Après une tournée régionale dans quinze pays africains, le directeur des Récréâtrales de Ouagadougou a posé ses pas sur les planches de la Halle de la Gombe, dernière étape du périple pour y interpréter la vie militante du plus Africain des boxeurs américains, Muhammed Ali.
C’est dans un décor sans ring que tout commence. Il est 19 h 20. Le hangar qui tient lieu de salle est dans le noir. Seule la scène est balayée par une lumière tamisée. Étienne Minoungou fait une entrée inhabituelle. Il ne sort pas des coulisses, mais il vient dans le dos du public et traverse la salle, tout de noir vêtu, pieds nus. Il s’assied sur une espèce de gradin, face à la scène. Des spectateurs applaudissent. L’acteur se met alors à raconter de manière franche le combat de l’artiste africain, celui de la reconnaissance de son travail. Tout comme Muhammad Ali, la scène lui sert de lieu de revendication. « L’Afrique est l’avenir du monde. Je fais de la politique parce que c’est mon métier d’être comédien et de l’être fort », clame sur un ton ferme Étienne Minoungou. « Je ne joue pas, je saigne, j’enseigne. » Reconnaissant que le monde est un combat, il déclare que « cogner est un acte salutaire ». L’acteur n’hésite pas à puiser dans la vie du boxeur américain pour raconter des choses d’aujourd’hui. « J’ai appris les coups. Ils vivent dans ma chair. Ce sont des coups que j’ai reçus en moi, qui travaillent en moi et que j’assimile à ce que j’ai à dire pour qu’ils sortent et dévastent le camp adverse. »
Durant plus d’une heure, sans faire aucune concession de mots. Étienne Minoungou dénonce l’esclavage, la colonisation, la suprématie blanche autoproclamée. Il faut dire que la détermination de l’acteur tranche avec son rôle : «Quand on a vécu des choses dans sa chair, on se sent légitime pour surgir au milieu de ses semblables et dire ce qu’on a sur le cœur».
« M’appelle Mohamed Ali » est bien plus un spectacle engagé qu’une histoire de boxe. C’est une œuvre de résistance, qui interroge les rapports entre le continent africain et l’Occident. La pièce est constituée d’allers-retours entre la vie de l’acteur et les combats politiques du boxeur américain Muhammad Ali contre la ségrégation raciale et la guerre du Vietnam.
Le spectacle est dense. Minoungou n’hésite pas à apostropher le public, à lui lancer un regard sombre et vif, presque accusateur, qui lui donne un curieux air d’Ali. En sueur, il s’exalte et hausse la voix, trahissant son jeu de comédien pour reparler du combat contre le racisme et la ségrégation raciale. « Dans ce théâtre, seule la part du futur compte. C’est un combat au passé, c’est vrai, qui s’est passé pour pouvoir nous accrocher au futur et sur ses peines ». Enfin d’une voix calme, l’acteur clôt le spectacle par ces mots : « On aura jamais le même visage après avoir raconté son histoire. J’ai toujours rêvé de jouer Mohamed Ali, et le cœur est un parfait champ de mort là où coulent toutes les obsessions : les prières d’enfance, les rêves de jeunesse, les projets de l’adulte… et maintenant j’ai vu et je pardonne mon cœur de frapper si fort l’œil du spectateur… « M’appelle Mohamed Ali ».
Naissance d’un Muhammad Ali burkinabè
« M’appelle Mohamed Ali », c’est l’histoire d’une rencontre. Celle du comédien burkinabè, Étienne Minoungou, et du dramaturge congolais de Brazzaville, Dieudonné Niangouna. Fasciné par la figure de Muhammad Ali, l’acteur burkinabè incarne bien le personnage sur toutes les scènes. Deux raisons motivent sa détermination. La première est très anecdotique : « On m’a toujours dit que je ressemblais à Cassius Clay et comme je ne l’ai pas eu au cinéma et que je suis un homme de théâtre, je me suis dit, tiens, je pourrai l’avoir au théâtre. J’ai demandé à mon ami Dieudonné Niangouna d’écrire une pièce autour de la vie de Mohamed Ali ». La deuxième raison, sans doute la plus forte est plus intime : « À un moment donné de sa vie d’artiste, moi j’ai 47 ans, on a quand même envie de dire quelque chose de fort, de profond en soi et de le partager avec un autre. » Pour le faire, le personnage de Mohamed Ali tombait à pic. Sa fascination pour le boxeur, reste intacte : « C’est un personnage brillant, c’est un combattant. C’est un sportif, cela est vrai, mais le ring était pour lui un espace de prise de parole politique. Pour un homme de théâtre, la scène est aussi un espace de combat. Un lieu où s’affronte les idées contre les préjugés, contre la peur et aussi contre la facilité. » Il considère le théâtre comme un lieu de démocratie.
Étienne Minoungou aurait tant voulu présenter l’auteur de la pièce, Dieudonné Niangouna, mais son absence est liéeà un problème de visa. « C’est une aberration qu’il y ait une frontière culturelle entre Kinshasa et Brazzaville », déplore le Burkinabè. Ce qu’il fallait démontrer.
Avec : Étienne Minoungou
Texte : Dieudonné Niangouna
Mise en scène et scénographie : Jean Hamado Tiemtoré
Coaching artistique : François Ebouele
Musique : Julien Truddaïu
Production : Compagnie Falinga
Biographie express
Étienne Minoungou est né au Bukina Faso en 1968. Il est à la fois comédien, conteur, metteur en scène, dramaturge et entrepreneur culturel. Diplômé en sociologie urbaine à l’université de Ouagadougou, il a enseigné durant quelques années le français à Ziniare. De 1996 à 1999, il a exerce les fonctions de directeur artistique du Théâtre de la Fraternité et de professeur d’art dramatique à l’école de Théâtre de l’UNEDO (Union des ensembles dramatiques de Ouagadougou). En 2000, Il s’est tourné entièrement, vers le théâtre. Cette passion le pousse à fonder la Compagnie Falinga. La même année, il est nommé président du Centre burkinabè de l’Institut international du théâtre. Comme comédien, on le découvre dans des pièces mises en scène notamment par Jean-Pierre Guingané, Matthias Langhoff ou, plus récemment, Rosa Gasquet et Valérie Goma.
Étienne Minoungou mène également une carrière réussie au cinéma. Il joue dans différents films (réalisés par Tacère Ouédraogo, Issa Traoré et Régina Fanta Nacro) et dans la série télévisée Kady Jolie, réalisée par Idrissa Ouédraogo. En 2002, il a lancé à Ouagadougou les Premières résidences d’écriture et de création théâtrales panafricaines : les Récréatrales. Il écrit alors « Madame, je vous aime » qui sera joué à Ouagadougou, Paris et Bruxelles. Projet ambitieux, Les Récréatrales réunissent une centaine d’artistes de plusieurs pays durant deux à trois mois. Tout au long de sa carrière, Étienne Minoungou a effectué plusieurs stages dont le stage de mise en scène et direction d’acteur ( Shausspiel Academia, Zurich), celui de mise en scène avec Martha Vestin (conservatoire de Stockholm) , un stage sur l’écriture théâtrale avec Catherine Daste et Jacques Jouet ( Ouagadougou). Souvent invité dans le cadre des activités pédagogiques comme à Genève et à Montpellier, il y donne des stages sur le conte africain.
Le spectacle M’appelle Mohamed Ali, vient d’être nommé au prix de la Critique théâtre et danse de la Communauté francophone de Belgique, dans la catégorie seul en scène.