis, l’Europe et le Japon. 

Les Chinois plus stratèges

Adeptes du jeu de go, les Chinois sont des stratèges aussi implacables que patients. Si leur progression a été spectaculaire dans la plupart des créneaux de l’industrie, d’abord comme producteurs, puis comme concepteurs, ils font preuve dans l’industrie automobile d’une grande prudence. Ils ont en effet mesuré, certainement mieux qu’Elon Musk, que l’industrie automobile est une industrie exigeante. Industrie de volume, elle exige une maîtrise parfaite de toute la chaîne de valeur. Et pour devenir leader, ils se donnent le temps et les moyens d’apprendre.

La marche en avant des constructeurs chinois est engagée depuis trente ans. Naguère marginale, l’industrie chinoise grignote ce qui est devenu le premier marché automobile du monde avec 28,7 millions de véhicules en 2017. Les constructeurs chinois y représentent 44 % des parts de marché avec des marques totalement inconnues en dehors de Chine. Mais ils ne sont pas absents de l’autre moitié du marché. Grâce aux co-entreprises, imposées par le gouvernement les constructeurs chinois sont partenaires de tous les grands constructeurs mondiaux. Et avec eux ils ont appris patiemment à maîtriser la complexité du monde automobile grâce aux transferts de technologie.

Peu de gens se souviennent que le « suédois » Volvo est passé sous le contrôle du constructeur privé chinois Geely en 2010. Plus encore, Geely, qui n’a été créé qu’en 1986, vient de prendre une participation de 9,69 % au capital du constructeur emblématique de l’industrie automobile allemande, Daimler, pour 7,2 milliards d’euros. Le Salon automobile de Pékin démontre à quel point l’industrie chinoise se renforce et commence à montrer sa force. Représentant, en 2000, 1 % de la production mondiale, l’industrie chinoise en a réalisé 29 % en 2017. Elle dispose désormais des moyens de production modernes, de l’écosystème de fournisseurs et d’une capacité nouvelle à produire des véhicules de qualité identique aux autres pays producteurs, ceci avec des coûts inférieurs de 30 % en moyenne. C’est au moment où l’industrie chinoise prend son envol sur le marché intérieur que le gouvernement a décidé de mettre un terme progressif à l’obligation imposée en 1994 pour les constructeurs étrangers de constituer des co-entreprises avec des partenaires chinois à 50 %.