Le processus de réforme administrative a du plomb dans l’aile. L’absence d’animateurs à la tête des entités nouvellement créées donne libre cours au désordre et à la confusion. D’où des mesures préventives.
Depuis juin, les anciennes provinces ont été démembrées. Du coup, le calendrier électoral global de février 2015 est devenu caduc. L’organisation de l’élection des gouverneurs intérimaires pour administrer les nouvelles provinces a ouvert une période d’incertitudes politiques. D’où l’idée de nommer des commissaires spéciaux dont les compétences et les prérogatives ne sont régies par aucun texte de loi, ni par l’arrêt de la Cour constitutionnelle, encore moins par la Constitution elle-même. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’injonction du vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab, aux Assemblées provinciales de ne tenir aucune session jusqu’à nouvel ordre.
Après le démembrement des anciennes provinces, le gouvernement semble dépassé par les événements.
Il est difficile de dire si ses tâtonnements actuels résultent de l’impréparation ou d’une mauvaise interprétation des textes légaux. Pour couronner le tout, Boshab vient de décider le gel du transfert aux provinces et aux entités territoriales décentralisées (ETD) des recettes provenant de la rétrocession des 40 % prévue pour assurer le fonctionnement et les investissements à la suite de la confusion qui règne dans les 21 provinces.
Officiellement, cette décision est motivée par l’absence de dirigeants des institutions provinciales élues, à savoir le gouvernement provincial et l’Assemblée provinciale, dans la mesure où les anciens gouverneurs ne sont plus autorisés à percevoir les recettes et à les affecter au fonctionnement et aux investissements en cette période.
À Kinshasa, le gouvernement envisage de diligenter un audit pour faire l’état des lieux des finances des provinces. Objectif : connaître les affectations des recettes provenant de la rétrocession et des recettes propres, étant donné que les entités issues des anciennes provinces ont décidé de bloquer celles qui ont été mobilisées sans aucune instruction de l’autorité budgétaire. Le rapport de la rétrocession du ministère du Budget indique que, pendant l’exercice 2014, avant le découpage territorial, le gouvernement central a rétrocédé au titre de frais de fonctionnement au premier semestre, un montant de 7,2 milliards de francs à la ville de Kinshasa ; 12,4 milliards au Katanga ; 6,9 milliards à la Province- Orientale ; 6,5 milliards à l’Équateur ; 7,4 milliards au Bas-Congo…
Selon une source du ministère du Budget, depuis le démembrement des provinces, aucune des 21 provinces ne fournit de renseignements sur les recettes mobilisées depuis l’entrée en vigueur de la loi de programmation du 28 février 2015. L’arrêt de la Cour constitutionnelle est venu jeter le trouble dans les esprits en enjoignant, courant septembre, le gouvernement de prendre des mesures d’urgence pour ne pas bloquer le fonctionnement des provinces créées. Chaque camp politique en présence a sorti la grosse artillerie. Si d’aucuns trouvent que les décisions de cette Cour sont immédiatement exécutoires, opposables à tous et sans appel, d’autres rétorquent qu’elle a outrepassé ses prérogatives et favorisé le glissement – un néologisme à la mode dans le microcosme politique congolais.
Au-delà des querelles politiques, la décentralisation engagée est en train de montrer ses limites. Dans une tribune publiée en août, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito mettait déjà en garde contre un découpage précipité. Il expliquait ainsi quelques faiblesses du processus et rappelait qu’en matière de rétrocession de 40 % des recettes à caractère national par le gouvernement central au profit des provinces, ces dernières n’avaient pas reçu, de manière significative, les crédits votés par le Parlement. Les nouvelles provinces, pour le reste de l’année en cours, n’ont pas de budget pour leur fonctionnement ainsi que pour les rémunérations des personnels politiques et administratifs d’appoint.
Le nerf de la guerre
Pour l’exercice 2016, si le prochain budget en ressources propres du gouvernement central en préparation maintenait les normes de répartition de 2015, et compte tenu de la baisse des cours des produits miniers sur le marché mondial et de réalisations probables à la fin décembre, les comptes des 26 provinces seront dans le rouge. Le montant qui pourrait leur être alloués en 2016 au titre de crédits de fonctionnement s’élèverait à 321 milliards de francs, celui des investissements provinciaux pourrait baisser de 1 103 à 750 milliards de francs, soit 353 milliards de francs en moins. La rétrocession au titre du fonctionnement va augmenter de 79 milliards de francs. « Il s’agit d’une grande évolution par rapport aux exercices précédents, mais celle-ci reste insuffisante compte tenu du fait que le nombre de provinces va passer de 11 à 26 », expliquait Muzito.
Passant vite à sa tablette, il prenait comme hypothèse de travail une répartition égalitaire, non pas aux 11, mais aux 26 provinces, du montant de 321 milliards de francs. Les crédits de fonctionnement moyen seront de 12 milliards de francs par an et par province. L’application de cette option impliquera deux conséquences. Selon lui, chaque province recevra des crédits de fonctionnement en-dessous du seuil actuellement versé au Maniema en 2015, c’est-à-dire 14 milliards de francs. Les crédits des provinces de Kinshasa, du Kongo-Central, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu devront être rabattus respectivement de 14 milliards, de 10 milliards, de 7 milliards et de 8 milliards de francs. Cela représente un crédit mensuel de 1 milliard de francs pour chaque province, soit 1,1 million de dollars pour le fonctionnement.
En alignant les nouvelles provinces sur un minimum de 14 milliards de francs, et en maintenant celles qui n’ont pas été démembrées à leur niveau de 2015, des crédits de 412 milliards de francs sont nécessaires pour le fonctionnement. Et les crédits d’investissements seront réduits dans la même proportion. Quant aux ressources propres, elles seront toujours faibles du fait des assignations parfois fantaisistes de la part des autorités budgétaires (c’est le cas du Bandundu et de l’Équateur) et de leur faible niveau de mobilisation, lequel se situe à moins de 30%. Dix ans après la promulgation de la loi fondamentale, Muzito tirait ses conclusions : la Constitution de février 2006, comme projet de société du pays, n’a pas connu un niveau significatif d’exécution en ce qui concerne les objectifs du régionalisme constitutionnel et de la décentralisation qu’elle consacre. Les communautés locales n’ont pas obtenu de la part de l’État un minimum de conditions de base pour amorcer leur développement et leur prise en charge. Les textes légaux de référence ont pris du retard en termes d’élaboration et d’application.
Sans ressources
Les transferts de ressources et de pouvoirs n’ont pas été effectifs de la part du pouvoir central au profit des provinces et des entités décentralisées. Leur installation se fait dans la précipitation et l’impréparation. Elles sont sans ressources pour l’exercice en cours et risquent de ne pas en disposer significativement dans le court et le moyen termes si le gouvernement ne change pas d’orientation pour l’avenir. La non-application de la Constitution sur toutes ces questions donne des arguments à ceux qui accusent la forme unitaire de l’État comme porteuse de velléités centralisatrices du pouvoir de la part des autorités nationales.
L’actuel gouverneur du Kongo-Central, Jacques Mbadu, alors sénateur, s’inquiétait également des dispositions constitutionnelles comme celles de l’article 175 sur la rétrocession aux provinces ou la retenue à la source de 40 % des recettes à caractère national qui donnent lieu à des interprétations contradictoires. À ce sujet, dans les provinces actuellement appelées « G3 », à savoir l’ex province du Bas-Congo, l’ex-Katanga et Kinshasa, certains crient haut et fort que ces 40 % concernent bel et bien les recettes perçues sur leurs territoires. Par contre, dans les huit autres provinces appelées « G8 », d’autres déclarent qu’il s’agit de 40 % de recettes produites dans l’ensemble du pays et qu’il faut rétrocéder équitablement à toutes les régions. La répartition des recettes des grandes entreprises est aussi contestée. En effet, certaines sociétés payent leurs impôts à Kinshasa, alors que les richesses ont été créées dans plusieurs provinces à la fois. C’est le cas de la Société nationale d’électricité (SNEL), la Régie de distribution d’eau (REGIDESO), la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), la Régie des voies aériennes (RVA), la Société commerciale des transports et des ports (SCPT), ex-ONATRA…Le refus de rétrocéder les recettes des pétroliers producteurs à la province du Kongo-Central présage de violents orages politiques, car il n’est pas normal de dire, d’une part, que les 40 % ne peuvent faire l’objet d’aucun débat sous peine de violer la Constitution et de soutenir, d’autre part, qu’il faut soustraire des recettes des pétroliers producteurs des sommes à rétrocéder à la province du Kongo-Central pour permettre le paiement de la dette publique. Il en est de même des recettes issues des transactions douanières à l’import comme à l’export qui bénéficient aux provinces du Kongo-Central et de l’ex-Katanga alors qu’elles ne sont ni consommatrices finales des marchandises importées ni productrices des biens exportés.
Faiblesses du découpage
Toutefois, cette opportunité présente des faiblesses dans la mesure où le découpage actuel a pour socle la transformation des anciens districts en provinces, excepté le Bas-Congo. Apparemment, l’on n’a pas tenu compte des critères objectifs de viabilité des nouvelles provinces. Il n’y a eu ni recensement, ni consultation préalable des populations concernées, ni inventaire des ressources disponibles dans chaque province créée, ni consolidation du sentiment du vouloir-vivre collectif, ni formation d’experts et animateurs de la territoriale. Bien plus, on n’a pas non plus tenu compte des infrastructures administratives ; du redéploiement des fonctionnaires ; des moyens financiers à mobiliser pour appliquer la décentralisation ; des textes réglementaires ; du renfoncement des capacités de gestion. À l’heure actuelle, certaines provinces créées manquent presque de tout : les anciens districts ont du mal à assumer leur nouveau statut.