Le décret de la honte

Le décret autorisant à nouveau l’importation des véhicules vieux de plus de 10 ans est célébré à Boma comme une fête nationale. Il va à l’encontre du décret d’octobre 2012. On s’attend à ce que la grogne des syndicats au port baisse de tension.

 Il avait promis la maternité gratuite aux Congolais. Samy Badibanga n’a pas gagné son pari parce qu’il a été démis de ses fonctions de 1ER Ministre, quatre mois seulement après. Et comme pour marquer son passage  à la primature, Samy Badibanga a contresigné, le 4 avril, un décret levant en fait l’interdiction d’importation des véhicules d’occasion de plus de dix ans d’âge. « Tous les véhicules d’occasion à importer en RDC doivent répondre aux conditions suivantes : présenter un état technique satisfaisant attesté par un centre de contrôle du pays de provenance, préalablement agréé par les ministères des Transports et des Voies de communication, et des Finances de la RDC, avoir été mis en circulation sur une période n’excédant pas 20 ans. », précise le décret. À Boma, les agents des services opérant dans les installations portuaires ont jubilé. D’après eux, le décret de Matata d’octobre 2012 interdisant l’importation des véhicules de plus de dix ans d’âge a plombé les activités d’import-export à Boma. C’est pourquoi, ils ont adressé un mémo au 1ER Ministre sortant, réclamant son « retrait immédiat sans autre forme de procès. » Les syndicalistes de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) ont crié sur le toit que l’interdiction d’importer les véhicules de plus 10 ans d’âge a fait perdre à la société plus du quart de ses revenus.

L’affaire a été même politisée. Tenez : avant les syndicalistes, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), la Direction générale des douanes et accises (DGDA), l’Office congolais de contrôle (OCC), l’Office de gestion du fret multimodal (OGEFREM) et la SCTP ont mis à mal le décret de Matata. Depuis que cette mesure est entrée en application, le mécontentement était général dans la ville de Boma et a fini par gagner l’autre ville portuaire, Matadi. Ces deux principales villes de la province du Kongo-Central dépendent majoritairement de l’activité économique au port. Or il se fait que c’est le marché d’occasions (bilokos), essentiellement les véhicules qui fait tourner à plein régime les deux ports, et donc fait vivre la grande partie de la population.

Le décret du 2 octobre 2012 a été motivé, officiellement, par « la volonté de limiter l’impact nuisible des véhicules polluant l’environnement ». Mais il s’est avéré contre productif, car à la base de « l’assèchement des recettes au port international de Boma. » L’unique port, pour le moment, dans la partie ouest du pays, ouvert à l’importation des véhicules. La ville de Boma qui a été dernièrement rudoyée par des pluies diluviennes ayant causé plus de 50 morts et plusieurs dégâts matériels, vit économiquement en grande partie grâce au vieux port public.

La tension sociale qui couvait depuis l’application de cette mesure, a viré à la désobéissance civique et à la chasse aux non-originaires de la province du Kongo-Central, lancé par le gourou du mouvement politico-religieux Bundu-dia-Kongo, le député Ne Muanda Nsemi, aujourd’hui en détention à la prison de Makala. Le nombre des véhicules importés a sensiblement baissé, entraînant des conséquences sur la vie économique de Boma. Les navires qui ramenaient plus de deux mille voitures à Boma, en déchargent actuellement moins de cinq cents. Par conséquent, les recettes liées à l’importation ont sensiblement baissé, au détriment de tous les services précités.

Plusieurs agences en douane ont fermé leurs portes, faute de marchés. Livrés à l’oisiveté, certains jeunes déclarants ont fini par se lancer dans le banditisme dans la ville. Le gouverneur de la province du Kongo-Central, Jacques Mbadu, est, en effet, passé outre ce décret qui contraignait notamment tout importateur soit à détruire, soit à réexporter à ses propres frais tout véhicule d’occasion vieux de plus de 10 ans au moment de son dédouanement. Jacques Mbadu a, en effet, obtenu des hautes instances politiques du pays qu’un navire longtemps amarré à Boma déchargeât sa cargaison des centaines de voitures d’occase. Il a évoqué des raisons « d’impérieuse nécessité » pour sa province qui suffoquait déjà économiquement à la suite de ce décret. Et de l’avis des experts, les ports de Boma et Matadi étant la plaque-tournante de l’économie nationale, l’impact de la mesure devait affecter d’autres segments de l’économie nationale.

Il y a peu, le gouverneur de la Banque centrale, Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, s’est montré fort critique contre le fameux décret. « Cette mesure affecte les activités des banques à Boma, l’un des principaux ports où accostent les bateaux transportant les marchandises importées en RDC », avait-il lâché au cours d’une séance de travail avec les responsables des institutions bancaires de la place. Mais Matata Ponyo, est resté intraitable même face au plaidoyer du président national des importateurs de véhicules en RDC, Freddy Nkumu. Ce dernier estimait que ce décret était un « suicide collectif ». L’Algérie qui fait le frais, comme la RDC, de la baisse des cours mondiaux des matières premières, a levé l’interdiction d’importation des véhicules d’occasion décidée en 2002. L’essentiel est que ce soit un marché transparent où l’acheteur a des garanties suffisantes, a soutenu le gouvernement algérien.En RDC, la question fait polémique. D’aucuns pensent que le marché national des véhicules doit être organisé. D’autant plus que le marché des véhicules neufs est en berne. Pour d’autres, le décret de Matata a ceci de positif que les accidents de circulation ont sensiblement baissé. Par ailleurs, le gouvernement a installé des centres de contrôle technique, notamment dans la capitale pour détecter toute anomalie sur un véhicule. Le contrôle qui a été remis au goût du jour, coûte au bas mot 75 dollars. Dans le viseur, les véhicules appelés communément « ketch ». Plus de 25 000 roulent à Kinshasa, dont plus de 5 000 recensés comme taxis. Selon les estimations de la Commission nationale de prévention routière (CNPR), près d’un demi-million de véhicules rouleraient à Kinshasa.

En 2015, le gouvernement s’est engagé à implanter une usine de montage des véhicules dans la capitale. Rien n’est venu depuis lors. Par ailleurs, la législation congolaise a établi une dizaine de taxes et autres droits pour importer un véhicule au port de Boma, qui compte parmi les ports de plus chers du monde, selon des déclarants en douane. Pour un véhicule d’occase acheté à 1 000 euros en Europe, il va falloir payer 4 000 dollars à la douane, sans compter le sempiternel pourboire pour les agents des services de l’État.