Le tribunal de commerce de Bruxelles embarrassé dans l’affaire Gécamines Vs Groupe Forrest 

Le verdict devait tomber le 20 avril dans le règlement du litige entre la Gécamines et le groupe Forrest, qui sollicitait l’arbitrage de la juridiction bruxelloise à propos d’une mine à Lubumbashi. 

Les deux compagnies ont conclu en 1997 un accord pour la création d’une coentreprise dénommée GTL, ayant le droit de produire annuellement 5 000 tonnes de cobalt sur 15 ans. Le litige est né le 23 mars, lorsque la Gécamines, société d’État a bloqué l’accès au site du projet à GTL. Motif : la coentreprise avait dépassé la production totale autorisée par le contrat initial (75 000 t), en produisant plus de 82 000 tonnes de cobalt. « Ce n’est tout simplement pas vrai. En dépit de nos requêtes, Gécamines n’a fourni aucune preuve pour ses calculs.», a déclaré le CEO du groupe, George Forrest, dans une interview accordée à Bloomberg, le 15 avril.

Pour sa ligne de défense, le groupe Forrest déclare avoir produit 64 478 tonnes dans la période de 15 ans. Il indique également que l’accord initial avait été modifié en 2013, donnant droit à GTL de continuer à produire du cobalt jusqu’à l’épuisement des résidus du gisement. Une évaluation réalisée en octobre 2013 a montré que la mine hébergeait encore 1,47 million de tonnes de minerai, ce qui équivaudrait à 5 ans d’opérations supplémentaires. GTL est détenu à 70 % par le Groupe Forrest et à 30 % par Gécamines.

Rappel des faits

Le litige né de ce conflit a été porté devant le Tribunal de commerce de Bruxelles, compétent en la matière. C’est donc 20 ans de vie commune qui s’envolent en fumée. Tout commence en octobre 2016, quand la Gécamines et le Groupe Forrest qui détient 70 % des parts de la joint-venture GTL, procèdent à des évaluations sur la part du terril contractuellement lié au projet. Mais fin 2016, la Gécamines décide d’une contre-évaluation par ses propres services techniques. Conclusion : GTL est allé au-delà du seuil de la production totale autorisée, soit 64 500 tonnes.

Le Groupement du terril de Lubumbashi (GTL) et la CMSK comptent parmi les grandes joint-ventures convenues entre la Gécamines et le Groupe-Forrest. Le projet remonte à 1997. Les termes du contrat stipulent que GTL achète les résidus de l’exploitation du terril de Lubumbashi, ce qui constitue pour la Gécamines des revenus très importants. Selon certains médias, l’achat des résidus par GTL rapporterait à l’entreprise publique quelque 6 millions de dollars le mois. Les premiers rififis dans le couple des minings sont survenus après 10 ans de mariage, quand la Gécamines a accusé, non sans raison, le Groupe Forrest d’exploiter d’autres minerais sous le couvert de GTL, dont le germanium et le zinc.

Pour l’harmonie du couple, le Groupe Forrest a consenti à transformer le zinc, qui, selon lui, s’échappait plutôt en fumée, en produits consommables, grâce à une technologie de pointe et laisser toute la production à la Gécamines. Après quasiment deux années de dégringolade, les cours mondiaux du cobalt repartent au galop. Ils ont, en effet, atteint leur plus haut niveau depuis 2010. Un niveau qui reflète l’intérêt des investisseurs pour ce métal. Une matière première qui entre dans la composition des téléphones portables ou des voitures électriques. Depuis septembre 2016, le prix du cobalt a augmenté de 50 %  à 75 % selon des sources, alors que la demande mondiale de cobalt a dépassé l’offre. Début mars, la tonne métrique du cuivre se négocie à près de 25 000 dollars. La RDC est, aujourd’hui, le premier producteur (près de 60 % de la production mondiale) et le premier réservoir mondial de cobalt. La production du cobalt de la société GTL est achetée depuis 2015 par Glencore, le plus grand producteur de cobalt au monde. Le géant suisse a, en effet, investi 960 millions de dollars afin de renforcer sa propriété dans deux mines congolaises de cobalt et de cuivre : Mutanda Mining (31 %) et Katanga Mining Ltd (10,3 %). Selon l’agence Bloomberg, une société nommée Shamrock Global Group Inc. a exprimé son intérêt de développer une partie du terril de Lubumbashi. Bloomberg fait état d’un pas-de-porte possible de 45 millions de dollars à la Gécamines. Et voilà que le 23 mars 2017, la direction de la Gécamines coiffée par le tout puissant PCA, Albert Yuma, fait bloquer l’accès du terril à quelque 350 agents de GTL.

Le terril de Lubumbashi apporte environ 4 % de la production du cobalt commercialisé au niveau mondial. Des sources proches du  groupe belge rapportent que depuis 2001, GTL a rapporté un milliard de dollars à la Gécamines. Avec les cours actuels du cobalt, du cuivre et du zinc, l’apport de GTL aurait boosté les revenus de la Gécamines à plus de 80 millions de dollars sur les douze prochains mois.

Impact social

Hélas, Albert Yuma allait devoir en découdre devant le tribunal de commerce de Bruxelles avec Georges Arthur Forrest… une fois encore. L’on se souviendra que le président du conseil administration de la Gécamines a eu gain de cause devant la justice internationale dans le conflit opposant la Gécamines – qu’il gère comme une entreprise privée, a-t-il dit sur les ondes de RFI – au Groupe Forrest dans l’affaire CMSK (Compagnie minière du Sud-Katanga). La Gécamines, en sa qualité d’actionnaire B dans la joint-venture CMSK, a, en effet, racheté les parts sociales d’EGMF dans CMSK, pour quelque 58 millions de dollars alors que le groupe belge avait monté un stratagème pour vendre ses parts à une entreprise tierce.

Affaire CMSK

En juillet 2015, la Gécamines a cédé le permis d’exploration 527, récupéré par elle lors de la  fusion-absorption de sa filiale CMSK, à la société Congo Dongfang International, une société de droit congolais, mais filiale du groupe chinois Huayou Cobalt. Coût de la transaction : 52 millions de dollars. Le permis englobe, en pratique, les gisements de Luiswishi et de Lukuni ainsi que les remblais s’y trouvant, renfermant au total 354 619 tonnes de cuivre et 62 903 tonnes de cobalt. Cette transaction laisse penser à une perte de 6 millions de dollars entre l’opération de rachat (58 millions de dollars) et de revente (52 millions). Selon la Gécamines, cette opération de vente a au contraire permis de réaliser une plus-value, d’autant plus que la société conserve le concentrateur et le siège. Elle garde également les autres titres miniers, dont les permis d’exploration 2603, 532, 7571 ainsi que les permis de recherches 1054, 1066, 2358 et 2808 qui faisaient partie du patrimoine de CMSK. Cependant, le 1er mai 2016, environ trois cents agents de l’ex-CMSK vont réclamer le paiement de leurs arriérés de neuf mois des salaires. Selon la délégation syndicale de l’ex-CMSK, dont le patrimoine et les agents ont été transmis à titre universel à la Gécamines, la grande entreprise de l’État n’a rien respecté de ce contrat. « Les autorités avaient promis de respecter le contrat de chaque travailleur tel qu’il était à CMSK. Mais grande est notre désolation de constater que le concentrateur qui était en train de tourner convenablement est arrêté depuis juin 2015, provoquant l’oisiveté des agents. L’usine est même dans le noir et ce sont maintenant des vols qu’on commence à enregistrer… Les travailleurs de GTL redoutent de subir la même situation. « Si je n’ai pas accès au site, je vais devoir fermer et envoyer au chômage près de 350 personnes », a averti le DG de GTL, Enzo Baccari.