Le Kenya assume seul le coût du projet régional LAPSSET

Le gouvernement a renouvelé son engagement vis-à-vis de l’initiative et les investisseurs internationaux envoient des signaux positifs. Le rêve deviendra bientôt réalité.

Le gouvernement kényan a décidé de prendre en charge seul les coûts du projet d’intégration régionale dénommé « Corridor de transport Lamu-Soudan du Sud-Éthiopie (LAPSSET ». Ces coûts étant passés de 16 milliards à 24,7 milliards de dollars, le gouvernement kényan y a alloué 16 % de son budget 2016-2017. Il a opté pour un schéma financier qui lui permettrait de régler les 24 milliards de dollars en plusieurs fois. La première phase du projet sera la construction de 32 postes d’accostage pour le port de Lamu, la ville côtière historique du Kenya et siège du mégaprojet LAPSSET. Le même schéma a été adopté pour les routes, la voie ferrée, la raffinerie de pétrole, les stations balnéaires et trois aéroports. En 2013, l’entreprise de construction publique chinoise, China Communications Construction (CCC) a remporté un contrat de 478,9 millions de dollars afin de construire les trois premiers postes d’accostage à l’échéance de 2019. Plus de 5 000 emplois ont été créés depuis le lancement de ce projet en 2012. Les emplois juniors de première catégorie requièrent une instruction et une formation dont les habitants de la région sont pour la plupart dépourvus.

Les opportunités de seconde catégorie, telles que les échanges et le commerce  locaux informels, risquent de ne pas profiter immédiatement à la population locale, qui n’a ni accès au capital ni aux prêts bancaires. Ce projet d’envergure qui se chiffre à 25 milliards de dollars, prévoit de relier les quatre pays (Kenya, Éthiopie, Ouganda et Soudan du Sud) par une voie ferrée, une autoroute, un oléoduc et un câble de fibre optique. Il comprend également plusieurs aéroports, des stations balnéaires, une raffinerie de pétrole, un port à Lamu et bien d’autres petits projets d’infrastructures.

Une fois construite, la voie ferrée permettra de rejoindre le corridor de l’Afrique de l’Ouest (Douala-Lagos-Cotonou-Abidjan) qui traverse le Cameroun, le Nigéria, le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Les experts considèrent que ce projet porte la vision d’intégration régionale de l’Union africaine (UA) qui envisage un continent en paix, prospère et intégré économiquement d’ici à 2063. Depuis l’Assemblée générale de l’UA en 2015, le projet fait partie de l’Initiative présidentielle des champions des infrastructures de l’UA (PICI).

Un début prometteur

La construction d’un second port à Lamu, plus grand que le port actuellement saturé de Mombasa, est également prévue afin de promouvoir le Kenya comme une plaque tournante logistique pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique.  Le projet semble prometteur mais est longtemps resté au placard. Conçu  en 1972, soit neuf ans après l’indépendance du Kenya, la jeune République n’avait pas les moyens de ses ambitions. En 2008, il a été remis à l’ordre du jour par le président Mwai Kibaki qui espérait qu’une partie des 16 milliards serait financée par les budgets nationaux. En mars 2012, le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi (décédé) et le président Kibaki s’étaient rendus à Lamu pour poser la première pierre de l’édifice. Le Kenya a d’abord reçu des garanties financières des investisseurs privés étrangers.

Cependant, certains pays comme le Brésil, la Chine, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, le Qatar ou la Corée du Sud, n’ont pas respecté leurs engagements. L’Éthiopie, le Kenya, et le Soudan du Sud ont donc été contraints de mobiliser leurs ressources propres. Le Kenya a été contrarié par le manque d’intérêt dont ont fait preuve les investisseurs étrangers et par les pressions exercées par le  Soudan du Sud qui ne manquait pas de se plaindre ouvertement de la lenteur du projet. Riche en pétrole, le Soudan du Sud est en effet soumis par son voisin, le Soudan, à des frais de transit élevés sur ses exportations pétrolières. Indépendant depuis peu, le pays souhaiterait pouvoir bénéficier des tarifs moins élevés du corridor LAPSSET pour ses exportations vers l’Inde et l’Extrême Orient.

Au-delà du financement de ce mégaprojet, le gouvernement kényan a dû gérer les préoccupations environnementales et dédommager les propriétaires dont les terres seront traversées par les routes et la voie ferrée. En 2008, lorsque le projet est redevenu d’actualité, les activistes environnementaux ont dénoncé le fait que l’écosystème fragile de Lamu risquait d’être menacé par la destruction de la mangrove, la pollution pétrolière et la dégradation de la vieille ville. L’absence d’indemnités pour les propriétaires et le manque d’implication de la communauté dans le processus de planification des travaux ont également provoqué  des hostilités vis-à-vis du projet.

En 2012, les habitants de Lamu se sont rassemblés au sein du collectif « Sauvez Lamu » et ont attaqué le gouvernement kényan en justice. La vieille ville de Lamu qui date du XIVè siècle, a, quant à elle, été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2001. Il s’agirait, selon l’UNESCO, du « plus ancien et mieux préservé lieu de peuplement swahili d’Afrique de l’Est », habité sans interruption depuis plus de 700 ans. Dix ans plus tard, l’UNESCO a pressé le gouvernement kényan de tenir compte du patrimoine culturel et naturel de l’île lors de la mise en œuvre du projet LAPSSET.

Cependant, le scepticisme initial a cédé rapidement la place à l’espoir de relancer l’économie locale et régionale. Au début, les gens avaient peur que le gouvernement procède à des expropriations sans aucune indemnité. La situation est différente maintenant. Depuis que le gouvernement a versé une compensation d’environ 8,8 millions de dollars aux 154 familles propriétaires. En 2014, la Commission foncière nationale du Kenya a mis en place un régime indemnitaire pour des douzaines de propriétaires fonciers et de pêcheurs qui ont reçu en moyenne 50 000 dollars. De plus, environ 5 000 pêcheurs ont été équipés de bateaux de pêche mécanisés et de matériel, et les industries de la pêche se sont installées à Lamu.

La chance semble finalement sourire à Lamu depuis que des donateurs se sont rassemblés en mai 2016 pour mobiliser 20 milliards de dollars. Ce rassemblement a été formalisé par la création du Partenariat d’investissement en faveur du développement durable (SDIP) lors de l’ouverture du Forum économique mondial. Le centre africain du SDIP mobilisera des financements publics et privés, de la part des gouvernements, des investisseurs, des banques ou encore des fondations philanthropiques. À titre d’exemple, on compte parmi ses membres la Fondation Bill et Melinda Gates, la Citi Foundation, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis, la Banque de développement de l’Afrique australe, la Deutsche Bank, East Capital, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et la Banque européenne d’investissement.

On compte parmi les autres bailleurs de fonds la banque HSBC, la Société de développement industriel de l’Afrique du Sud, la Banque interaméricaine de développement, la Société financière internationale, Investeringsfonden for Udviklingslande, Meridiam Infrastructure, l’Agence multilatérale de garantie des investissements, Sumitomo Mitsui Banking Corporation et la Standard Chartered.