Le gouvernement dit oui à l’argent et non à la main qui donne

La controverse est loin de se terminer sur l’assistance de la communauté internationale en faveur de victimes de violences en RDC. Alors qu’il a boudé la conférence des donateurs à Genève, l’exécutif veut tout de même garder la main sur la manière dont cela va se faire.

 

Le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) juge « positifs » les résultats de la conférence des donateurs sur la situation humanitaire en République démocratique du Congo, même si les fonds promis représentent environ le tiers des besoins évalués à 1,7 milliard de dollars. Selon le chargé de communication et de plaidoyer à l’OCHA Kinshasa, Yvon Edoumou, cité par Radio Okapi, la famille humanitaire travaille depuis janvier sur terrain avec ce qu’elle a. Mais elle va continuer à faire le plaidoyer pour obtenir des fonds additionnels. Au total, ce sont 528 millions de dollars qui ont été promis par des donateurs à Genève, le 13 avril, pour l’aide humanitaire en RDC lors d’une conférence à l’initiative de l’ONU, de l’Union européenne et des Pays-Bas, mais boycottée par le gouvernement.

Le montant est bien inférieur aux attentes des organisateurs qui espéraient entre 1,7 et 2,2 milliards de dollars pour aider 13 millions de Congolais dont 4,5 millions de déplacés, selon les Nations unies. Kinshasa nuance : entre 200 000 et 300 000 déplacés. L’ONU et les ONG font aussi état de 7,7 millions de personnes touchées par l’insécurité alimentaire et plus de deux millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère. « Nous sommes déçus que trop peu de pays envoient un vrai message d’espoir aux millions de Congolais qui ont désespérément besoin d’aide », a réagi le secrétaire général de l’ONG Conseil norvégien pour les réfugiés présente en RDC, Jan Egeland.

Le patron de la branche humanitaire des Nations unies, Marck Lowcock, s’est cependant déclaré « content » du résultat de cette conférence à laquelle ont participé 54 pays. « La communauté internationale a maintenu que « la République démocratique du Congo expérimente l’une des plus graves crises humanitaires au monde », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un message vidéo envoyé à Genève.

L’attitude de Kinshasa

Le gouvernement a très mal accueilli l’idée que cette conférence soit en quelque sorte préparée sur son dos et que la RDC y participe comme simple « invité ». C’est pourquoi, il l’a boycottée en indiquant qu’il ne s’oppose pas à l’aide promise. Néanmoins, le gouvernement entend garder la main sur la destination finale de l’aide. Selon le porte-parole du gouvernement, le ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mende Omalanga, une agence va être mise sur pied, avec en son sein une commission interministérielle pour gérer cette aide avec les organismes onusiens et les ONG.

En fait, Kinshasa n’a pas du tout apprécié que les Nations unies aient déclenché en octobre 2017 « le niveau d’alerte humanitaire 3 » dans trois régions du pays (Kasaï, Sud-Kivu, Tanganyika) pour six mois. Pour le gouvernement, cette classification assimile la RDC à des pays en guerre comme la Syrie et le Yémen. Le gouvernement estime que cette appréciation ne reflète pas la situation humanitaire dans le pays et a promis 100 millions de dollars pour aider la population en situation de crise humanitaire.

Dans ce qui ressemble à un dialogue des sourds, l’ONU laisse entendre qu’elle va travailler en « étroite collaboration » avec le gouvernement. Des discussions sont en cours quant à l’organisation d’un événement de suivi des résultats de la conférence de Genève. Outre les quelque 1,7 milliard de dollars attendus par les organisateurs de la conférence de Genève, le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) a aussi demandé 504 millions pour les réfugiés congolais dans les pays voisins (800 000 d’ici la fin de l’année, selon le HCR). La RDC accueille aussi plusieurs centaines de milliers de réfugiés venus de la Centrafrique, du Soudan du Sud, Burundi, Rwanda, etc.) en raison des déplacements croisés des populations fuyant les conflits.

Avec une superficie de 2 345 000 km2 et neuf frontières, la RDC est en proie en certains endroits du territoire à des conflits nourris par les milices et les groupes armés, que l’armée régulière ni la mission onusienne la plus importante du monde (MONUSCO) ne parviennent pas à enrayer. Dans le Kivu (Est), des groupes armés congolais ou étrangers tuent, enlèvent et pillent. Au Tanganyika (Sud-Est), un conflit entre milices bantous et pygmées, en 2016-2017, a fait des centaines de milliers de déplacés. Au Kasaï (centre), la région se relève avec peine des violences entre forces de sécurité et milices « politico-religieuses » Kamuina Nsapu. Au moins 3 400 personnes tuées et 1,4 million de déplacés. Des tueries ont repris en Ituri… D’après les humanitaires, cette insécurité aggrave la situation des Congolais qui vivent en grande majorité dans la pauvreté, pourtant le pays déborde d’énergie où les richesses du sous-sol enrichissent certaines personnes. Le vice-1ER Ministre et ministre des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, a récemment déclaré sur les antennes de RFI que le gouvernement accepte la solidarité internationale et qu’il veut être associé aux décisions sur la manière dont ses fonds promis seront utilisés. La situation humanitaire jugée « dramatique » s’est largement aggravée depuis deux ans et a poussé l’ONU à organiser cette conférence des donateurs. 

Le cycle de violence

Depuis octobre 2014, l’ONU estime que plus de 700 civils ont péri dans les massacres frappant régulièrement le territoire de Beni, et les attribue aux rebelles ADF. D’autres observateurs donnent une part de responsabilité à l’armée, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Les groupes de combattants Maï-Maï (groupes armés se considérant insensibles aux balles) essaiment aussi dans la région. L’Alliance des patriotes pour un Congo libre, considéré comme le plus structuré parmi ces groupes, combat l’armée à Walikale, à l’Ouest de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Les Maï-Maï Mazembe, membres de l’ethnie Nande, commettent fréquemment des massacres contre les populations hutus, comme en janvier 2018 où 34 civils ont été tués dans un camp de déplacés près de Lubero, au Nord de Goma.

De même, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, hutus), composées en partie d’anciens génocidaires rwandais, et affaiblies aujourd’hui, sont accusées d’atrocités et de braconnage dans le parc des Virunga, à la frontière ougandaise. La province du Sud-Kivu, à la frontière burundaise, n’est pas épargnée.