DANS LE CADRE de l’accord désormais résilié, Shandong Gold Mining Co. Ltd., cotée à Shanghai, a fait une offre d’environ 230 millions de dollars (canadiens), dette non comprise, pour le rachat des ressources de la société torontoise TMAC Resources Inc. Celle-ci a développé en 2018 une mine d’or à Hope Bay, au Nunavut. Pourquoi cet accord a été refusé par le gouvernement canadien ? D’emblée, il faut dire qu’au Canada, tous les investissements étrangers sont sujets à examen en vertu de la loi sur Investissement Canada. Les examens sont menés au cas par cas dans le cadre d’un processus rigoureux et fondé sur des preuves.
Avenir incertain
La compagnie TMAC, explique un expert minier congolais travaillant au Canada, était à la recherche d’un investisseur pour surmonter les défis opérationnels auxquels elle fait face. D’après lui, la compagnie est endettée jusqu’au cou, ce qui rend de plus en plus son avenir incertain. Cependant, poursuit-il, le gouvernement canadien a estimé que ce qui a été construit au Nunavut est important pour le Canada.
D’ailleurs, Jason Neal, le directeur général de TMAC, considère l’attitude du gouvernement canadien comme « une lueur d’espoir ». Selon lui, le gouvernement canadien devrait soutenir davantage les entreprises qui construisent des infrastructures dans l’Arctique. Face à son avenir incertain, TMAC avait annoncé une revue stratégique courant janvier. L’entreprise a dû faire face à des coûts d’exploitation élevés car toutes ses fournitures doivent être expédiées par voie aérienne ou maritime. Ce qui a vraiment été une mouche dans une pommade, c’est le moulin qui n’a jamais bien fonctionné et n’a jamais répondu aux attentes, entraînant une baisse de la récupération et de la production d’or et des difficultés de remboursement de la dette auprès de la Banque Laurentienne qui couvre TMAC.
L’entreprise a dû faire face à une épidémie de Covid-19 dans ses installations et a fonctionné à capacité réduite, produisant 18 000 onces d’or au troisième trimestre, contre 38 000 à la même période en 2019. Bien qu’il dispose de 71,5 millions de dollars en espèces, une grande partie de cette somme servira au remboursement de la dette, que Sprott Lenders avait mis en attente pendant la vente. En outre, TMAC a publié une étude de préfaisabilité suggérant qu’il faudrait environ 600 millions de dollars pour résoudre certains des problèmes opérationnels.
La société a une dette d’environ 170 millions de dollars à échéance en juin, qu’elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas payer. Bien que l’entreprise soit confrontée à des défis, il y a des avantages à l’échec de l’accord, dit Allan de la Banque Laurentienne. Les prix de l’or ont augmenté d’environ 10 % depuis mai, ce qui pourrait attirer de nouveaux acheteurs à la table.
Tensions accrues
C’est au mois de mai 2020 que TMAC a annoncé son accord avec Shandong Gold Mining, au moment où la peur de la pandémie de coronavirus atteignait un pic initial, et une grande partie du pays restait fermée. En juin, 97 % des actionnaires de TMAC, y compris les plus importants, Resource Capital Fund et Newmont Corp. (la plus grande société minière aurifère au monde), tous deux basés au Colorado et qui contrôlent ensemble 53 % de la société, ont voté en faveur de la vente.
Mais la nouvelle de la fusion est survenue dans un contexte de tensions accrues entre le Canada et la Chine. En effet, en décembre 2018, la GRC a arrêté Meng Wanzhou, une résidente permanente du Canada. C’est la fille du fondateur de Huawei Technologies Ltd., également directrice financière du géant chinois des télécommunications. Meng Wanzhou est sous le coup d’une procédure d’extradition vers les procureurs américains qui l’ont accusée d’avoir violé les sanctions contre l’Iran, comme le vol de secrets commerciaux. En réaction, la Chine a arrêté deux Canadiens accusés d’espionnage: Michael Kovrig, analyste à l’International Crisis Group à Washington et ancien diplomate, et Michael Spavor, un entrepreneur.
Le rejet par le gouvernement canadien du rachat de TMAC par Shandong Gold Mining est interprété comme faisant partie d’une tendance à moins d’investissements de la Chine au Canada. C’est dire que les préoccupations de sécurité nationale invoquées par le gouvernement canadien ne sont que prétexte, étant donné que la société minière d’État chinoise exploite déjà une mine d’or dans l’Arctique. D’ailleurs, explique encore cet expert minier congolais, le sondage réalisé en 2020 par la Fondation Asie Pacifique du Canada, un organisme sans but lucratif basé à Vancouver et financé par une dotation gouvernementale pour favoriser le commerce avec l’Asie, montre que 75 % des Canadiens s’opposent à davantage d’investissements chinois dans les ressources non renouvelables au Canada.
Et de rappeler que ce n’est pas la première fois que le gouvernement canadien bloque une prise de contrôle chinoise. En 2018, par exemple, il a invoqué la sécurité nationale pour bloquer le rachat de 1,5 milliard de dollars (canadiens) de la société de construction et d’ingénierie Aecon Group Ltd. par une société d’État chinoise. Les investissements chinois au Canada ont diminué, passant de 9,9 milliards de dollars en 2017 à moins de 2 milliards de dollars en 2020, selon le China-Canada Investment Tracker du China Institute.
En ce qui concerne l’achat de TMAC, certains analystes en sécurité se sont demandé si le contrôle par une entreprise chinoise de ses actifs dans l’Arctique poserait un risque stratégique. Les actifs comprennent la mine d’or et les installations de traitement, les camps, la production d’électricité, les communications par satellite ainsi que deux pistes d’atterrissage et un port de marée – et les bateaux peuvent accoster à plusieurs kilomètres au large de la côte et se décharger sur une barge.
Le sentiment anti-investissement chinois semble un tout petit peu « exagéré », estiment certains analystes, à propos du risque de sécurité des actifs de TMAC, étant donné l’investissement chinois dans la technologie canadienne ou les entreprises de défense pour leur propriété intellectuelle. En effet, les investissements chinois dans l’Arctique canadien augmentent.
Une autre société minière chinoise appartenant à l’État, MMG Resources Inc., contrôle les gisements de zinc-plomb et de cuivre dans l’ouest du Nunavut, bien que la construction de mines ne semble pas imminente; et des sociétés d’État chinoises ont investi dans des sociétés telles que Sabina Gold et Silver Corp., qui développe une mine au Nunavut.