Le dessous des cartes des missions de la SADC

Alors qu’à Kinshasa, on s’attendait la semaine dernière à la publication du cabinet Tshibala, on a plutôt assisté à une intense activité diplomatique. Les choses ne semblent pas aussi si simples qu’on le croit. Décryptage.

Selon un diplomate africain en poste à Kinshasa, « la République démocratique du Congo n’est pas n’importe quel pays ». Ce qui s’y passe ne doit pas laisser indifférent. C’est le sens qu’il donne aux récentes missions diplomatique et militaire dépêchées à Kinshasa par la Communauté de développement des États d’Afrique australe (SADC). Pour ce diplomate chevronné, « la nomination de Bruno Tshibala Nzenze au poste de 1ER Ministre, si ce n’est pas un passage en force du président Kabila, elle y ressemble fort ». Voilà qui suffit pour reparler de « crise politique en RDC » alors qu’on était proche d’une sortie de crise née de l’interprétation de la constitution sur la fin du second mandat du président de la République. Voilà qui suffit également pour justifier le balai diplomatique dans la capitale depuis la semaine dernière.

D’abord, côté cour 

Une délégation des chefs d’état-major des forces de défense de la Communauté de développement des États d’Afrique australe (SADC) est arrivée le 24 avril à Kinshasa. Parallèlement, le bruit courait que l’Union africaine allait aussi envoyer à Kinshasa une délégation afin de faire une évaluation de la situation politique et sécuritaire en RDC. Mais aucune source officielle dans la capitale n’a confirmé cette visite. Selon des experts proches du dossier, il semble que les chefs d’état-major des forces de défense de la SADC sont venus à Kinshasa pour discuter d’un éventuel « redimensionnement » de la Brigade d’intervention de la Mission de l’ONU au Congo (MONUSCO). La SADC, on le sait, est impliquée dans la résolution de la crise en RDC de manière significative plus que les autres organisations régionales depuis 1998. Elle apporte le gros des troupes à cette Brigade d’intervention qui est très active sur le théâtre des opérations dans l’Est du pays.

La mission des chefs militaires a succédé à une autre mission, celle-là diplomatique, conduite par le ministre des Affaires étrangères de la Tanzanie, Augustine Mahiga. Elle s’est apparentée à une mission de médiation à propos de la crise autour de la mise en œuvre de l’accord politique du 31 décembre 2016. Mais, en réalité, les missi dominici de la SADC sont venus plus pour écouter et recueillir les avis et les considérations des protagonistes de la crise, à savoir la Majorité présidentielle (MP) et le Rassemblement de l’opposition (RASSOP) pour une sortie de crise. C’est ainsi qu’ils ont eu des entretiens avec des officiels congolais, notamment le 1ER Ministre, l’entrant et le sortant ; avec les hommes politiques, notamment les représentants de la Majorité présidentielle et des deux courants antagonistes (OlenghaNkoy et Tshisekedi) du Rassemblement de l’Opposition ; avec les évêques catholiques qui ont conduit les négociations politiques ayant abouti à l’impasse…

Avant eux, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en RDC et patron de la MONUSCO, Maman Sidikou, a entamé des tractations avec les mêmes milieux politiques. Signe évident, si besoin était, que la communauté internationale se préoccupe de ce qui se passe en RDC.

Côté jardin, maintenant 

Que cachent toutes ces initiatives ? Dans le camp de la MP, on persiste et signe que les négociations politiques conduites par les évêques catholiques sont terminées. Il faut regarder désormais vers l’organisation des élections. En face, l’aile dure du Rassemblement de l’Opposition soutient que le président Kabila a violé l’accord politique du 31 décembre 2016, en nommant un 1ER Ministre qui n’est pas issu de ses rangs. Les divergences qui sont apparues au grand jour, montrent que la Majorité et l’Opposition n’arrivent pas à se parler pour l’intérêt supérieur de la Nation. C’est l’impression que les politiciens congolais ont laissé aux envoyés de la SADC. En d’autres termes, les politiciens n’ont pas la « culture politique » pour transcender leurs ego. Ce n’est pas nouveau de l’entendre. C’est la maladie qui frappe le pays depuis avril 1990. Ce qui a fait dire en 1991 à l’ancien opposant sénégalais devenu président de la République, Abdoulaye Wade, venu en médiateur que les politiciens congolais manquent de culture politique. Vilipendé et traité de tous les noms d’oiseaux, Wade ne remit plus les pieds en RDC.

Récemment, le facilitateur de l’Union africaine dans la crise politique en RDC, Edem Kodjo, aurait également confié la même chose… Traité de « Kabiliste » par le Rassemblement, il a organisé en septembre 2016 un dialogue politique sans justement le Rassemblement, accusé de ne pas faire preuve de « maturité politique » lors des négociations. Alors, les Congolais sont-ils nés pour ne pas s’entendre, s’est interrogé le diplomate africain. Dans les salons politiques de Kinshasa, les missions de la SADC sont diversement commentées. Pourtant, a laissé entendre un membre de la délégation de la SADC, la démarche n’a pas consisté à apporter un quelconque soutien de l’organisation à qui que ce soit. La SADC qui est une organisation régionale réputée pour son orthodoxie, se préoccupe de la situation de la RDC en tant qu’État.

De ce point de vue, estime ce diplomate africain, une RDC instable sur le plan politique et sécuritaire, c’est une menace pour la région, surtout pour les pays de « la ligne de front » qui ont acquis chèrement leur indépendance, et qui tiennent à l’intégration économique comme moteur de développement. Au dernier sommet de la SADC à Mbabane au Swaziland, la problématique de « l’énergie durable » a été au centre des discussions. Et il n’y a que la RDC qui a le potentiel requis pour permettre à la SADC de gagner le pari de l’industrialisation. En effet, cela fait des années que les élites africaines appellent à l’industrialisation du continent comme condition majeure au développement. Mais les dirigeants politiques ont eu des agendas et des priorités qui n’ont pas été souvent en accord avec elles. Cette fois-ci, les gouvernants semblent avoir entendu raison.

Le secrétaire exécutif de la SADC a insisté sur la nécessité de mobilisation des ressources en vue de la mise en œuvre du plan d’action et de la stratégie d’industrialisation de la SADC. Pour lui, le sommet avait pour but de lever les options, de définir les opportunités et les défis à relever, pour une meilleure formulation des recommandations politiques. Autant les questions d’intégration économique ont été au centre des discussions, autant la situation en RDC a retenu l’attention du sommet. Qui a d’ailleurs encouragé « toutes les parties prenantes dans les efforts déployés pour résoudre les défis politiques et sécuritaires. »

C’est dans ce contexte que les chefs d’état-major des forces de défense ont fait le déplacement de Kinshasa pour des discussions avec les officiels congolais mais aussi avec la MONUSCO. C’est l’une des plus anciennes et des plus coûteuses forces de l’ONU dans le monde avec un budget annuel de 1,2 milliard de dollars.

« Ne pas jouer avec le feu »

Elle évolue dans un environnement particulièrement troublé et violent du fait des échéances électorales. Le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité, le 31 mars, le renouvellement pour un an de la mission, qui va continuer à opérer avec 16 215 casques bleus maximum, soit à peine 500 militaires de moins sur le terrain que lors du précédent mandat. Pour la France, réduire significativement les forces de la MONUSCO, c’est « jouer avec le feu », alors que les violences se sont étendues de l’Est de la RDC à la région centrale du Kasaï, où récemment deux experts indépendants de l’ONU ont été enlevés et retrouvés morts. Les Américains qui souhaitaient la réduction des troupes onusiennes ne veulent pas être vus comme « responsables du chaos si les foyers d’instabilité se multiplient à mesure qu’on approche des élections ».

Une MONUSCO plus mobile et plus efficace doit intervenir en soutien du processus électoral congolais, avec la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre 2016, pour une transition pacifique du pouvoir entre Joseph Kabila et l’opposition. Mais la résilience du président depuis seize ans à la tête du pays laisse craindre des violences à plus grande échelle, s’inquiète-t-on dans des milieux politiques. D’après ce diplomate africain, les envoyés de la SADC seraient venus s’enquérir si les élections auront bel et bien lieu. Il estime que le Rassemblement a raté le coche ou l’occasion de montrer aux envoyer de la SADC qu’elle est « l’alternative crédible » pour l’alternance politique en RDC. Le baroud d’honneur de l’opposition  « n’est pas productif » à ses yeux. « Le Rassemblement doit comprendre que la communauté internationale est bien sûr limitée. L’opposition doit comprendre que ce n’est pas l’étranger qui va la faire asseoir au pouvoir », explique-t-il. « Si le Rassemblement n’avance pas, alors nous sommes vraiment inquiets pour l’avenir. », souligne-t-il.